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Témoignages

Dans les articles “témoignages”, les auteurs reviennent sur leurs parcours et partagent leur expérience du quotidien. Toutes les parties prenantes de l’écosystème entrepreneurial en Afrique sont invitées à s’exprimer: les entrepreneur.e.s, mais aussi les incubateurs, investisseurs, acteurs du développement…

Mesurer les impacts des projets d’électrification décentralisée (4/4). Caractérisation des impacts sur l’accès à l’électricité à partir des données de ménages

Pour Entreprenante Afrique nous présentons en quatre articles le projet Café Lumière à Madagascar et comparons les résultats de différentes méthodes d’évaluation alternatives réalisées à des coûts abordables pour évaluer…

Pour Entreprenante Afrique nous présentons en quatre articles le projet Café Lumière à Madagascar et comparons les résultats de différentes méthodes d’évaluation alternatives réalisées à des coûts abordables pour évaluer l’existence d’impacts positifs du projet sur les objectifs de développement. Dans ce quatrième et dernier article, nous explorons comme pour la partie « localités » de notre enquête, les impacts sur les ménages par comparaison des évolutions des variables d’intérêt dans les localités traitées et non traitées. Grâce au nombre de ménages qui ont été enquêtés dans chaque localité [1], nous pouvons évaluer la significativité statistique de nos conclusions, c’est-à-dire évaluer le risque que nos conclusions d’existence d’un impact soient erronées. Les variables d’intérêt étudiées sont celles que l’on peut considérer logiquement comme des résultats d’impacts potentiels du projet sur les ménages.

 

Accès à l’électricité

Sur l’échantillon de ménages enquêtés, 18% ont adopté une connexion au mini-réseau dans les localités équipées d’un Café Lumière. Les autres formes d’accès à l’électricité sont pour l’essentiel des panneaux solaires individuels fixes ou mobiles. Le taux d’accès à l’électricité, défini comme comprenant toutes les sources d’électricité possibles, est relativement similaire entre les deux groupes de localités en 2023 avec 46% des ménages ayant accès dans les localités avec Café lumière contre 43% dans les localités sans.

Il convient toutefois de noter que le taux d’accès à l’électricité était initialement plus élevé dans les localités qui ont par la suite été équipées de Café Lumière (37% contre 27%) et cette différence est significative. Il n’y a donc pas d’amélioration significative de l’accès à l’électricité d’un point de vue quantitatif, mais il y a un remplacement de panneaux solaires individuels par des connexions au mini-réseau. Cette seconde source est considérée comme qualitativement supérieure. Si l’on prend comme référence le cadre multi-niveaux (Multi Level Framework ou MTF) défini par la Banque mondiale, le premier type d’accès est considéré de niveau 1 contre un niveau 2 pour le branchement au mini-réseau. Ceci provient principalement de deux différences entre les deux types d’accès : puissance disponible plus élevée et intermittence plus faible. Ce constat est corroboré par des données sur l’utilisation d’appareils électriques.

 

Utilisation de matériels électriques

Afin d’analyser l’utilisation d’appareils électriques, nous calculons un indice qui est la somme d’appareils électriques utilisés par un ménage. Les appareils pris en compte sont les suivants : cuisinière, réfrigérateur, ventilateur, radio, télévision, magnétoscope, lecteur dvd, ordinateur, tablette, téléphone fixe, téléphone mobile. Ainsi un ménage propriétaire d’un ventilateur et d’une radio aurait alors un score de 2, et un ménage disposant de tous les biens mentionnés aurait un score de 11.

Nous constatons lors de la deuxième vague d’enquêtes que les ménages vivant dans les localités avec Café Lumière utilisent plus d’appareils électriques que ceux vivant dans les localités sans Café Lumière. Les ménages vivant dans les localités avec Café Lumière ont en moyenne 1,7 appareils électriques contre seulement 1,5 dans les autres localités. Bien que cette différence puisse paraître faible, elle est statistiquement significative au seuil de 1%.

L’utilisation de plus d’appareils électriques dans les localités traitées est clairement due à l’amélioration de la qualité de l’accès à l’électricité pour les 18% de ménages disposant désormais d’une connexion au mini-réseau.

Pour corroborer cette conclusion, nous construisons un deuxième indice d’usage d’appareils électriques, ne prenant en compte que les appareils nécessitant une puissance relativement importante pour fonctionner, généralement indisponible quand l’accès à l’électricité est au niveau 1 du MTF. Cet indice est composé des appareils suivants : cuisinière, réfrigérateur, ventilateur, télévision, magnétoscope, lecteur dvd et ordinateur.

Sur ce nouvel indice nous trouvons un impact positif très significatif des Cafés Lumière. En effet, les ménages n’utilisent en moyenne que 0.20 appareils électriques de puissance importante  en 2023 dans les localités sans Café Lumière, là où ils en utilisent 0.37 dans les localités avec Café Lumière (ce chiffre monte même jusqu’à  1.20 pour les ménages utilisant le mini-réseau alors qu’il n’y avait pas de différence significative en 2017/2018).

 

Richesse des ménages

Afin d’évaluer un éventuel impact des Cafés Lumière sur le niveau de richesse des ménages nous construisons une série d’indices synthétiques basés sur des variables reflétant les possessions matérielles des ménages. Il convient de préciser que cet indice représente donc un stock d’actifs, et non pas un flux tel que le revenu mensuel ou annuel du ménage. Nous procédons par une Analyse des Correspondances Multiples (ACM), qui est une méthode d’analyse des données permettant de synthétiser l’information de multiples variables qualitatives selon quelques axes complémentaires. L’axe contenant le plus d’informations est généralement considéré comme représentatif de la richesse des ménages. Les possessions des ménages utilisées pour calculer cet indice de richesse synthétique prennent en compte des éléments liés à la qualité du logement comme pouvant être mesuré par les matériaux utilisés pour le sol, les murs ou le toit, le nombre de pièces et d’étages, etc.,  mais aussi des équipements électriques (cf. liste ci-dessus) et l’ensemble des biens possédés par le ménage tels qu’un vélo, un cyclomoteur, une voiture, une montre, etc. Chaque ménage dispose alors d’un score représentant son niveau de richesse. Cet indice a une moyenne de 0, et va d’un minimum de -2.17 pour le ménage le plus pauvre à un maximum de 5.22 pour le ménage le plus riche.

Lorsque nous analysons la différence des scores en 2023 entre les localités équipées de Café Lumière et les localités non-équipées, nous constatons que l’indice de richesse moyen des ménages vivant dans une localité avec Café Lumière est plus élevé, et cela de manière quasiment significative. Comme illustré dans la figure 1, la moyenne de l’indice de richesse pour les localités avec Café Lumière est de 0.19 contre seulement 0.03 pour les localités n’ayant pas reçu de Café Lumière. L’absence d’écart en 2017/2018 renforce la robustesse de cette conclusion. À noter que lorsque nous calculons l’indice de richesse sans prendre en compte la possession d’appareils électriques, ce que nous pourrions appeler « indice de richesse non énergétique », nous ne trouvons aucun impact des Cafés Lumière. Ceci nous amène à conclure que si les Cafés Lumière ont eu un impact positif sur l’accès à l’électricité et sur son usage par les ménages, cette amélioration de leurs conditions de vie matérielles ne s’est, à ce stade, pas diffusée plus largement.

 

Données socio-économiques

Au-delà des objectifs d’amélioration globale de la situation énergétique et économique dans les localités traitées, le projet Café Lumière a pour principal objectif de contribuer à des progrès socio-économiques. En ce qui concerne la pauvreté économique, nous constatons une petite amélioration de la distribution de l’indice de richesse au bénéfice des 20% les plus pauvres mais celle-ci n’est pas imputable directement à l’introduction du Café Lumière.

Si nous regardons du côté de l’accès à la santé et à l’éducation qui sont les domaines les plus étudiés dans des travaux d’évaluations similaires, nous constatons quelques preuves d’impact dans le premier domaine mais pas dans le second. Ceci est cohérent avec le volet “localités” de notre enquête, qui a montré de nombreuses connexions de centre de santé aux mini-réseaux mais proportionnellement de moins d’établissements scolaires.

Enfin nous avons étudié les effets du projet sur l’incertitude associée aux vols de bétail, de récoltes ou d’autres biens que subissent les ménages dans les régions rurales à Madagascar. Il est souvent avancé que l’introduction de l’éclairage public la nuit peut contribuer à améliorer cette situation, mais ceci n’est pas clairement prouvé à ce stade.

