Penser et agir pour l’entrepreneuriat en Afrique

Et si on osait les Informal Bonds ?

Cette tribune vise à présenter un mécanisme de financement qui se voudrait alternatif à l’attention des activités informelles et des très petites entreprises, afin qu’elles puissent bénéficier d’autres opportunités de…

Cette tribune vise à présenter un mécanisme de financement qui se voudrait alternatif à l’attention des activités informelles et des très petites entreprises, afin qu’elles puissent bénéficier d’autres opportunités de financements formels et surtout, dans de meilleures conditions que celles qui leur sont proposées aujourd’hui.

 

Quelques mécanismes de financements actuels

Encore aujourd’hui, la part prépondérante du financement de nos économies revient au secteur bancaire, avec l’inconvénient d’ériger le banquier en spécialiste multi-sectoriel, qui regroupe au sein d’un même portefeuille des entrepreneurs de l’agro-alimentaire, de l’énergie, du conseil ou encore des nouvelles technologies.

Nous avons aussi les acteurs du financement de haut bilan tels que les Capital-Investisseurs qui, pour des raisons d’efficacité dans le suivi de leurs investissements, se limitent généralement à des investissements de grandes tailles (sachant que quelques-uns d’entre eux ont – heureusement – orienté leurs stratégies d’investissement vers le secteur de la Petite et Moyenne Entreprise).

Il y a également les Institutions de Microfinance. Leur popularité révèle un modèle de financement adapté aux petites économies, mais ce secteur connait malheureusement certaines dérives, avec l’application de taux usuriers.

Nous aurions pu évoquer le financement par la méso-finance, encore récent, qui se présente comme un intermédiaire entre le financement bancaire et micro-bancaire. Ou encore les Nano-crédits, systèmes d’octrois de crédits généralement inférieurs à 100 000 FCFA proposés par certaines Fintech de la place, qui sont encore faiblement vulgarisés.

Enfin, il existe un système de financement informel et parallèle, appliquant des taux d’intérêts abusifs.

Un constat s’impose quand on survole ainsi les mécanismes de financement existants : l’oubli du secteur informel, secteur qui représente pourtant plus de 85% des emplois sur le continent africain selon l’Organisation Internationale du Travail. Il est donc nécessaire de définir un mécanisme de financement alternatif, adapté à cette catégorie de notre économie.

Un constat s’impose quand on survole les mécanismes de financement existants en Afrique : l’oubli du secteur informel, secteur qui représente pourtant plus de 85% des emplois sur le continent.

 

Le secteur informel, notre matelas de survie

Le secteur informel constitue pour la grande majorité des africains un matelas de survie. Pour prendre le cas de l’Europe, le matelas de survie y est défini par chaque état, sur la forme d’un modèle social. Ainsi, dans chaque pays a été fixé un Salaire Minimum, permettant à chaque travailleur de subvenir aux besoins primaires de sa famille.

En Afrique, ce matelas de survie se caractérise par nos activités informelles. L’agent contractuel d’une administration publique qui gagne 65 000 FCFA/mois (soit 100 €), et qui a 6 enfants à charge, aura besoin de développer une activité informelle en parallèle pour arrondir ses fins de mois, ne serait-ce que pour la survie alimentaire de sa famille.

Financer notre secteur informel reviendrait donc à financer notre protection sociale. L’informel ne peut rester le « Grand Oublié », ou le « Mal Outillé » de notre économie tel qu’il l’est aujourd’hui. Le marché financier africain devrait représenter l’espoir, l’alternative, en incluant en son sein cette catégorie informelle de notre entrepreneuriat. Chaque acteur de notre chaîne économique devrait pouvoir identifier une opportunité au travers de ce marché financier.

C’est pourquoi nous proposons la mise en place d’un nouveau produit que l’on pourrait qualifier d’Informal Bond, ou obligation informelle. [Une obligation est une valeur mobilière qui constitue une créance sur son émetteur. Elle est donc représentative d’une dette financière à moyen ou long terme.]

 

Informal Bond : Qu’est-ce que c’est ?

Selon un rapport du Fonds Monétaire International (2017), le secteur informel représenterait, selon les pays africains, entre 20% (Afrique du Sud) et 65% (Bénin, Nigéria) de leur Produit Intérieur Brut. Contrairement à l’idée qu’on s’en fait habituellement, il n’est pas pour autant toujours mal organisé. Certaines de ses activités sont organisées en « Corporations / Coopératives / Groupements » – des groupements de Planteurs ou des groupements de Motos-taxis par exemple.

L’idée est tout simplement de permettre aux groupements ayant fait preuve, historiquement, d’une bonne organisation et d’une bonne gouvernance de solliciter un financement pour leurs membres via le Marché Financier par l’émission de ce que l’on appellerait un ‘’Informal Bond’’, soit une obligation dédiée au financement d’activités informelles.

Cette émission serait directement initiée par les responsables du Groupement, qui auraient au préalable sélectionnés, grâce à leur connaissance du secteur et de leurs membres, les membres bénéficiaires ainsi que les montants des prêts octroyés pour chacun d’eux.

Partant du principe que le groupement aura préalablement fait preuve de probité morale, il serait envisageable que tout ou partie de cette émission soit garantie par une banque ou un fonds de garantie de l’état. Ce qui allègerait le coût de cette dette dont la maturité n’excèderait pas les 18 mois.

Pour des raisons de sécurité et de transparence, en cette ère du digital, les prêts et les remboursements se feraient directement par Mobile Money entre la Banque dépositaire de l’opération et ces entrepreneurs du secteur informel.

 

Ce concept aurait comme vertu d’inciter à la structuration et formalisation progressive des acteurs de l’informel, qui se verraient proposer un cadre organisationnel à suivre pour être éligibles à ce mécanisme de financement (Adhésion à un Groupement, Tenue de Livres de comptes, Ouverture d’un Compte Mobile-Money, …). De leur côté, les États bénéficieraient d’une assiette fiscale élargie.

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Au nom de l’inclusion financière : éduquons et sensibilisons !

Pour reprendre la définition proposée par la Banque Mondiale, l’inclusion financière fait référence à la possibilité pour les individus et les entreprises, de fait exclus des services financiers traditionnels, d’accéder…

Pour reprendre la définition proposée par la Banque Mondiale, l’inclusion financière fait référence à la possibilité pour les individus et les entreprises, de fait exclus des services financiers traditionnels, d’accéder à moindre coût à toute une gamme de produits et de services financiers utiles et adaptés à leurs besoins.