Concernant les questions de santé, si nous comparons les déclarations de symptômes, tels que des problèmes de voies respiratoires (toux/rhume, etc.), de diarrhées, fièvres, maux de têtes et des problèmes aux yeux ou des brûlures, nous constatons qu’il n’y a pas de différence significative entre les deux groupes de localités en 2023. Cependant il est intéressant de noter que lors de la première vague d’enquête, c’est-à-dire avant l’installation des Cafés Lumière, les symptômes étaient bien plus importants dans les localités qui ont reçu des Cafés Lumière et ceux-ci ont connu une baisse importante de la prévalence de symptômes entre les deux vagues, qui pourrait être interprétée comme une conséquence du projet Café Lumière.

Zoom sur les accouchements : nous constatons que les accouchements ayant lieu dans un environnement éclairé grâce à l’électricité est devenue quasi systématique dans les localités disposant d’un Café Lumière. En effet, pour les femmes vivant dans une localité avec Café Lumière, 78% d’entre elles accouchent dans des installations bénéficiant de l’éclairage électrique contre seulement 40% dans les autres localités. Cette différence de moyenne est statistiquement très significative.

Conclusions

Cette quatrième et dernière étape de notre série d’articles sur l’évaluation à date des impacts du projet Café Lumière à Madagascar a permis d’étudier les bénéfices retirés par la population des localités concernées en termes d’accès à l’électricité, et de niveau de vie ainsi que de ses impacts sur le développement socio-économique.

Avant  la mise en œuvre du projet, les localités étudiées n’étaient pas caractérisées par une pauvreté énergétique absolue qui peut être définie par l’absence d’accès à toute source d’électricité. En moyenne en 2017-2018 un tiers des ménages avaient déjà accès à l’électricité via des panneaux solaires autonomes. L’impact énergétique le plus visible du projet sur les ménages est que 18% des ménages dans les localités équipées bénéficient désormais d’une connexion au mini-réseau. Pour ces ménages, cet impact énergétique est important, car il se traduit par l’utilisation d’appareils électriques plus nombreux et de plus forte puissance. Dans notre précédent article de ce blog nous avions d’ailleurs montré qu’une partie des ménages abonnés utilisaient leur abonnement à la fois pour leurs propres besoins en tant que consommateurs mais aussi pour des activités génératrices de revenus.

Nous avons constaté que dans les localités équipées, l’indice de richesse des ménages a augmenté mais seulement si l’on tient compte de la possession d’appareils électriques. L’enrichissement des ménages par l’arrivée du mini-réseau ne semble donc pas pour l’instant avoir créé de transformation économique au-delà de l’acquisition par les ménages connectés de quelques appareils électriques requérant le passage à une puissance plus forte et une intermittence plus faible apportée par le mini-réseau. Des efforts restent à fournir pour les ménages les plus pauvres car même s’ils bénéficient de l’amélioration des services publics et des services de la boutique ne peuvent à date pas enclencher un véritable développement économique. Ce constat fait échos au fait que nous avions montré dans notre précédent article que pour l’instant  l’impact sur les activités génératrices de revenu s’était limité au passage à l’alimentation électrique de leurs outils de production par le mini-réseau.

Dans les domaines sociaux, l’arrivée des mini-réseaux a eu des impacts positifs sur la santé. La situation s’est particulièrement améliorée du fait de la connexion des centres de santé primaire (csb2) aux mini-réseaux. L’amélioration de la santé publique a aussi bénéficié d’une synergie avec d’autres programmes nationaux et internationaux en collaboration avec la Banque Mondiale et UNICEF notamment pour les campagnes de vaccination.

Les impacts observés à ce jour paraissent limités mais il faut relativiser ce constat par le fait que l’on ne voit pour l’instant que des impacts à court terme. Ainsi, si toutes les localités équipées atteignaient les mêmes résultats que la localité la plus performante en termes de connexions de ménages, Talata Dondona (36%), on atteindrait le double de connexions des ménages. Par ailleurs, les transformations économiques pouvant être stimulées par les impacts purement énergétiques sont nécessairement longues à obtenir. Il en va de même des progrès socio-économiques pouvant requérir, comme dans le cas de la santé, des politiques publiques complémentaires.

[1]  599 ménages ont été interrogés lors de la première vague (2017/2018) et 595 lors de la deuxième vague (2023). 133 ménages de la première vague n’ont pas été retrouvés lors de la seconde. Ils ont été remplacés par 129 nouveaux ménages. Au total, 466 ménages ont été enquêtés au cours des deux vagues.

 

Dans la même série “Mesurer l’impact des projets d’électrification décentralisée”, découvrez les articles suivants : Les Cafés Lumière de Madagascar (1/4), Utilisation de la télédétection: premiers résultats sur l’impact des Cafés Lumière (2/4), Caractérisation des impacts sur l’accès à l’électricité à partir des données de localité (3/4).

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Mesurer les impacts des projets d’électrification décentralisée (3/4). Caractérisation des impacts sur l’accès à l’électricité à partir des données de localité

Pour Entreprenante Afrique nous présentons en quatre articles le projet Cafés Lumière à Madagascar et comparons les résultats de différentes méthodes d’évaluation alternatives réalisée à des coûts abordables pour évaluer…

Pour Entreprenante Afrique nous présentons en quatre articles le projet Cafés Lumière à Madagascar et comparons les résultats de différentes méthodes d’évaluation alternatives réalisée à des coûts abordables pour évaluer l’existence d’impacts positifs du projet sur les objectifs de développement. Dans ce  troisième volet, nous mobilisons les rapports d’activité de l’opérateur Anka qui fournissent, pour chaque localité équipée, des séries mensuelles de consommation d’électricité par grands types d’usage et les données associées sur le nombre de clients, que nous complétons avec les premiers résultats de l’enquête socioéconomique menée en 2017/18 et 2023,  dans son volet enquête de localité.  Ces données, permettant en partie des comparaisons avec les localités témoins (non équipées) permettent aussi d’identifier les principaux canaux de transmission de l’accès à l’électricité  sur les objectifs de développement durable . Cette analyse sera complétée dans la quatrième livraison de ce blog par le traitement du volet ménages de l’enquête, dans lequel les réponses de 50 ménages par localité permettront d’affiner le diagnostic en considérant les effets aval de l’électrification sur le bien-être des ménages.

 

Performances d’ensemble de la production d’électricité

Nous avons montré précédemment que le projet Cafés Lumière a eu un impact positif sur l’accès à l’électricité dans les localités concernées. Cet impact peut être variable d’une localité à l’autre. Une illustration de l’impact des Cafés Lumière sur la mise à disposition d’électricité par le mini-réseau est fournie par la Figure 2, qui compare la consommation électrique totale annuelle en 2022 au potentiel de production des panneaux solaires (convertie en MWh annuels).

Figure 1 : production potentielle d’électricité et consommation totale d’électricité par localité en 2022

Figure 1 : production potentielle d’électricité et Consommation totale d’électricité par localité en 2022

La Figure 1 montre que plus l’installation dispose d’une puissance élevée et plus la quantité d’électricité consommée hors éclairage public est élevée. Cette relation n’indique cependant pas nécessairement une relation causale car la puissance des installations a été établie en fonction de la population à électrifier.  La relative faiblesse des ratios entre consommation journalière et production potentielle  correspond au fait que la courbe de charge journalière est très loin d’être plate. De fait, dans l’enquête localité de 2023 il est souvent rapporté que le mini-réseau sature déjà sa capacité en période de pointe ce qui constitue une contrainte forte pour les quelques abonnés en triphasé.

Les installations à Ambatonikolahy et Amparaky semblent produire en dessous de leur potentiel, ce qui peut être dû à un faible nombre d’abonnés ménages, les plus gros consommateurs étant, comme ailleurs, contraints par la capacité. À Ambohimalaza, la production photovoltaïque insuffisante  en période de pointe (utilisation de la décortiqueuse) est  compensée par la mobilisation du générateur diesel de secours. Un examen plus approfondi des rapports d’activité d’Anka va nous permettre de préciser ces commentaires, tout comme il sera l’occasion de comparer les progrès obtenus dans les principales catégories de consommation.

 

Consommation des ménages

Les ménages ont initialement bénéficié de l’activité des Cafés Lumière par la création des boutiques. Ces boutiques, fonctionnant sur le mode d’un kiosque énergétique ont le mérite de s’adresser aux personnes qui n’ont pas les moyens de payer un abonnement au mini-réseau. Les recettes des boutiques semblent indiquer que de nombreux ménages ont été au départ clients de la boutique, puis se sont abonnés au mini-réseau.  Même si le rôle des boutiques a été essentiel au début, l’effet quantitatif  principal du projet passe maintenant par ce dernier canal.

Figure 2 : Évolution du nombre de ménages abonnés

La Figure 2 présente l’évolution du nombre de ménages abonnés. Celle-ci est dynamique, mais avec une grande diversité de situations. En dehors des Cafés Lumière de Ambatonikolahy, Ambohimalaza et Amparaky, on constate une croissance de l’usage d’électricité par les ménages assez forte, mais cette croissance est extensive plutôt qu’intensive (pas de dynamique notable de la consommation par abonné, de l’ordre de 5kWh par mois). Pour atteindre de véritables effets économiques, il faut parvenir à une intensification des usages électriques par les ménages qui ajouteraient à l’éclairage domestique des consommations pouvant créer des revenus. Des informations complémentaires fournies par Anka sur la structure de la consommation d’électricité en 2023 vont nous permettre d’observer dans la section suivante le démarrage de cette dynamique.

 

Consommation des activités génératrices de revenus

L’autre source principale d’impacts économiques est bien sûr le développement des activités génératrices de revenus (AGRs) dont la création ou la modernisation dépend de l’usage de l’électricité. De ce point de vue, les résultats semblent mitigés. A ce jour, il n’y a que très peu d’AGRs mentionnés dans les rapports d’activité d’Anka : au maximum 4 à Antanamalaza. Par ailleurs, la plupart de ces activités ont des consommations d’électricité modestes, les seules exceptions étant les décortiqueuses et broyeurs, liés à l’activité agricole à Ambatonikolahy, Ambohimalaza, Antsampandrano et Amparaky. Les autres activités sont diversifiées, elles concernent des activités de bar, menuiserie, coiffure, pâtisserie, peinture automobile, poissonnerie, jeux vidéo.

Sauf exceptions, le développement des AGRs est nécessairement lent à se produire, et  des données complémentaires fournies par Anka sur la situation actuelle début 2023 indiquent un réel potentiel d’évolution. En effet Anka a constaté qu’un certain nombre de ménages utilisent déjà leur abonnement pour faire fonctionner des appareils électriques permettant  des activités productives sans avoir d’abonnement en tant qu’entrepreneurs.  Il y aurait ainsi à mi-2023, 32 utilisateurs d’électricité produite par le mini-réseau à des fins de production de services, dont seulement 12 AGRs déclarées en tant que telles. Les 20 producteurs comptés dans les ménages (représentant 5% du total des ménages abonnés) ont des activités variées, telles que bars, épiceries-bars, gargotes, vente de jus de fruit, recharges de téléphones, multiservices, soudure. Ces activités se retrouvent dans toutes les localités et leur diversité atteste d’un certain dynamisme. Il faut noter de plus que les gargotes et boutiques, identifiées dans le volet localité de notre enquête socio-économique, en moyenne au nombre de 5 par localité,  ne sont que partiellement mentionnées comme producteurs de services  par Anka.

On ne peut pas séparer la consommation des ménages producteurs de services de la consommation totale des ménages mais on peut en avoir une approximation en utilisant les données sur les consommations des AGRs déclarées comme telles. Cette consommation estimée est sensiblement supérieure, de l’ordre de 40%, à celle des autres ménages abonnés. Le développement de ces activités pourrait par la suite accroitre la demande d’électricité  destinée à des usages productifs et donc les impacts économiques des Cafés Lumière.

Les données du volet localité de l’enquête socio-économique permettent une interprétation plus précise de ces données de consommation.  Il n’y a pas de forte augmentation du nombre des activités de production de services, et pas plus dans les localités électrifiées par le mini-réseau que dans les localités témoins. En revanche, alors que ces activités fonctionnaient auparavant, et fonctionnent toujours dans les localités témoins, avec des générateurs diesels et des panneaux solaires individuels, elles se sont quasiment toutes converties à l’électricité apportée par le mini-réseau dans les localités équipées. Cela constitue une source de progrès pour ces dernières, de même que, pour toutes les activités converties du diesel au mini-réseau solaire (en moyenne plus de 6 par localité), une source de contribution à la préservation de l’environnement.

 

Services collectifs

La dernière catégorie de consommation d’électricité recensée par Anka est celle des services collectifs. Elle représente une part minoritaire de l’électricité consommée sur le mini-réseau en 2022. Elle peut néanmoins engendrer des impacts non-négligeables sur la réalisation des objectifs du développement durable : santé (ODD3), éducation (ODD4), Paix, justice et institutions efficaces (ODD16).

L’objectif santé fait l’objet d’une assez grande attention, avec tous les centres de santé de base (csb2) des localités électrifiées  (5 csb2 dans 6 localités alimentés par le mini-réseau, et une consommation moyenne mensuelle de 23 kWh par csb2. Par comparaison, la moitié était électrifiée (par des panneaux solaires) en 2017. Tous ces centres de santé bénéficient maintenant de l’éclairage et de réfrigération, mais l’utilisation de l’électricité pour faire fonctionner des appareils médicaux est  encore rare. La situation est très différente dans les localités témoins où seulement la moitié des centres de santé ont accès à de l’électricité en 2023, produite par des panneaux solaires.

L’éducation est également concernée, mais avec des ambitions plus réduites. A partir d’une situation où aucune école n’était électrifiée en 2017, la moitié des écoles dans les localités équipées sont électrifiées mais avec une consommation faible (1,8 kWh par mois par école électrifiée). Par comparaison aucune école ne dispose d’électricité dans les autres localités.

Les activités collectives associées à l’ODD16, 8 structures administratives et 10 églises, consomment en moyenne en 2022 8 kWh par mois et par structure dans les localités électrifiées.  Dans ces localités, environ la moitié des mairies et des gendarmeries est électrifiée dans les localités  équipées d’un mini-réseau. Les églises y sont, quant à elles toutes électrifiées.

Par ailleurs l’éclairage public peut aussi avoir des impacts sur l’ODD16, en rapport avec la sécurité. Toutes les localités électrifiées par les Cafés lumière ont investi dans l’éclairage public, mais pas de manière prioritaire, son branchement sur le mini-réseau ayant été parfois retardé. Son amplitude nocturne est réduite en dehors d’Ambatonikolahy et de Talata Dondona. Par ailleurs la mairie d’Amparaky y a renoncé en 2022 en raison de coûts jugés trop élevés (cette situation étant évolutive en 2023).  Au total, en 2022, les localités électrifiées n’ont consommé que 12 kWh par mois pour l’éclairage public, soit moins que pour les  structures administratives ou les églises.

L’éclairage public disponible n’est pas significativement différent dans les localités avec mini-réseau que dans les localités témoins, avec en moyenne de l’ordre de 5 lampadaires par localité. Le mini-réseau alimente 2/3 des lampadaires dans les localités concernées. Cela ne semble pas améliorer la situation sécuritaire. Les deux localités avec mini-réseau assurant un éclairage nocturne prolongé ne font pas état de moins de problèmes de sécurité. Les principaux problèmes sont associés au vol de récoltes et il semble que le principal facteur d’amélioration de la sécurité soit l’activité de la gendarmerie.

 

Dans la même série “Mesurer l’impact des projets d’électrification décentralisée”, découvrez aussi les articles suivants : Les Cafés Lumière de Madagascar (1/4), Utilisation de la télédétection: premiers résultats sur l’impact des Cafés Lumière (2/4), Caractérisation des impacts sur l’accès à l’électricité à partir des données de ménages (4/4).

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Mesurer l’impact des projets d’électrification décentralisée (2/4). Utilisation de la télédétection : premiers résultats sur l’impact des Cafés Lumière

Les évaluations courantes des projets d’électrification décentralisée ne permettent en général pas de prouver leurs impacts, et pour ce faire il faudrait mener des travaux couteux et longs à réaliser…

Les évaluations courantes des projets d’électrification décentralisée ne permettent en général pas de prouver leurs impacts, et pour ce faire il faudrait mener des travaux couteux et longs à réaliser car nécessitant des informations nombreuses et détaillées non seulement dans les localités équipées mais aussi dans des localités témoins. Pourtant des preuves d’impacts sont essentielles pour aider à la prise de décision des décideurs publics, nationaux mais aussi parfois internationaux, pour un passage à l’échelle de ces solutions.