Chaque année, de nombreuses conférences organisées avec les Institutions de Bretton Woods réfléchissant aux stratégies à mettre en place pour améliorer l’inclusion financière et développer l’éducation financière des populations africaines. Depuis 2 ans, la Banque Centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a-t-elle ainsi initié un Programme pour la vulgarisation de l’Éducation Financière, et a créé une Direction Centrale consacrée essentiellement aux enjeux de l’inclusion financière. On voit aussi que plusieurs pays, comme le Cameroun, le Sénégal, ou le Togo planchent sur leur propre stratégie de finance inclusive.

Tout ceci prête donc à penser, à juste titre, qu’il y a un véritable problème d’inclusion financière dans la plupart des pays d’Afrique Subsaharienne. Problème qui se traduit notamment par un manque d’éducation financière des populations africaines, et dont la solution passerait par amener chaque individu ou ménage de la société civile à épargner par des canaux plus formels de notre économie.

 

Ce que nous ont appris les récents scandales financiers

Nous sommes nombreux aujourd’hui à affirmer qu’il est difficile de capter l’épargne des ménages africains. Mais alors, comment comprendre le succès de ces financiers proposant des placements de stratégies Madoffiennes (système de Ponzi) tel que ce fût le cas dans  l’affaire MonHévéa en Côte d’Ivoire et en 2018, le phénomène MIDA au Cameroun ? Et probablement d’autres scandales non encore révélés ? Des organisations qui garantissent des gains de l’ordre de 300% à 400% sur un horizon d’investissement de quelques mois et qui se sont proliférées au fil des années, au su et au vu des officiels (et quelques fois même grâce à des spots publicitaires diffusés sur les antennes nationales).

Il y a au moins deux choses que nous pouvons retenir de ces arnaques financières.

Tout d’abord, au regard de la pléthore des victimes et de l’importance des montants engagés, on note qu’il y a de l’épargne sur le continent africain. Elle est principalement constituée de petites épargnes, ce que l’on appelle l’épargne des ménages – sur toutes les couches de la population.

Et par ailleurs, force est de constater que ces promoteurs d’infortune ont des arguments convaincants leur permettant de capter une épargne tant convoitée par nos nombreux programmes de développement internationaux et qui échappent aujourd’hui aux institutions financières locales et légales.

 

Mettre à profit les Administrations traditionnelles

Dans « éducation financière », il y a le terme « éducation ». Éduquer, c’est aussi sensibiliser.

Cette éducation financière est visiblement nécessaire pour nos responsables et officiels africains, qui dans certains pays se sont rendus complices des mauvaises pratiques énoncées plus haut, souvent par manque de connaissance sur ces sujets. Ne serait-ce que pour faire comprendre que des taux d’épargne au-delà de 20% ou 30%, ça n’existe pas (et encore moins des taux à plus de 200%, à moins que l’on épargne pour nos arrières arrières petits enfants !). Nous pouvons ainsi espérer que dans les stratégies d’éducation financière, plutôt bien pensées, il est prévu d’éduquer les administrateurs aussi bien que les administrés…

Cette sensibilisation des administrateurs ne doit pas seulement être faite au niveau civil (Sous-Préfets, Maires, etc.), mais elle doit aussi concerner les administrateurs traditionnels (Chefs traditionnels, Chefs de quartiers), qui seront les meilleurs relais pour la sensibilisation de leurs populations. Nos États pourraient même aller plus loin en créant des Agences bancaires postales au sein de certaines grandes chefferies exploitant ainsi les relations de proximités, de confiance et d’humilité qui subsistent entre les villageois et leurs autorités traditionnelles.

Nous pouvons espérer que dans les stratégies d’éducation financière, plutôt bien pensées, il est prévu d’éduquer les administrateurs aussi bien que les administrés…

Incorporer des solutions pragmatiques

Le but n’est pas ici d’émettre un doigt accusateur sur ces initiatives volontaristes, menées pour améliorer les conditions sociales de nos populations… mais plutôt d’insister sur la nécessité d’y incorporer les fondamentaux socio-économiques et culturels qui régissent nos sociétés.

Les grandes réflexions ne sont pas nécessairement les vecteurs de bonnes propositions. La réflexion est utile mais dans nos contextes, elle doit être la plus pragmatique possible. Alors qu’un Programme National d’Inclusion Financière se fixe un objectif d’amélioration sur 5, 10 ou 15 ans, une approche pragmatique se doit de fixer un objectif pour demain, tout en œuvrant dès maintenant pour améliorer l’éducation financière :

  • Pour que demain, ou après-demain, lorsqu’une nouvelle initiative malveillante verra le jour, elle n’aura absolument plus la même ampleur.
  • Pour que dès demain, la société civile, mais surtout le secteur informel, puissent se défaire de ce complexe d’infériorité qu’ils nourrissent vis-à-vis de la banque, à cause de diverses raisons: Faibles revenus, barrière de la langue (pour les analphabètes) …

Comment comprendre que ces mêmes personnes n’ont eu aucune difficulté à se rendre auprès des organisations aux pratiques illégales pour épargner/investir ? La raison principale était la promesse de ces dernières de multiplier leur argent.

Ainsi, il faudrait que le banquier africain communique davantage auprès de tous ces petits épargnants, dans un langage qui leur est approprié, leur promettant une bonification de leur épargne sur la base d’un taux d’intérêt.

Cette communication peut également être menée par les États, au travers des moyens de communication technologiques que se sont appropriés 90% des africains. En se servant de la Téléphonie Mobile non pas seulement dans le but d’offrir des services financiers tels que c’est le cas aujourd’hui (Mobile Banking), mais aussi dans l’optique d’en faire un vecteur d’éducation et de sensibilisation aux concepts bancaires et financiers. Une éducation qui se ferait de façon écrite par le biais de SMS réguliers et pour les analphabètes, de façon orale par le biais de messages vocaux en dialecte local.

Le banquier africain devrait communiquer davantage auprès des petits épargnants, dans un langage qui leur est approprié, au travers des moyens de communication technologiques que se sont appropriés 90% des africains.

 

L’éducation financière et de surcroît l’inclusion financière, ne pourrait que renforcer les capacités de développement et la rentabilité de l’entrepreneuriat local. Car ce dernier est dominé par un secteur informel dont les adeptes endurent de nombreuses difficultés de gestion financière et organisationnelle.

 

 

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Secteur éducatif africain : comment surmonter la crise Covid-19 ?