Pour Entreprenante Afrique nous présentons en quatre articles les Cafés Lumière à Madagascar d’Electriciens sans frontières et comparons les résultats de différentes méthodes d’évaluation alternatives réalisées à des coûts abordables pour tester et évaluer l’existence d’impacts positifs du projet sur les objectifs de développement durable.  Dans ce deuxième volet, nous explorons la possibilité de tester la présence d’impacts à partir de données de télédétection, en général peu couteuses à mobiliser.

 

Contribution de la télédétection aux analyses d’impact

La télédétection repose sur l’imagerie satellitaire disponible à des degrés de granularité très fins sur la quasi-totalité du globe et accessible presque en temps réel et à faible coût pour un certain nombre de phénomènes terrestres mesurables et signifiants pour étudier les activités humaines. En ce qui concerne l’impact des projets d’électrification, la mesure par imagerie satellitaire de la luminosité nocturne peut être utilisée pour des études d’impact, dès lors que l’on a acquis une bonne expérience de l’interprétation de ces données. Il a été montré de manière répétée que l’augmentation de la luminosité nocturne est un bon corrélat des progrès de l’électrification au cours du temps, y compris à des niveaux fins de granularité (voir Berthélemy, 2022, dans The Conversation). Il est même considéré que l’augmentation de la luminosité nocturne est un reflet de la croissance de l’activité économique (Hu and Yao (2022).

Toutefois, les détracteurs de cette nouvelle approche utilisant l’observation de phénomènes naturels corrélés partiellement aux conséquences des activités humaines présente un risque de biais d’évaluation. Dans notre cas, la luminosité nocturne, par définition, mesure la lumière produite la nuit par de l’éclairage, notamment l’éclairage public, mais n’a pas de rapport direct avec la consommation totale d’électricité dont elle représente généralement une faible fraction, et encore moins avec ses effets sur le développement socio-économique.  Si l’éclairage public pourrait avoir un impact sur la sécurité, et donc aussi sur l’activité économique, il ne saurait refléter qu’une fraction des conséquences de l’électrification sur les activités humaines.

 

Application : les mini-réseaux des Cafés Lumière ont un impact significatif à partir de 2021

La luminosité nocturne permet une détection d’impacts de l’électrification pratiquement en temps réel. Pour illustrer ce propos nous avons calculé la luminosité nocturne moyenne annuelle pour les 6 localités équipées et pour 6 localités comparables mais non-équipées, choisies par Electriciens sans frontières par tirage au sort pour former un groupe traité et un groupe témoin.

Les données ont été analysées en prenant en compte les contraintes suivantes :

  • Les différentes localités n’ont pas été équipées en même temps ;
  • La mise en place des Cafés Lumière a été progressive avec l’installation en priorité de la boutique avant la mise en service du mini-réseau. La boutique présentant par construction peu d’effet d’émission de lumière, c’est en testant l’effet de la mise en route du mini-réseau que l’on peut tester en premier lieu l’impact des Cafés Lumière ;
  • L’éclairage public alimenté par le mini-réseau est en fonctionnement aux heures de passage du satellite (ente 0h et 2h du matin dans notre cas) dans seulement 2 localités : Ambatonikolahy et Talata Dondona.

Figure 1. Évaluation de la luminosité nocturne (moyennes annuelles 2013-2022) dans les localités équipées et non équipées (radiance mesurée en w/cm2_sr)

Figure 1. Évaluation de la luminosité nocturne (moyennes annuelles 2013-2022) dans les localités équipées et non équipées (radiance mesurée en w/cm2_sr)

La Figure 1 montre une évolution parallèle de la luminosité nocturne moyenne des 6 villages équipés et de celle des 6 villages témoins jusqu‘en 2020, le premier groupe présentant au contraire des performances meilleures en 2021 et 2022. L’écart est d’environ 10% par rapport aux données antérieures, ce qui n’est pas très élevé compte tenu du faible niveau initial mais est statistiquement très significatif. Notre conclusion de cette Figure 1 est confirmée par un test statistique formellement plus rigoureux, qui utilise les données mensuelles par localité, en contrôlant pour les effets de la saisonnalité et des effets fixes propres à chaque localité traitée ou non traitée.  La mise en route du mini-réseau conduit à une augmentation de la luminosité nocturne comparable à celle révélée par la Figure 1 et statistiquement très significative.

Les craintes d’un biais dû à la présence de l’éclairage public ne sont potentiellement justifiées que dans le cas de 2 localités sur 6 (Ambatonikolahy et Talata Dondonna). Ces craintes ne sont pas totalement justifiées.  En effet, quand on essaie de prendre en compte conjointement la présence du mini-réseau et celle de l’éclairage public, cette dernière n’a aucun effet significatif. De plus quand on estime le même modèle en excluant ces 2 localités, les résultats obtenus, s’agissant de la significativité de l’impact des mini-réseaux, ne changent pas.

L’éclairage public n’a pas d’effet significatif dans nos tests, mais cela veut dire seulement qu’on ne peut pas démontrer qu’il en a un, ce qui est peut être dû à une faible puissance des tests statistiques mis en œuvre. De plus le biais peut exister à Ambatonikolahy et à Talata Dondona.

Nous avons mobilisé les données de l’opérateur Anka, qui reporte mois par mois les différentes composantes de la consommation d’électricité, en séparant la consommation pour l’éclairage public des autres consommations d’électricité, sachant que l’éclairage public créé a priori beaucoup plus de radiance, et donc de luminosité nocturne, que les autres consommations d’électricité. Cette propriété est amplement vérifiée dans nos données, et cela nous permet de calculer un ordre de grandeur du biais contenu dans les données de pour évaluer l’accès à l’électricité en présence d’éclairage public en milieu de nuit. Pour Ambatonikolahy et Talata Dondona, ce biais est de l’ordre de 40% en année pleine (2022). Il est donc souhaitable, quand cela est possible, de mobiliser des données complémentaires pour évaluer les impacts des mini-réseaux, ce que nous ferons dans les prochaines livraisons de ce blog.

 

Dans la même série “Mesurer l’impact des projets d’électrification décentralisée”, découvrez aussi les articles suivants : Les Cafés Lumière de Madagascar (1/4), Caractérisation des impacts sur l’accès à l’électricité à partir des données de localité (3/4), Caractérisation des impacts sur l’accès à l’électricité à partir des données de ménages (4/4).

 

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Résilience et adaptation en période d’insécurité : le renouveau du Mali passera par le secteur privé (2/2)

Les récentes crises et les vulnérabilités structurelles qui en découlent ont considérablement diminué la capacité des pays du Sahel, déjà historiquement très faible, à attirer l’investissement. À titre d’exemple, après…

Les récentes crises et les vulnérabilités structurelles qui en découlent ont considérablement diminué la capacité des pays du Sahel, déjà historiquement très faible, à attirer l’investissement. À titre d’exemple, après un record historique de 860 millions USD en 2019 (5% du PIB), les investissements étrangers directs vers le Mali (entrées nettes)  ont drastiquement chuté pour n’atteindre que 252 millions en 2022 (1,3% du PIB). 

Peu priorisé dans un contexte sécuritaire fragile, le développement du secteur privé joue pourtant un rôle central pendant et après les situations conflictuelles. L’expérience a démontré que le secteur privé demeure actif même en période de conflit et qu’il est capable de s’adapter pour surmonter les chocs systémiques.

Dans cet entretien, Mohamed Keita, entrepreneur malien, Directeur et Co-fondateur de Zira Capital, entreprise créée en 2022 et dédiée au financement et à l’accompagnement des start-ups et PME au Mali, partage son expérience de levée de fonds et plaide pour la nécessité de continuer de soutenir le secteur privé malgré un contexte sécuritaire et socio-politique difficile.

 

Entreprenante Afrique : Pouvez-vous faire un état des lieux de la situation entrepreneuriale au Mali ?

Mohamed Keita : Depuis une dizaine d’années, l’économie malienne a été impactée par les effets combinés de la crise sécuritaire et les crises politico-institutionnelles. Nous restons très attentifs face à l’évolution de la situation et notre souhait en tant qu’entrepreneur est bien sûr de retrouver rapidement un environnement des affaires stable.

Malgré ce contexte difficile, malgré les défis, nous observons que les entrepreneurs arrivent toujours à créer des opportunités localement. Ils développent des projets et des biens qui satisfont les besoins locaux. Ils créent et maintiennent des emplois qui font vivre des milliers de ménages et qui stimulent par la même d’autres aspects de l’activité économique. 

Les entreprises maliennes font preuve d’une résilience exceptionnelle mais ont besoin de partenaires stratégiques pour les accompagner,  ce sur le plan financier et extra financier. C’est la raison pour laquelle, avec d’autres acteurs (la BNDA, Investisseurs & Partenaires et un certain nombre de particuliers), nous avons entrepris de lancer le fonds Zira Capital. L’objectif est d’accompagner ces petites entreprises locales à travers des mécanismes de financement et des outils adaptés à leur projet de développement.

 

Lever un fonds pour soutenir l’entrepreneuriat dans un pays qui présente autant de risques n’est pas une mission évidente… Quel a été votre discours envers les financeurs ? 

M. K.: Le modèle de Zira Capital, fonds co-créé par ou avec des acteurs locaux pour financer des entreprises locales en capital, est un modèle qui a déjà été mis en place et commence à faire ses preuves dans d’autres pays africains, dans d’autres pays de la zone Sahel, notamment au Burkina Faso et au Niger. Par contre, c’est un dispositif inédit dans l’écosystème entrepreneurial malien. 

L’initiative a été bien accueillie, et a suscité de l’enthousiasme auprès des entrepreneurs maliens. Avant même la création officielle de la société de gestion, nous avions pu constituer un pipeline de projets de qualité. Nous avons constitué une base de donnée d’entreprises à fort potentiel dans des secteurs variés, des secteurs en lien avec les besoins fondamentaux de l’économie malienne : l’agroalimentaire qui participe à hauteur de 45% à la formation du PIB et occupe 80% de la population, mais aussi dans l’énergie, les services essentiels, la santé et l’éducation. 

Notre principal argument pour convaincre sur la nécessité de créer notre dispositif de financement a d’ailleurs été ce pipeline constitué d’entrepreneurs de qualité, ancrés dans le pays et dont les besoins ont été clairement identifiés.

Investir dans un pays comme le Mali implique bien évidemment de prendre un certain degré de risque. Mais des mécanismes peuvent être mis en place pour les limiter. Durant la levée de fonds, qui a durée plusieurs années, nous avons fait face à de nombreux défis. Nous avions identifié énormément de partenaires potentiels notamment certaines filiales de multinationales avec qui les discussions étaient arrivés à un stade avancé, mais dont les enthousiasmes se sont peu à peu calmés eu égard de l’évolution de la situation politique. Ce qui est compréhensible à partir du moment où un certain degré de sécurité de l’investissement ne peut plus être garanti. 

Mais fort heureusement pour nous, la grande majorité des investisseurs identifiés dès le début du projet ont maintenu leur confiance en nous et notre projet et nous ont accompagnés dans notre premier closing en 2022. 

“Investir dans un pays comme le Mali implique de prendre un certain degré de risque, mais des mécanismes peuvent être mis en place pour les limiter.”

 

Les pays du Sahel ont reçu une aide publique significative de la communauté internationale ces dernières années, pour un bilan mitigé. Faut-il repenser l’aide publique au développement au Mali ? Et en quoi l’investissement dans les PME représente  une alternative plus efficace/impactante ?

M.K. :  En 2021, le Mali a reçu 1.42 Milliard USD d’aide publique au développement. Ce qui représente une ressource importante pour le pays de manière générale. Je ne dirais pas que l’aide est inopportune, mais que ce dispositif doit être davantage fléché sur des acteurs terrain, notamment les entreprises privées. Certaines approches historiques de l’aide publique ont montré leurs limites. Et il s’agirait de déployer des mécanismes innovants et des moyens plus conséquents pour permettre aux institutions publiques de financement du secteur privé (DFIs) d’être plus présentes, plus rapides et plus performantes. 

Je fais partie de ceux qui sont convaincus que le développement de nos États, notamment des États fragiles comme le Mali, passera forcément par le développement d’un tissu de petites et moyennes entreprises. Et un moyen efficace de le faire serait de faire le pari de mettre davantage de ressources à la disposition de ces entreprises-là, surtout des ressources qu’elles ont du mal à mobiliser localement. 

“Je fais partie de ceux qui sont convaincus que le développement de nos États, passera par le développement d’un tissu de petites et moyennes entreprises. Les dispositifs d’aide publique au développement devraient être davantage fléchés sur ces PME.”

Ce qu’il faut noter, c’est que le tissu entrepreneurial malien est très vivant. Il y a une forte effervescence, il y a de plus en plus de personnes qui se lancent. Des personnes plutôt jeunes, qui apportent des solutions nouvelles, qui  développent des services de qualité, qui arrivent à lancer des projets. Ceci fait naître une note d’espoir dans le tableau général du pays qui est quand même assez compliqué, avec une crise sécuritaire et une instabilité politique qui perdurent depuis une dizaine d’années. Pour ma part, je fais partie de ceux qui font le pari que le renouveau du Mali viendra en grande partie du secteur privé.

 

Aller plus loin : dans la série “Résilience et Adaptation”, découvrez l’article de Maïmouna Baillet,“Le combat des entrepreneures nigériennes”.

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Résilience et adaptation en période d’insécurité : le combat des entrepreneures nigériennes (1/2)

La femme nigérienne a de tous temps brillé par sa résilience, par instinct de survie dans un environnement aride et hostile.  Si les écrits, dans une histoire africaine traditionnellement orale,…

La femme nigérienne a de tous temps brillé par sa résilience, par instinct de survie dans un environnement aride et hostile. 

Si les écrits, dans une histoire africaine traditionnellement orale, sont relativement récents, ils commencent dès la fin du 19e siècle à nous vanter le courage d’une reine guerrière, figure de la résistance face aux colons – Sarraounia Mangou. De 1960 à 1974, le Niger refait parler de lui à travers sa première « Première Dame », Mme Aïssa DIORI, qui charme, certes, par sa grande beauté, mais surtout par son charisme inégalé et son intelligence rare. Ainsi, « son prestige rayonne à travers le monde. Côtoyant les grands de ce monde (Elisabeth II, Haïlé Sélassié, Nasser, De Gaulle, Johnson…), Madame Diori impose respect et admiration. Aux côtés de son époux, elle entamera, sans bousculer, l’émancipation féminine par le travail et la rigueur, dans cette région afro-musulmane. » Elle a tant et si bien incarné la résilience. Tant dérangée, qu’elle a été personnellement visée et mortellement touchée lors du coup d’Etat de 1974.

En 1992, le Niger instaure, en plus du 8 mars qui est mondialement célébré, une journée de la femme nigérienne, afin d’honorer cette résilience. En effet, suite à la marche historique de 1991 des femmes pour réclamer une plus grande représentativité au sein de la commission préparatoire de la Conférence Nationale Souveraine, le 13 Mai symbolise désormais la journée de la femme nigérienne instituée par décret présidentiel.

 

Ceci étant dit, rappelons quelques aspects de cet environnement hostile. Bien que représentant 50,60% de la population, les femmes affichent le taux d’analphabétisme le plus élevé, atteignant 78%  (contre 60% pour les hommes) et sont également les plus pauvres. En effet, quatre pauvres sur cinq sont des femmes, coulant sous le poids des barrières socioculturelles et économiques telles que la dépendance matérielle, caractérisée par un faible pouvoir de décision, une pénibilité des travaux et un difficile accès aux services de base. Une dépendance financière se traduisant par une monétisation faible, un accès  laborieux aux connaissances, aux emplois et aux ressources productrices.

Le Niger détient deux tristes records, impactant tous les deux les femmes : le plus fort taux de fécondité au monde (6,2 enfants par femme en 2021 vs 7,6 en 2012) et le plus fort taux de mariages précoces : 77% de nos filles sont mariées avant 18 ans et 28% avant 15 ans. Et il ne s’agit là que des chiffres officiels… beaucoup pensent que la réalité est encore plus alarmante.

Dans ce contexte, les femmes ont très vite compris que la solidarité – qui rejoint le concept en vogue de sororité – était leur seule option et les entrepreneures ne font pas exception à cette tendance.

 

Culturellement, elles sont cantonnées à un type de métiers “acceptables” pour des femmes : la couture, l’esthétique, la transformation agro-alimentaire ou la commercialisation de fruits et légumes et la cuisine qui sont également des secteurs à faible marge, à faible revenu. Et avec de faibles barrières à l’entrée, la concurrence y est donc importante, et les activités y sont souvent informelles.

Dans les villes, elles dirigent ou s’investissent dans des TPE et des PME. Elles cumulent les initiatives et les emplois. Lorsqu’elles ont eu accès à une formation, elles conservent leur emploi salarié et développent leur TPE en parallèle. L’insécurité ne les affecte pas beaucoup, elles aménagent simplement leurs horaires et prennent des précautions pour éviter les zones dangereuses à la périphérie. 