Entre fermeture des écoles et apprentissage à distance, la crise sanitaire de la Covid-19 a touché de plein fouet le secteur de l’éducation, de la petite enfance à la formation…

Entre fermeture des écoles et apprentissage à distance, la crise sanitaire de la Covid-19 a touché de plein fouet le secteur de l’éducation, de la petite enfance à la formation professionnelle. Nous avons sondé une trentaine d’institutions éducatives africaines pour comprendre, auprès des premiers concernés, les impacts de la crise et les stratégies d’adaptation mises en place.

 

  Un mot de méthodologie avant de commencer…

Le présent article est basé sur les résultats d’un sondage conduit auprès de 36 institutions éducatives africaines.

Les répondants, au nombre de 15, sont majoritairement basés en Afrique de l’Ouest (Côte d’Ivoire, Sénégal, Mali, Burkina Faso, Bénin). Sont également représentées des institutions de Madagascar et du Cameroun. Appartenant au secteur des petites et moyennes entreprises, ces répondants font partie d’une grande variété de segments d’activités : formation professionnelle, éducation supérieure, petite enfance, éducation primaire, éducation secondaire, Ed-tech (technologies de l’éducation), et activités auxiliaires (édition, imprimerie, etc.)

 

Un enjeu principal : le financement

La crise sanitaire représente, sans surprise, un enjeu de taille pour les institutions éducatives interrogées. 53% d’entre elles déclarent un impact négatif, et 13% ont été à l’arrêt. Parmi les différents segments d’activité, celui de la petite enfance est le plus particulièrement touché par la crise (voir notre article “Covid-19 : quels impacts sur le secteur de la petite enfance ?’’)

Les difficultés sont en premier lieu financières, du fait de la difficulté d’opérer un recouvrement des frais de scolarité en période de fermeture des établissements scolaires, à laquelle s’ajoutent la permanence des charges de personnel et de fonctionnement de l’école. L’enjeu des tensions de trésorerie est ainsi celui le plus cité par les répondants, devant les défis des ressources humaines ou de production par exemple [Cf. graphique n°1]. Près de 60% des institutions éducatives ont connu une baisse des revenus liée à la crise sanitaire.

Graphique 1

La situation actuelle, et notamment la fermeture brusque des établissements scolaires a mis en exergue le manque d’infrastructures adaptées à la connectivité au niveau national mais aussi au sein même des institutions éducatives : manque de matériel, classes adaptées, l’absence de contenus en ligne permettant aux étudiants de suivre les cours à distance, le manque de ressources en termes de supports digitaux, l’indisponibilité d’une connexion internet pour plusieurs des étudiants…

 

L’adaptation à la crise et le rôle croissant du digital

La fermeture brusque des établissements scolaires a forcé la grande majorité des institutions éducatives à adapter et repenser leur offre et méthode de fonctionnement. Certaines ont même eu à développer une nouvelle offre. C’est par exemple le cas de KËR Imagination, qui a développé des outils adressés aux parents pour les aider dans l’accompagnement des enfants à la maison. Des changements réalisés en urgence dans le cadre d’une situation inédite, mais qui pourraient devenir permanents pour 47% des institutions interrogées.

Parmi ces changements, le recours au digital et le développement de l’apprentissage en ligne est le plus évident. 60% des répondants ont ainsi utilisé une plateforme digitale comme réponse aux enjeux de la crise de Covid-19 et à la fermeture brutale des établissements scolaires (une plateforme support de contenus pédagogiques et/ou une plateforme d’échanges et de communication avec les étudiants, type Zoom, Teams ou Skype).

On note par ailleurs que cette plateforme a dû être mise en place en urgence pour de nombreuses institutions éducatives, qui ne possédaient pas d’outils numériques spécifiques avant la crise. Ceci a représenté un réel défi pour la poursuite de l’apprentissage : adaptation du contenu, de la pédagogie, des échéances éducatives, maintien de la motivation des étudiants… [Cf. graphique n°2]. Il a fallu également proposer des solutions innovantes aux étudiant(e)s ayant des problèmes de connectivité et/ou ne pouvant travailler depuis chez eux : mise à disposition de la salle informatique de l’institution éducative, impression des supports, financement des connexions internet ou des équipements…

Graphique 2 - les principaux défis liés à la plateforme numérique

Le passage au numérique s’est aussi avéré très difficile, voire impossible, à mettre en place pour certaines institutions, notamment de la petite enfance ou de la formation professionnelle, pour lesquelles l’enseignement à distance n’était pas réalisable. Dans ce cas, la réponse majoritairement donnée a été l’organisation de cours en présentiel, en groupes restreints afin de respecter les gestes barrières. Cette réponse, bien qu’efficace pour ce type de cours, a pu avoir de fortes implications pour les promoteurs : réorganisation de l’espace, achat conséquent de masques et gel hydro alcoolique, désinfection entre chaque groupe…

 

Que restera-t-il de cette adaptation d’urgence sur le moyen et long-terme ?

47% des répondants considèrent que la digitalisation a eu un impact positif sur le contenu offert :

  • La digitalisation a poussé certaines structures à développer de nouvelles offres, et proposer ainsi des contenus plus diversifiés
  • Le passage par le digital a permis d’accéder à un plus grand public, notamment en introduisant des offres de formation continue accessible aux professionnels (qui ont besoin d’une grande flexibilité) et en permettant d’élargir le périmètre géographique
  • Enfin, la digitalisation a permis d’augmenter la capacité d’accueil des institutions de formation, avec une moindre pression sur les infrastructures physiques

En revanche, aucune institution éducative n’envisage dans le futur proche un apprentissage uniquement en e-learning. Mais un modèle d’apprentissage mixte, mêlant e-learning et présentiel devrait se généraliser dans un grand nombre d’institutions éducatives [cf. graphique n°3].

Graphique n°3 | Comment envisagez-vous l'organisation future de votre entreprise ?

 

En conclusion

⇒ Le secteur éducatif, et notamment le sous-secteur de la petite enfance, a été fortement touché par la crise de Covid-19

L’enjeu principal pour ces institutions éducatives est financier, du fait de la difficulté d’opérer un recouvrement des frais de scolarité en période de fermeture des établissements scolaires, à laquelle s’ajoutent la permanence des charges de personnel et de fonctionnement de l’école ayant pour résultat un réel problème de BFR et des tensions de trésoreries non négligeable.

⇒ La situation actuelle, et notamment la fermeture brusque des établissements scolaires, a mis en exergue le manque d’infrastructures adaptées à la connectivité (manque de matériel, classes adaptées etc.)

⇒ Si le digital a plusieurs fois été présenté comme une réponse à la crise de Covid-19, il convient de noter que ce dernier ne représente pas pour ces institutions une option d’apprentissage à long-terme. C’est plutôt l’apprentissage mixte (blended learning) qui pourrait se généraliser.