Dans les zones rurales, elles exercent des activités génératrices de revenus. Dans les villages, les femmes s’occupent traditionnellement des cultures maraîchères, de l’élevage de volaille et de petits ruminants. Ces revenus leur permettent de contribuer à prendre en charge la famille. Avec l’insécurité, les pillages et les agressions ont privé nombre d’entre elles de revenus, entraînant une hausse des prix sur les marchés et une paupérisation de communes entières. La migration forcée, l’exode rural et les pertes des pères de famille et des fils au front, ont augmenté la vulnérabilité des femmes rurales et les violences basées sur le genre. 

Toutefois, depuis 1992, elles s’organisent en Union. Il s’agit d’une association ou structure de femmes qui ont décidé volontairement de se regrouper pour défendre des intérêts communs, mais surtout construire leur autonomisation financière à travers des tontines – le plus souvent 100% féminines. L’insécurité a renforcé davantage cette solidarité. 

Le système financier s’est également adapté et propose de plus en plus des produits à ces groupements, qui accèdent ainsi à l’épargne puis au crédit, et peuvent s’affranchir de la garantie ou de la caution qui leur était donnée par un homme. La dématérialisation des tontines traditionnelles permet également de lutter contre les pillages et de sécuriser les avoirs de ces unions de femmes. 

Rurales ou urbaines, les entrepreneures nigériennes s’organisent, construisent et poursuivent leur résilience. Des groupes dédiés aux entrepreneures se créent sur les réseaux sociaux, des associations professionnelles également, ainsi que des incubateurs exclusivement dédiés aux femmes. Une institution de microfinance, la MECREF, a fait le pari depuis plus de 20 ans de s’adresser à une clientèle constituée à 100% de femmes. En effet, au Niger comme dans le reste du monde, les études montrent que les entrepreneures sont de meilleures payeuses que les hommes. 

“Rurales ou urbaines, les entrepreneures nigériennes s’organisent, construisent et poursuivent leur résilience.”

 

Il n’en demeure pas moins que la situation reste critique dans de nombreuses régions. Depuis le début de l’année 2023, selon les chiffres officiels, environ 670.000 déplacés forcés ont été recensés au Niger, dont 52% sont des femmes.

Les femmes nigériennes auront un rôle de plus en plus important à jouer dans la reconstruction de la paix au Niger. Souvent, les familles de militaires se retrouvent seules avec des femmes à leurs têtes. Et comme ce que l’on a pu observer lors des grandes guerres mondiales en Europe, les femmes sont tout à fait capables de maintenant prendre la tête de ces familles là et de pouvoir avoir une activité économique génératrice de revenus qui va prendre en charge la famille. 

Leur résilience est encore mise à l’épreuve suite au Coup d’État du 26 juillet 2023. Les sanctions pèsent sur les ménages et sur les femmes en particulier, notamment la hausse des prix des denrées alimentaires. Les Nigériennes appellent davantage à la paix et au recours à une sortie de crise diplomatique mais se passionnent également pour cette page historique que le pays tout entier écrit désormais.

“Leur résilience est encore mise à l’épreuve suite au Coup d’État du 26 juillet 2023”

 

Ainsi, plus que jamais, l’autonomisation des femmes participe au développement économique et doit être une priorité. Cela a un impact plus important au niveau de la santé, au niveau de l’éducation et au niveau du développement économique en général. Et le fait qu’elles s’impliquent davantage et que nous puissions les accompagner davantage aura un impact sur la sécurité de manière transversale et de manière localisée.

Aller plus loin : dans la série “Résilience et Adaptation”, découvrez l’article de Mohamed Keita,”Le renouveau du Mali passera par le secteur privé“.

 

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Mesurer les impacts des projets d’électrification décentralisée (1/4). Les Cafés Lumière de Madagascar

L’électrification distribuée hors réseaux nationaux, par les mini-réseaux, terme générique utilisé ici indépendamment de leur taille (pico, micro, mini ou petits,) constitue la principale voie pour donner accès à l’électricité…

L’électrification distribuée hors réseaux nationaux, par les mini-réseaux, terme générique utilisé ici indépendamment de leur taille (pico, micro, mini ou petits,) constitue la principale voie pour donner accès à l’électricité à la population rurale africaine, et contribuer à l’atteinte de l’ODD7 (Objectif du Développement Durable n°7 : garantir l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables et modernes, à un coût abordable). Pourtant le secteur des mini-réseaux progresse insuffisamment, les décideurs publics, nationaux mais aussi parfois internationaux, peinant à prendre la décision d’un passage à l’échelle par manque de preuves d’impacts de ce secteur ; ce que les économistes et les évaluateurs n’ont pas su fournir jusqu’à présent dans ce secteur.

Pour Entreprenante Afrique nous présentons en quatre articles le projet de mini-réseaux Cafés Lumière à Madagascar, les limites de son évaluation standard réalisée pour des besoins de redevabilité, qui ne permet pas d’apporter de véritables preuves d’impact et différentes voies alternatives pour tester et documenter les impacts socio-économiques du projet.

 

Les Cafés Lumière de Madagascar : une boutique, un lieu d’accueil et un mini-réseau

La solution Café Lumière, créée et développée à partir de 2019 par Électriciens sans frontières, propose dans six villages des régions du Vakinankaratra et de Itasy une boutique couplée à une centrale solaire photovoltaïque sécurisée par des batteries et un groupe électrogène.

Les Cafés Lumière ont pour particularité d’être à la fois un mini-réseau et une plateforme énergétique multiservice. C’est-à-dire que le Café Lumière, placé en général au centre du village, dispose d’une boutique qui offre des services tels que la charge de téléphones, de lampes tout en alimentant en électricité les autres besoins des populations. La plateforme multiservice propose ainsi des services énergétiques et un espace accueillant pour des activités productives souhaitant bénéficier d’électricité. Le mini-réseau propose l’alimentation en électricité depuis le Café Lumière grâce à des raccordements de proximité des ménages, des acteurs productifs, de l’éclairage public et des services collectifs. Une partie de la consommation d’électricité de ces derniers est prise en charge via une contribution perçue sur les ventes auprès des autres usagers, ménages et entreprises.

Quatre principes fondamentaux régissent l’installation de Cafés Lumière :

  1. La garantie de l’accès minimal à un service électrique pérenne à tous les membres d’une communauté rurale ;
  2. L’amélioration de la qualité des services collectifs (en particulier ceux dédiés à la santé et à l’éducation) en leur assurant durablement un accès minimal à l’électricité ;
  3. La contribution au développement des activités productives privées ;
  4. La contribution à un cadre politique et réglementaire permettant aux acteurs locaux d’être en capacité de gérer et d’entretenir de manière pérenne les installations et le service Café Lumière.

La solution repose sur un partenariat public privé entre le délégataire Anka, l’Agence de Développement de l’Électrification Rurale (ADER), les Structures Collectives de Gestion Mixte (SCGM) au niveau du village et le porteur de la solution, Electriciens sans frontières.

Le délégataire est en capacité d’intervenir au plus près des populations rurales isolées grâce à son implantation dans chaque village concerné, ce qui permet non seulement de faire remonter les informations pertinentes et d’agir sur place (exploitation et maintenance des installations, vente de services, etc.). De plus, un système de suivi à distance de la production d’énergie est déployé et permet de suivre l’activité des Cafés Lumière. Il est, pour ces différentes raisons, un producteur essentiel de données de suivi-évaluation du projet, en produisant des rapports d’activité mois par mois. Les données sont ainsi harmonisées et détaillées permettant d’étudier les impacts du projet.

Le projet a été principalement financé par l’Agence française de développement (AFD) dans le cadre de la Facilité d’innovation sectorielle pour les organisations non gouvernementales (FISONG) et sa réplication dans le cadre d’une Note d’Initiative ONG (NIONG).

Les Cafés Lumière proposent donc une solution suffisamment innovante, reposant sur un financement pluripartite et dont les objectifs sont en soutien aux ODD pour que la question de leur implémentation à plus grande échelle puisse être posée.

 

Évaluation standard à des fins de redevabilité

Les agences d’aide pratiquent une approche standard d’évaluation de la bonne utilisation des fonds et commandent un rapport à un cabinet indépendant au moment de la remise du projet. Ce rapport tient lieu d’évaluation finale du projet, dès lors qu’il permet de respecter les règles usuelles de redevabilité.

Cette évaluation donne des résultats projectifs et correspond davantage à des impacts attendus plutôt qu’observés. En effet, dans le cadre d’un projet d’infrastructure, l’évaluation est menée à une date proche de celle de la mise en marche programmée des équipements, ce qui est beaucoup trop tôt pour observer des impacts qui sont attendus à moyen ou long terme. Cette évaluation sert assurément des objectifs administratifs mais ne fait pas nécessairement avancer la connaissance sur l’impact des projets sur les objectifs de développement durable.

Dans le cadre des Cafés Lumière, cette première analyse réalisée pour l’AFD conclut à des impacts importants sur les conditions de vie des populations et notamment des femmes, sur l’amélioration de la qualité des services publics (éducation, accès aux centres de santé, sécurité publique). Les résultats obtenus des focus groups soulignent l’appui considérable de ce projet au dynamisme économique et au développement des activités génératrices de revenus. Ces résultats sont encourageants et donnent une première indication de la dynamique engagée par les Cafés Lumière. Toutefois l’évaluation, achevée en janvier 2021, est intervenue à un moment où les projets complets Cafés Lumière n’étaient pas tous finalisés : les plateformes multiservices étaient ouvertes pour les 6 Cafés mais seulement 3 mini-réseaux étaient opérationnels dont un seul opérationnel depuis plus d’un an. La base d’informations mobilisée était donc trop étroite tant du point de vue de sa temporalité que de sa couverture géographique, pour conduire à des conclusions robustes.

D’un point de vue méthodologique ces évaluations standard pêchent non seulement par l’inadéquation de leur temporalité, mais aussi par l’absence de contrefactuel. L’évaluation standard des Cafés Lumière menée pour l’AFD ne cherche pas à comparer les localités traitées avec d’autres localités comparables mais qui n’ont pas été traitées. Électriciens sans frontière avait pourtant anticipé ce besoin, en tirant au sort les 6 localités traitées dans un groupe plus large de 12 localités, dans lesquelles des données de départ sur le profil socio-économique avaient été réunies en collaboration avec la FERDI. L’exploitation de ce cadre d’enquête, en elle-même couteuse, n’aurait certes pas été pertinente en 2020, et nous y reviendront dans le quatrième article de cette série, un second passage de l’enquête en mai 2023 étant en cours de traitement. Mais en attendant, d’autres voies d’investigations ont pu être menées, en combinant l’utilisation de données de télédétection et les rapports d’activité d’Anka.

 

Dans la même série “Mesurer l’impact des projets d’électrification décentralisée”, découvrez aussi les articles suivants : Utilisation de la télédétection : premiers résultats sur l’impact des Cafés Lumière (2/4), Caractérisation des impacts sur l’accès à l’électricité à partir des données de localité (3/4), Caractérisation des impacts sur l’accès à l’électricité à partir des données de ménages (4/4).

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Les universités africaines ferment-elles leurs portes aux femmes ?

Abidjan, début des années 60, la jeune Dicoh Mariam Konan entame des études de chimie au Lycée Technique. Elle deviendra la première femme chimiste de Côte d’Ivoire. Son portrait sur…

Abidjan, début des années 60, la jeune Dicoh Mariam Konan entame des études de chimie au Lycée Technique. Elle deviendra la première femme chimiste de Côte d’Ivoire. Son portrait sur les pièces de 25fcfa, encore en circulation aujourd’hui, illustre l’impact de son parcours. Il symbolise une Afrique de l’Ouest en progrès, avec des femmes instruites, alors que la période des indépendances bat son plein. 60 ans après, ce progrès est au ralenti, seul 8% de femmes ivoiriennes poursuivent des études secondaires. Un chiffre qui s’applique au reste des pays de l’Afrique subsaharienne. Comment expliquer cela ? 

Au cours des années, les femmes subsahariennes ont trouvé sur leur chemin de nombreux obstacles socio-économiques s’opposant à la poursuite d’études supérieures. Notamment, les stéréotypes liés au genre et à la place des femmes dans la société, la préférence marquée pour l’éducation des garçons et la pauvreté. En effet, le coût de l’enseignement supérieur pèse généralement plus sur les ménages pauvres que les ménages riches.

Pourtant, les études le prouvent les femmes ont un rôle primordial dans l’économie du continent. Selon l’UNESCO, les répercussions de l’éducation des filles sur la croissance économique nationale sont indéniables : une augmentation d’un point de pourcentage de l’instruction des filles entraîne un accroissement du produit intérieur brut (PIB) moyen de 0,3 point et un relèvement du taux de croissance annuel du[1] PIB de 0,2 point.

Ces données soulèvent plusieurs questions :

  • Quels sont les mécanismes à mettre en place pour assurer un accès durable à l’éducation supérieure pour les jeunes  filles ? 
  • Comment influer sur des pratiques sociétales ancrées  ? 

Retour sur 3 mécanismes mis en place par I&P Education et Emploi, visant à augmenter le nombre de jeunes filles inscrites dans les établissements d’enseignement supérieur pour leur permettre de trouver leur place sur le marché du travail.

Dépasser la barrière socio-économique

A l’ISM Ziguinchor, 11h, Elise, originaire de la région de Sédhiou au Sénégal, suit un cours de management. Après avoir interrompu sa scolarité suite à une grossesse, elle a bénéficié d’une bourse d’excellence de l’ISM Ziguinchor. Première institution d’enseignement supérieur de la capitale casamançaise, l’établissement est un bel exemple de parité, en effet, les jeunes filles représentent 55% des effectifs.

La politique est claire : « Lors de l’attribution des bourses, 60% de filles et 40% de garçons. A compétence égale le choix se porte sur la fille. », affirme Georges Bernard Ndèye, directeur de l’établissement. Lorsqu’on lui demande pourquoi les filles, la réponse est simple : « Le désir de sortir les filles de leur situation de vulnérabilité ».

L’enseignement supérieur a un coût supplémentaire pour les familles habitant les zones rurales ou sans université qui doivent se tourner vers des capitales ou les villes secondaires.  Pour les familles cela signifie des frais additionnels tels que le transport, l’hébergement, ou encore l’alimentation[2]. Au Ghana, par exemple, chez les ménages les plus défavorisés, l’envoi d’un jeune dans un établissement d’enseignement supérieur augmente de 37 % leurs dépenses non alimentaires[3], un sacrifice inenvisageable pour nombre d’entre eux.

L’envoi d’un jeune dans un établissement d’enseignement supérieur augmente de 37 % les dépenses non alimentaires d’un ménage pauvre au Ghana

Les étudiants et leurs familles analysent les avantages d’une formation supérieure, face aux revenus si le jeune travaillait juste après le lycée. Pour Priska Manga, Docteure à l’Université Cheikh Anta Diop, le premier obstacle des filles est la famille. Des normes sociales (rôle des hommes et des femmes dans la famille, mariage, maternités etc.) entrent également dans la balance. Un proverbe wolof dit “ Diangou Djiguène amoul ndieurigne”, les études d’une femme n’ont pas d’utilité. Investir dans l’éducation supérieure des jeunes filles, peut-être perçu comme une perte de temps et d’investissement pour les familles les plus vulnérables.

Le niveau d’éducation des parents est un facteur essentiel à la prise de décision. Lorsque le chef de famille a achevé le secondaire, les enfants ont 10 fois plus de chances poursuivre des études supérieures qu’un enfant au sein d’un ménage dont le niveau scolaire du chef de famille est inférieur. Ainsi, convaincre les familles vulnérables de l’importance des études supérieures des jeunes filles est nécessaire. Mais il est indispensable de coupler ce changement sociétal à des mécanismes de soutien financier. L’octroi d’une bourse peut conditionner la poursuite des études supérieures pour une jeune fille de milieu défavorisé.

Des infrastructures de proximité et adaptées

En 2016, l’ISM Ziguinchor souhaitant répondre aux problématiques d’hébergement de ses étudiants, a décidé d’ouvrir une antenne à Kolda, ville située à 500km de Dakar. A la rentrée scolaire, l’administration s’est aperçue que les effectifs étaient en majorité composés de filles mariées, dont les familles ne voulaient pas qu’elles s’éloignent pour leurs études. Les familles souhaitent garder leurs filles au sein d’un cercle familial, pour les protéger, mais aussi éviter tout incident qui mettrait à mal leurs réputations (grossesses indésirées, etc.). Rapprocher l’établissement des étudiantes dans les régions rurales permet d’augmenter leur accès à une éducation supérieure de qualité, lorsque les normes sociales les empêchent d’aller seules en ville. Pour les étudiantes mères, la mise à disposition de crèche sur le lieu d’apprentissage favorise le maintien dans les études. Pour aider les apprenantes à se concentrer sur leur formation, l’UNICEF a mis en place un système de garderie dans le cadre du projet “Girl Power” en Côte d’Ivoire. Le projet vise à renforcer les compétences entrepreneuriales des jeunes filles des banlieues[4].