⇒  Les acteurs interrogés semblent optimistes sur le retour à la « normale » de la situation actuelle. Néanmoins, le secteur est encore mitigé sur la permanence des changements apportés.

 

Pour aller plus loin

Retrouvez nos autres articles du blog sur les enjeux liés au secteur éducatif et la crise Covid-19  :

Covid-19, quels impacts pour le secteur de la petite enfance ?

Les écoles africaines au temps du Covid-19

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Les opérateurs de téléphonie mobile trop taxés en Afrique ?

La taxe sur les appels internet via WhatsApp, Skype ou Viber a déclenché de nombreuses protestations au Liban entraînant la crise politique du pays quelques mois plus tard. De nombreux…

La taxe sur les appels internet via WhatsApp, Skype ou Viber a déclenché de nombreuses protestations au Liban entraînant la crise politique du pays quelques mois plus tard. De nombreux autres pays, particulièrement en Afrique sub-saharienne (comme l’Ouganda, la Zambie, ou encore le Kenya) ont instauré ou ont essayé d’instaurer (Bénin[1]) des taxes similaires. Ces expériences illustrent l’arbitrage difficile des États tiraillés entre leur souhait de taxer de nouvelles bases, tout en préservant le dynamisme de l’activité et le niveau d’acceptabilité de cet impôt.

En effet, le secteur des télécommunications est l’un des secteurs économiques les plus dynamiques en Afrique et offre un potentiel important de croissance. En 2017, les taux de pénétration des marchés nationaux étaient plus faibles en Afrique (autour de 45% en moyenne) que dans les autres pays en développement (plus de 60% en moyenne) (données GSMA Intelligence, 2018). Ces chiffres laissent présager d’un rattrapage et d’une croissance importante (Cariolle J, 2021).

Les télécommunications participent au développement économique des pays en réduisant les coûts de transaction et en améliorant l’efficience des marchés (Aker and Mbiti, 2010).

Mais où placer le curseur entre la promotion d’une activité économique par le biais de mesures fiscales et la collecte de recettes fiscales à des fins de financement public ?

Quel design donner à cette taxation qui aujourd’hui prend souvent la forme de taxes spécifiques, habituellement réservées aux alcools et aux tabacs [2] ?

Quel devrait-être le niveau adéquat de taxation des opérateurs de télécommunication ?

Dans la littérature économique, deux approches existent. Pour les uns, le nombre limité d’opérateurs de télécommunications permettrait à ces derniers de tirer une rente de leur exploitation[3]. Leur régime fiscal devrait donc suivre le même principe que celui des industries extractives, comprenant ainsi en plus des taxes du régime de droit commun, des taxes particulières comme la redevance minière, la redevance superficiaire ou encore la taxe sur la rente qui permettraient aux États de capter une part de la rente.

Pour les autres, les opérateurs de télécommunications participent à la réduction de la fracture numérique et donc au développement de nombreux autres secteurs d’activité, ce qui justifierait d’éventuelles incitations fiscales.

Grâce à l’application https://data.cerdi.uca.fr/telecom/ ,nous avons pu estimer la charge fiscale sur les entreprises de télécommunications dans 25 pays Africains[4]. Cette charge fiscale ne prend pas seulement en compte les taxes du régime de droit de commun et les taxes particulières aux télécommunications sous le contrôle du Ministère des Finances (MF), mais également les redevances instaurées par les Agences nationales de Régulation (AR). Nous déterminons le Taux Effectif Moyen d’Imposition (TEMI) pour une entreprise de télécommunication représentative dénommée TELCO en utilisant les données de GSMA Intelligence[5]. Le TEMI représente donc la part que représentent les impôts et taxes payés par TELCO dans ce qu’elle réalise comme flux de trésorerie[6] sur toute la durée de sa licence d’exploitation.

Le TEMI varie considérablement d’un pays à l’autre, de 33% en Éthiopie ou 35% au Maroc à 97% en RDC et même 118% au Niger, avec une moyenne de 64%. L’Ethiopie est le seul pays de notre échantillon à n’avoir pas encore libéralisé son secteur des télécommunications. Les taxes et redevances particulières au secteur représentent une part importante du TEMI, illustrant une certaine imposition par le régulateur et une potentielle concurrence fiscale (une course vers le haut) entre le MF et l’AR.

Un secteur des télécommunications généralement plus taxé que l’activité minière aurifère

Si l’on compare le TEMI de TELCO à celui d’une mine d’or et celui d’une entreprise « classique » (qui ne supporte aucune taxe particulière), les trois entreprises ayant le même niveau de rentabilité avant impôt, la charge fiscale du secteur des télécommunications est plus élevée que celle des mines dans 15 des 19 pays pour lesquels nous disposons des données sur le TEMI.

Graphique 1 : Les Taux Effectifs Moyens d’Imposition (TEMI) pour le secteur des télécommunications, le secteur minier, et le secteur standard.

Les Taux Effectifs Moyens d’Imposition (TEMI) pour le secteur des télécommunications, le secteur minier, et le secteur standard.

source : auteurs

 

Le TEMI du secteur minier varie de 31% au Nigéria à 72% au Tchad. Sa moyenne est de 46% contre 68% pour celui des télécommunications. Dans plusieurs pays, la charge fiscale correspondant à la taxation particulière aux télécommunications dépasse celle du secteur minier. Le secteur minier demeure néanmoins plus taxé que le secteur classique dans tous les pays de notre échantillon à l’exclusion du Nigéria.

Des TEMI plus élevés dans les pays où les taux de pénétration du marché et les PNB par habitant sont les plus faibles.

Les TEMI les plus élevés sont observés dans les pays où les taux de pénétration du marché et les PNB par habitant sont les plus faibles. Ces résultats s’expliquent principalement par le niveau élevé du TEMI relatif aux taxes et redevances particulières. (Rota Graziosi, Sawadogo, 2020)

Graphique 2 : TEMI, taux de pénétration et PNB par tête

Correlation TEMI -Taux de pénétration du marché

Corrélation TEMI - PNB

source : auteurs

 

 

Au-delà du niveau d’imposition mesuré par le TEMI, la forme de l’impôt est importante en termes de recettes fiscales et de développement de secteur des télécommunications. Or les Agences de régulations des télécommunications peuvent lever des taxes ou des redevances particulièrement dommageables à l’activité économique, comme l’a souligné Hausman (1998) dans le cas de la loi américaine sur les télécommunications de 1996. Par ailleurs, ces corrélations peuvent aussi illustrer le fait que les pays plus avancés dans le développement de la téléphonie mobile s’appuient moins sur des taxes particulières à ce secteur. Cette relation pourrait résulter d’un lobbying plus puissant des opérateurs de télécommunication dans ces pays.

Ainsi, dans la plupart des pays du continent africain, la pression fiscale pesant sur le secteur des télécommunications est bien plus lourde que celle exercée sur le secteur minier aurifère et les secteurs d’activité standard sans imposition particulière. Une pratique contre-productive à laquelle il est important de mettre un terme.

Pour aller plus loin : https://data.cerdi.uca.fr/telecom/

 

Notes :

[1] Le décret 218-34 du 25 juillet 2018 instaurait une taxe sur l’usage des réseaux sociaux à un taux spécifique de 5 FCFA par mégabyte, ce qui correspond à 0,009 dollar. Les protestations qui en ont suivi ont poussé le gouvernement à annuler cette taxe quelques mois après.

[2] [2] La taxe est spécifique quand sa base est une quantité (minutes, mégabytes, etc.) plutôt qu’une valeur.

[3] Cependant, un nombre limité de compétiteurs ne conduit pas systématiquement à la réalisation d’une rente comme le montre le cas classique du duopole de Bertrand. Cela signifierait qu’il existe une certaine collusion tacite entre les opérateurs de télécommunications et alors un certain échec dans les processus de régulation du secteur.

[4] Notre analyse concerne 25 pays Africains : l’Afrique du Sud, l’Algérie, l’Angola, le Benin, le Burkina Faso, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, l’Égypte, l’Éthiopie, le Kenya, le Gabon, le Ghana, la Guinée, Madagascar, le Mali, le Maroc, le Niger, le Nigeria, la RDC, le Sénégal, la Sierra Leone, la Tanzanie, le Tchad, la Tunisie, et la Zambie.

[5] Notre approche est proche de celle de Djankov et al. (2010), de l’approche Doing Business de la Banque Mondiale pour une activité économique classique, et de l’approche Fiscal Analysis of Resource Industries du Fonds Monétaire International pour les projets miniers et pétroliers.

[6] Le flux de trésorerie considéré ici est celui avant imposition qui correspond à la différence entre le chiffre d’affaire et les charges d’exploitation et d’investissement.

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SOAFIARY : l’exemple concret d’une entreprise malgache socialement responsable

Une entreprise peut être beaucoup plus qu’un simple acteur économique et jouer un véritable rôle sociétal, transformant l’environnement dans lequel elle opère. L’entreprise malgache Soafiary le démontre sur plusieurs points,…

Une entreprise peut être beaucoup plus qu’un simple acteur économique et jouer un véritable rôle sociétal, transformant l’environnement dans lequel elle opère. L’entreprise malgache Soafiary le démontre sur plusieurs points, étudiés dans cet article. Depuis sa création en 2006, cette entreprise de l’agrobusiness a intégré son engagement social au cœur de son modèle d’affaires.

 

Créée et dirigée par une femme engagée, Malala Rabenoro, Soafiary est spécialisée dans la collecte, la transformation et la vente de céréales et légumineuses sur le marché local et international. À partir de 2017, elle diversifie son activité en opérant dans la production et la commercialisation de provendes animales ainsi que dans l’exploitation agricole à travers un projet d’agriculture contractuelle en collaboration avec le diocèse de la région.

Son site d’exploitation est situé en zone rurale, à 22km d’Antsirabe dans la région Vakinankaratra, localisée dans les hauts plateaux et connue comme étant le « fermier » de Madagascar. Cette région n’est pas épargnée par la situation de précarité qui sévit dans le pays, avec un taux d’alphabétisation extrêmement faible, un déficit d’infrastructures et un taux de pauvreté élevé. Ces enjeux à la fois sociaux et économiques constituent des défis à relever. Il parait évident pour Soafiary d’y contribuer, en tant qu’acteur soucieux du développement de sa région, et plus largement de Madagascar.

 

Favoriser l’emploi auprès d’une population défavorisée, faiblement scolarisée

La population locale vit majoritairement de l’agriculture de subsistance ou de l’élevage. Faute de moyens, elle peine souvent à produire suffisamment pour assurer l’autosuffisance, et encore moins pour développer son activité. Et faute d’éducation, elle ne peut prétendre à des postes qualifiés dans les entreprises.

Soafiary s’est engagée à contribuer à l’intégration professionnelle de cette population éloignée de l’emploi. Dans ce contexte, elle emploie près de 200 personnes, dont la majorité sont des locaux, engagés pour les travaux de champs, le triage manuel des légumineuses et le conditionnement des produits. Au niveau de l’activité de triage et de conditionnement, le choix a été de les faire manuellement, même si l’automatisation est possible. Ce choix du triage manuel, par opposition au triage automatique opéré par des machines, permet de créer plus d’emplois.

La contribution de Soafiary se concrétise également par l’aide financière sous forme de prêts octroyés aux employés. L’objectif est qu’ils puissent développer une autre activité génératrice de revenu. La majorité se lance dans l’élevage, l’agriculture ou le commerce de produits de première nécessité. C’est ainsi que Soafiary offre à la communauté environnante l’opportunité d’améliorer leur condition économique à travers l’accès à un double emploi.

Soafiary s’engage à contribuer à l’intégration professionnelle d’une population locale éloignée de l’emploi, vivant majoritairement de l’agriculture de subsistance.

Accompagner les employés sur les questions d’alphabétisation et d’hygiène

Soafiary compte parmi ses employés 21% d’illettrés, 46% ayant atteint le niveau primaire et 25% ayant accompli l’éducation secondaire de premier cycle. Engager des personnes faiblement scolarisées issues du monde rural est un réel engagement de l’entreprise, qui a mis en place un accompagnement poussé afin de leur permettre l’assimilation des gestes clés utiles à la production, l’apprentissage des mesures d’hygiène et des compétences fondamentales telles que la lecture et l’écriture.

Sur les questions d’hygiène, Soafiary réalise de manière régulière des sensibilisations à l’hygiène corporelle, à l’usage correct du bloc sanitaire et à l’hygiène de l’eau à ses employés, qui ne sont familiers à aucune de ces approches.

En ce qui concerne l’alphabétisation, les actions entreprises se centralisent sur l’apprentissage de la lecture et de l’écriture pour que les employés puissent être capables de vérifier leur fiche de paie, à travers l’identification et la validation des informations leur concernant notamment leur nom et prénom, la vérification du montant inscrit, pour ensuite y apposer leur signature si la fiche leur est satisfaisante. Ceci a permis d’instaurer un climat de confiance et d’échange au sein de la société.

Ces actions paraissent basiques mais leur mise en place n’est pas facile et prend du temps. C’est grâce au profil atypique de la directrice de production, Agnès Randrianampizafy, enseignante de formation, que l’accompagnement est rendu possible avec le soutien et l’engagement de toute l’équipe. « Il faut être pédagogue, patient et savoir inculquer une discipline » souligne-t-elle.

 

Soutenir, accompagner et former les petits producteurs à travers le projet Soadio (SOAfiary – DIOcèse)

Le secteur de l’agro business fait face à plusieurs grands enjeux et doit résoudre l’équation entre l’inclusion des petits producteurs, le respect de l’environnement, la qualité des produits et la compétitivité des prix, le tout dans un environnement où la concurrence internationale est forte.

Soafiary tente de répondre à ces enjeux à travers son projet Soadio, un modèle d’agriculture contractuelle responsable qui consiste à former les petits producteurs et à mettre à leur disposition les matériels agricoles ainsi que les intrants nécessaires à l’exploitation des 4 100 Ha de terrain appartenant au Diocèse de la région Vakinankaratra. À partir de 2017, date de lancement du projet, 380 Ha ont été exploités dont la totalité de la production est achetée par Soafiary.

Le projet est un vrai levier socio-économique pour la région. Il vise à l’amélioration de la condition de vie des petits producteurs à Morarano, une commune rurale située à 200 km du site d’exploitation de Soafiary, où sont localisés les terrains du Diocèse. Il permet également l’inclusion des petits producteurs dans la chaîne de valeur de Soafiary, qui assurent désormais l’approvisionnement. La stratégie consiste pour Soafiary à apporter les marchés et l’accompagnement nécessaire pour que les petits producteurs puissent fournir les matières premières. Plus largement, Soafiary joue le rôle de catalyseur pour le développement de l’agrobusiness dans la région avec l’intégration des petits producteurs ruraux dans la chaine de valeur de la production des céréales et grains secs, en plus de coordonner la synergie des actions entre les différents acteurs de la filière à savoir : Diocèse, producteurs, partenaires techniques, financiers et institutionnels et clients.

Soafiary joue le rôle de catalyseur pour le développement de l’agrobusiness dans la région Vakinankaratra, permettant l’intégration des petits producteurs ruraux dans la chaine de valeur de la production des céréales et grains secs

Ce partenariat inclusif entre Soafiary et le Diocèse est un pas en avant vers une cohésion sociale et humanitaire, qui n’est qu’un préalable pour le lancement de différents projets : mise en place d’un système d’irrigation, renforcement des terrains pour lutter contre l’érosion, renforcement du centre de santé de base par l’octroi de matériels médicaux, amélioration de l’unique école du village par l’extension des salles de classe, appui des centres de formations agricoles, pour n’en citer que quelques-uns.

 

Soafiary démontre qu’intégrer les engagements sociaux au cœur des activités peut être bénéfique pour l’entreprise. Cette démarche lui a permis de gagner plus d’engagement de la part de ses employés en contrepartie des appuis octroyés, mais aussi et surtout, de construire un modèle d’agriculture contractuelle responsable sécurisant son volume d’approvisionnement tout en répondant aux enjeux de qualité et de traçabilité des produits.

 

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La digitalisation : une solution pour le développement durable?

Le processus de digitalisation peut contribuer à la croissance des pays en développement (PED), notamment en favorisant l’essor du secteur privé et l’inclusion financière.

Le processus de digitalisation peut contribuer à la croissance des pays en développement (PED), notamment en favorisant l’essor du secteur privé et l’inclusion financière.

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Le secteur de l’agroalimentaire au Niger face au coronavirus

La crise sanitaire liée à la pandémie covid-19 a précipité de nombreuses économies dans un marasme dont elles peinent à se sortir. Partout où des mesures de confinement et de…

La crise sanitaire liée à la pandémie covid-19 a précipité de nombreuses économies dans un marasme dont elles peinent à se sortir. Partout où des mesures de confinement et de distanciation sociale ont été mises en place, les entreprises ont dû s’adapter aux nouvelles conditions de vente pour tenter de survivre. Pour autant, toutes les entreprises n’ont pas été affectées de la même manière.

Au Niger, la peur du virus d’abord, puis l’annonce d’un couvre-feu, ont poussé les citoyens à rester chez eux, à consommer moins et/ou différemment d’une part, à ne pas se rendre au travail pour un certain temps d’autre part. Pour les petites et moyennes entreprises du secteur agroalimentaire, le défi était double. Il a fallu parvenir à continuer de vendre, et pour cela, également assurer aux employés des conditions de travail sûres.

Nous avons recueilli les témoignages de trois entrepreneurs présents sur le marché de l’agroalimentaire au Niger, qui ont accepté de présenter leur combat, leurs besoins et leurs solutions : Maimouna Zeine fondatrice de La Crémière du Sahel, Souleymane Madé, à la tête de Made’s Group, une unité industrielle spécialisée dans la production et la commercialisation de chips, de farine infantile et d’arachides, et Bachir Rockya Lahilaba, fondatrice de Sahel Délices.

 

Un impact immédiat sur les capacités de production des entreprises

L’arrêt du travail ainsi que la fermeture des frontières ont, à très court terme, fortement perturbé l’approvisionnement en matières premières du secteur agro-alimentaire. Sahel Délices, une entreprise basée à Niamey spécialisée dans la production de jus locaux à base de plantes, s’est retrouvée coupée de ses fournisseurs dès le début de la crise. La plupart des matières premières en effet sont récoltées par des groupes de femmes dans les villages environnants de la capitale, qui profitent des jours de marché pour venir vendre à la ville leurs produits. Le confinement et l’interdiction de se déplacer au Niger ont fait cesser la circulation des bus entre les zones rurales et Niamey. Les plantes disponibles se sont donc faites plus rares, et mécaniquement les prix ont été revus à la hausse. Les coûts de production ont donc également augmenté, ce qui s’est finalement répercuté sur les prix de vente, alors même que les consommateurs ont en moyenne perdu du pouvoir d’achat avec la crise liée au Covid-19.

Les problèmes d’approvisionnement ont également concerné d’autres intrants indispensables à la production, comme les emballages. Sahel Délices avait l’habitude de se fournir au Nigéria pour les bouteilles dans lesquelles ses jus étaient vendus, mais la chaine de transport a été coupée avec la fermeture des frontières. Pour pallier le manque de bouteilles, l’entreprise s’est tournée vers des producteurs locaux, mais cette solution ne s’est pas avérée optimale car les bouteilles produites au Niger ne correspondaient pas aussi bien aux attentes de la clientèle, qui a réduit sa consommation.

 

Comment vendre au temps du confinement ?

L’ensemble du secteur de l’agroalimentaire n’a pas été atteint de la même manière, ni avec la même ampleur. L’impact global du confinement sur les ventes a néanmoins plutôt été négatif.

Les mesures de couvre-feu mises en place ont eu pour effet une baisse des ventes. De nombreux produits sont vendus en ville, dans les épiceries, et de ce fait, le flux de clients a diminué. Pour faire face à la baisse des ventes, les boutiques ont parfois simplement refusé de prendre les réapprovisionnements. Pour La Crémière du Sahel, une fromagerie au cœur de Niamey, les livraisons sont passées de trois fois à une fois par semaine. Au mois d’avril, le travail a même été complètement arrêté. Les activités n’ont pu reprendre qu’au mois de mai.

Le couvre-feu, fixé à 19h, a également limité le temps de consommation. A 18h, les citoyen.ne.s restaient chez eux jusqu’à 6h du matin. Les consommateurs ont donc recentré leurs achats sur des produits de première nécessité. Pour une entreprise comme Sahel Délices, spécialisée dans les jus et qui réalise donc une part importante de ses bénéfices pendant les périodes de grande chaleur et du ramadan, les changements d’habitudes de consommation ont donc eu un impact fort.

Certaines entreprises ont alors réagi en proposant des services de livraison à domicile de leurs produits, à l’instar de Sahel Délices. Dans la pratique, cette forme d’adaptation n’a pas été immédiatement opérationnelle : les livreurs ont dû être formés aux gestes barrières, au port du masque et des gants, dans la mesure où les clients refusaient les livraisons si celles-ci n’étaient pas assurées avec un strict respect des nouvelles normes sanitaires.

 

Des synergies pour sortir de la crise

Les bonnes pratiques mises en place par ces PME du secteur agroalimentaire relèvent de la réactivité des entrepreneurs, mais aussi de leurs collaborations avec d’autres acteurs du secteur privé, et plus marginalement avec le gouvernement, qui a entrepris l’élaboration d’un programme de soutien aux entreprises. Sa mise en place est attendue avec impatience : les charges (loyers, rémunérations des salariés, factures d’eau et d’électricité) n’ont pas encore été allégées et aucune modalité de report ou d’un quelconque assouplissement n’a été proposée. De la même manière, les subventions promises n’ont pas été versées.

La crise a également mis à l’épreuve Sinergi Niger, premier fonds d’investissement à impact dédiées aux petites entreprises nigériennes. Face à une situation inédite pour les entreprises comme pour Sinergi, il a fallu innover pour accompagner aux mieux les entrepreneurs dans ces temps difficiles.

 

Quels sont les besoins de ces entreprises aujourd’hui ?

Quelle que soit l’ampleur de leurs difficultés, les PME de l’agroalimentaire au Niger ont besoin de visibilité, en particulier sur le marché national. Elles ont intégré en effet que le gouvernement ne pourra pas les sortir de la crise, et ont entrepris de trouver les voies de leur développement futur sans attendre. Pour Mme Bachir Rockya Lahilaba, à la tête de Sahel Délices, la priorité est de s’implanter dans le pays. Son entreprise, comme beaucoup d’autres, a eu du mal à payer toutes les charges auxquelles elle a été soumise, et la crise du Covid-19 a également accentué ses difficultés de remboursement aux emprunts contractés avant celle-ci.

De ce fait, les programmes d’aides pour les PME proposés par le gouvernement du Niger d’octroi de crédits supplémentaires pour essayer de s’en sortir sont loin d’être une une solution miracle. Ces entreprises ont déjà du mal à faire face aux endettements préalables : s’endetter plus encore apparaissait trop risqué.

Sahel Délices a fait le choix de ne pas compter sur des subventions et des aides, mais de développer un plan commercial et marketing et des supports de communication pour « aller chercher l’argent là où il est ». Pour la Crémière du Sahel et pour Made’s Group, qui dépendaient avant la crise de débouchés dans la sous-région, le développement de leurs activités au Niger est également devenu une priorité.

 

« Être entrepreneur face au Covid-19 »…

… c’est avant tout ne pas désespérer par les temps difficiles. Les trois entrepreneurs partagent la même attitude face à la crise actuelle : cette situation passera, il faut tenir bon dans la tempête pour pouvoir profiter des jours meilleurs à venir.

La clé de la survie ? L’adaptabilité et la capacité à toujours trouver un moyen de vendre, même s’il n’est pas possible de faire autant qu’en période d’expansion. Sur un marché très concurrent, comme celui de l’agroalimentaire, les produits peuvent disparaître très vite et c’est ce qu’il faut à tout prix éviter.

 « Être entrepreneur, c’est être engagé dans un combat permanent », rappelle Maimouna Zéine, fondatrice de La Crémière du Sahel. « Un combat qui n’est jamais gagné d’avance mais dont la récompense vaut la peine que l’on se batte pour elle ».

 

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Covid-19 : quels impacts sur le secteur de la petite enfance ?

Face aux fermetures d’établissements scolaires qui ont eu lieu dans au moins 188 pays autour du monde suite à la crise de Covid-19, beaucoup d’institutions éducatives ont dû mettre en…

Face aux fermetures d’établissements scolaires qui ont eu lieu dans au moins 188 pays autour du monde suite à la crise de Covid-19, beaucoup d’institutions éducatives ont dû mettre en place un système d’apprentissage à distance. Cette réorganisation temporaire de l’activité aura assurément un impact fort et durable sur les structures éducatives.

Si cet apprentissage à distance est parfois complexe, notamment à cause des problématiques de connexion ou de disponibilité des outils informatiques, il l’est encore plus pour le secteur de la petite enfance, compte tenu du risque de surexposition des tout-petits aux outils numériques et l’absence d’autonomie de ces derniers dans leur apprentissage, ce que témoignent les trois acteurs dédiés à ce secteur rencontrés pour cet article.

 

Un apprentissage à réinventer

La crise sanitaire actuelle a forcé les institutions éducatives dans leur ensemble à réinventer et repenser leurs activités. La Coccinelle, un réseau de crèches et d’écoles maternelles en Côte d’Ivoire a ainsi mis en ligne des exercices, des jeux éducatifs, des comptines et quelques activités de graphisme, pré-lecture et de mathématiques pour que les enfants ne perdent pas leurs acquis. Chez Kër ImagiNation, un centre d’apprentissage et de culture pour les enfants au Sénégal, des sessions en ligne par Zoom ont été effectuées en petits groupes pour permettre une meilleure participation des enfants. Au fur et à mesure, les contenus et la façon d’interagir à distance avec les enfants se sont affinés, avec par exemple l’utilisation de marionnettes ou la proposition d’expériences éducatives simples, comme une expérience sur l’eau, que les enfants pouvaient réaliser chez eux avec leurs parents.

L’apprentissage en ligne, bien qu’il soit possible, et parfois même favorable, pour les matières théoriques, ne se prête pas facilement à l’apprentissage pratique. Ainsi, chez La Coccinelle, les parents devaient imprimer les exercices pour permettre aux enfants de travailler sur papier. Car beaucoup de domaines, comme par exemple le graphisme, ne peuvent être appris en ligne. Chez, l’Institut Académique des Bébés au Sénégal, une école de formation diplômante dédiée à la formation professionnelle des métiers de l’Enfance, les matières pratiques représentent environ 45% du cursus des apprenant.e.s. Pour ces matières, l’apprentissage en ligne n’était pas envisageable et des ateliers pratiques ont été réalisés dans les locaux, en petits groupes. Cela a nécessité néanmoins un investissement conséquent pour la promotrice, car c’est toute l’organisation de l’école qu’il a fallu repenser. L’espace a dû être réaménagé, pour respecter le mètre de distanciation sociale entre les apprenant.e.s. Un achat conséquent de masques et de gel hydro alcoolique a dû être réalisé pour équiper les apprenant.e.s et formateurs.rices. Et enfin, entre chaque groupe, une désinfection des locaux s’imposait.

L’apprentissage en ligne, possible et parfois favorable pour les matières théoriques, ne se prête pas facilement à l’apprentissage pratique

 

 

Un apprentissage empli de difficultés

La crise a révélé d’énormes disparités dans le niveau de préparation des pays aux situations d’urgence, l’accès des enfants à Internet et la disponibilité du matériel pédagogique. Ces difficultés rendent difficile le maintien en éveil et l’apprentissage des enfants éloignés de ces outils.  De plus, pour réaliser cet apprentissage à distance, il a fallu souvent former, à la fois les parents et les formateurs.rices, aux outils numériques.

Enfin, l’école à la maison nécessite pour les tout-petits la présence d’un parent ou d’un adulte, à même d’accompagner l’enfant dans son apprentissage. Or les occupations professionnelles de ces derniers n’étaient pas forcément compatibles avec les besoins des enfants. La fermeture des établissements scolaires a laissé les parents en désarroi sur la façon d’accompagner l’apprentissage des enfants à la maison. Consciente de ces enjeux, Karima Grant, fondatrice de Kër ImagiNation, souhaite désormais développer un projet dédié spécifiquement aux parents, afin de les accompagner, à travers une plateforme, dans la parentalité et la pédagogie.

La fermeture des établissements scolaires a laissé les parents en désarroi sur la façon d’accompagner l’apprentissage des enfants à la maison.

 

 

Une même inquiétude : le futur du secteur de la petite enfance et, en conséquence, le futur de ces enfants

Les réalités du secteur de la petite enfance sont particulièrement préoccupantes : en effet, le recouvrement des frais de scolarité est encore plus complexe en période de fermeture des établissements scolaires, auquel s’ajoutent les charges de personnel et de fonctionnement de l’école. Beaucoup d’acteurs de la petite enfance en Afrique Subsaharienne sont aujourd’hui dans une situation délicate, avec beaucoup d’incertitudes pour la rentrée scolaire.

Ces derniers se sentent oubliés par les autorités publiques, alors même que le secteur de la petite enfance est primordial pour le développement et la construction de l’enfant. Au Bangladesh, une étude mise en place par le Strategic Impact Evaluation Fund (SIEF) de la Banque Mondiale a révélé que fournir aux jeunes enfants une année supplémentaire d’éducation préscolaire est un moyen efficace d’améliorer la préparation à l’école pour les filles et les garçons (et surtout les filles). Les chercheurs ont mesuré l’impact d’une année supplémentaire de préscolaire des enfants à l’âge de 4 ans, par rapport à l’année standard d’un an seulement à partir de 5 ans. Au bout de deux ans, les enfants à qui l’on a proposé une année supplémentaire de préscolaire ont obtenu des résultats nettement plus élevés en matière de lecture, d’écriture, de calcul et de développement socio-affectif que les enfants qui n’ont accès à la préscolarisation qu’à partir de l’âge de 5 ans.

Selon Sara Adico, directrice de La Coccinelle, « L’éveil, la simulation et l’épanouissement des enfants ont été relégués au dernier plan. Or si la petite enfance est bien encadrée, elle favorise un bon développement psychique de l’enfant, ce qui est porteur pour toute la nation ».  Les enfants auraient déjà commencé à désapprendre, tant au niveau des compétences (graphisme, dictée…), qu’au niveau psychique (interactions sociales, motricité…), une situation plus aggravée pour les enfants souffrant de problèmes psychosociaux. Selon ces acteurs, si la situation venait à s’éterniser, cela devrait affecter le primaire, le secondaire et enfin le supérieur dans les années à venir, et ainsi représenter un réel problème de capital humain et causer de sérieuses répercussions économiques.

Si la situation venait à s’éterniser, cela devrait affecter le primaire, le secondaire et enfin le supérieur , et ainsi représenter un réel problème de capital humain dans les années à venir

 

Que ce soit pour Sara Adico de La Coccinelle, Karima Grant de Kër ImagiNation ou Fa Diallo d’IAB, la crise actuelle peut être une opportunité de réinventer et de repenser le secteur de la petite enfance. C’est un moyen, pour la communauté éducative de ce secteur, une fois les faiblesses de l’outil numérique comme solution à l’apprentissage à distance pour la petite enfance reconnues, de chercher des solutions innovantes destinées à améliorer la valeur ajoutée à la prise en charge de l’enfant.  Mais pour cela, une réflexion doit être menée avec l’ensemble des parties prenantes (les familles, les institutions publiques, les grands employeurs…) pour trouver et créer des dispositifs favorables à la construction psychologique des enfants. Concernant la petite enfance, il ne convient pas de limiter ses efforts dans le domaine de la santé ou de la nutrition, car l’inexistence de structure de prise en charge de qualité de la petite enfance peut être spécialement dommageable pour le développement psychique de l’enfant et ainsi, à plus long terme, avoir de réelles implications économiques et de capital humain.

 

Pour aller plus loin

Découvrir dans cette série l’article “Les écoles africaines au temps du Covid-19”

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