  • Les dortoirs : lorsque l’école devient la maison

Les familles ont également recours à des systèmes de tutorat. L’étudiant (fille comme garçon) est placé sous l’autorité d’un tuteur, généralement une connaissance familiale. Le cas échéant, ou lorsqu’il y a des difficultés qui se présentent au sein de la famille d’accueil, les filles abandonnent leur scolarité.  Une autre solution est de faire de l’école le lieu de vie.  La construction de dortoirs dans les établissements permet aux familles de trouver une solution fiable à la question de l’éloignement du lieu d’apprentissage. Cette solution en cours d’expérimentation dans les Etablissements ESSECT Poincaré. Située dans la ville de Bouaké en Côte d’Ivoire, l’école accueille les élèves de toute la région -essentiellement agricole- et au-delà.

  • L’importance de structures sanitaires décentes et adaptées

En plus d’avoir des toilettes décentes, il s’agit également d’équipements adaptés à la physiologie féminine et disponibles dans les sanitaires.

Une fois poussées les portes de l’établissement, les étudiantes y passent une grande partie de leurs journées. En plus de la disponibilité d’infrastructures, il est important qu’elles s’y sentent à l’aise. A la fois privées et publiques, les toilettes sont des lieux qui doivent répondre aux exigences de sécurité, d’hygiène et d’intimité[5]. Mr Ndèye considère depuis son entrée dans le programme IP2E que des sanitaires décents sont des fondamentaux pour l’épanouissement des jeunes filles.  Pendant leurs règles, les filles ont davantage besoin d’avoir accès à des toilettes disposant d’eau, de savon et de poubelles où elles pourront disposer de leurs protections hygiéniques[6]. La mise à disposition de ces protections est également nécessaire. En plus d’avoir des toilettes décentes, il s’agit également d’équipements adaptés et disponibles dans ces espaces. Lorsqu’elles sont interrogées, les filles expriment un intérêt pour les toilettes séparées. Elles mettent souvent en avant les critères d’hygiène et la volonté d’intimité et de sécurité.

  • Assurer la protection et le bien-être des étudiants

Mettre en place un environnement d’apprentissage sûr va au-delà des infrastructures. Les violences sexistes et sexuelles touchent davantage les filles que les garçons. Elles sont présentes durant les études supérieures, mais non dénoncées. Il peut s’agir de cas de harcèlement entre étudiants, ou entre professeurs et étudiants, comme des cas d’échanges de bonnes notes ou d’offres d’emploi contre des faveurs sexuels[7]. Au sein du programme IP2E, toutes les entreprises soutenues élaborent une politique de « sauvegarde des étudiants ». Cette politique vise à prévenir et répondre à différents types d’incidents (violences sexuelles, sécurité physique, etc.) et renforcer la sensibilisation des étudiants et du personnel sur ces sujets. Les établissements développent des mécanismes de remontée et de traitement des plaintes. Ils permettent particulièrement d’installer un climat de confiance, et d’améliorer l’expérience d’apprentissage des jeunes filles.

Des rôles modèles pour inspirer

A l’Institut Ivoirien de Technologie (IIT), en même temps que les cours de business ou d’informatique, les étudiants reçoivent des cours de leadership et de développement personnel. Prisca et Grâce, deux étudiantes en deuxième année expliquent que ces cours aident « à se connaître soi-même, trouver ses forces pour vaincre leurs faiblesses ». Elles discutent souvent l’épanouissement des jeunes filles avec leurs camarades garçons. Pour Grâce, une des raisons de la non-poursuite des études supérieures est le manque de confiance des filles en elle. Ce manque de confiance naît de la « faible estime » que l’entourage accorde à l’éducation des jeunes femmes.

Les stéréotypes de genre se retrouvent aussi dans l’orientation. Les filières dites porteuses, telles que les filières scientifiques sont souvent attribuées aux garçons. Fabricia Devignes, experte genre à l’Institut international de planification de l’éducation de l’Unesco explique que « la représentation des femmes a un impact sur l‘éducation des filles et les résultats d’apprentissage ».

Dans les entreprises du programme I&P éducation et Emploi, un établissement fait la différence dans les sciences : l’Université des Sciences de la Santé de Dakar (USSD). Le Conseil d’Administration de l’USSD est présidé par une femme. Dans l’université, 60% des étudiants sont des jeunes femmes. Interrogées, les étudiantes expliquent qu’elles viennent pour la plupart des familles où les parents exercent déjà des métiers dans le secteur de la santé. Pour renforcer la détermination de ces futures docteures, l’USSD met aussi en place un programme de leadership féminin. Il s’agit de séances de mentorat durant lesquelles des femmes dans le secteur de la santé animeront des sessions d’échange avec les étudiantes. Pour le professeur Ndir, c’est en prenant l’exemple sur des rôles modèles féminins qu’il y aura « des femmes leaders » dans le domaine.

Faire évoluer les mentalités

A Tamale dans le nord du Ghana, l’entreprise éducative Openlabs rapproche les rôles modèles des communautés locales pour faire évoluer les mentalités. Afin de former les jeunes filles à l’informatique, Prince Charles, responsable du campus et son équipe mènent des actions de sensibilisation auprès des filles dès le primaire, des familles, des associations de femmes et des chefs religieux. Pour faciliter l’échange, certains membres de l’équipe proviennent des communautés ciblées.  Zeinab, étudiante issue de la communauté Choggu prend la parole. Elle explique qu’il est possible d’être une jeune femme, d’appartenir à la communauté et de poursuivre les études supérieures. Prince Charles poursuit en expliquant les avantages financiers que l’éducation des jeunes femmes aura sur ces communautés. Il précise également les bourses et réduction qu’Openlabs offrent aux jeunes filles.

Depuis quelques années, l’écart historique d’accès à l’éducation secondaire entre filles et garçons sur le continent africain s’est considérablement réduit jusqu’à s’inverser grâce aux efforts des gouvernements (Au Sénégal, en 2021 : 52% de filles contre 48% de garçons). Cette quasi-parité a mis en lumière une inégalité non-genrée, mais plutôt une forte disparité selon l’origine sociale et géographique des futurs étudiants, et explique en partie le faible taux de poursuite des études supérieures. Bien que peu de filles et de garçons poursuivent des études supérieures en Afrique subsaharienne, les jeunes filles défavorisées ou vivant en milieu rural se retrouvent au bas de la pyramide de l’accès à l’université.

Garantir un accès durable à l’éducation pour les jeunes filles vulnérables nécessite de fournir des mécanismes de financement de l’enseignement supérieur. Pour les jeunes filles en milieu rural, la multiplication des offres de formation supérieur de proximité représentent aussi un levier à mettre en œuvre. Les établissements doivent être des endroits sûrs, dans lesquels le bien-être, la sécurité et la santé des étudiants seront préservés. Enfin, il est nécessaire de faire évoluer les mentalités, notamment sur la place des filles dans les filières scientifiques pour faire participer pleinement les femmes au développement du continent.

« L’émancipation des femmes passe par l’éducation. Si on arrive à avoir plus de femmes éduquées, on aura des leaders femmes partout »

 D’après la docteure Priska Manga, « L’émancipation des femmes passe par l’éducation. Si on arrive à avoir plus de femmes éduquées, on aura des leaders femmes partout ». Les jeunes filles défavorisées ont besoin d’un accès continu à une éducation de qualité, afin de devenir autonomes, et d’être actrices du développement de leur région[8]. Des études supérieures de qualité développent et renforcent les compétences requises pour s’insérer dans un marché du travail très concurrentiel, et leur permet de prétendre à des revenus décents, suffisants et égalitaires pour améliorer leur qualité de vie.


[1] https://www.globalpartnership.org/fr/blog/leducation-des-filles-releve-du-bon-sens-economique

[2] Darvas, Peter, Shang Gao, Yijun Shen et Bilal Bawany. 2017. Enseignement supérieur et équité en Afrique subsaharienne : Élargir l’opportunité au-delà de l’élite. Directions du développement. Washington, DC : Banque mondiale. doi:10.1596/978-1-4648-1266-8.

[3]Darvas & all

[4] UNICEF. Projet Girl Power. 2020. https://team.unicef.fr/projects/unicef-projet-girl-power

[5] Marion Simon-Rainaud. 2021. Mélanger les filles et les garçons a facilité l’accès aux toilettes », 7 mars 2021 ? https://usbeketrica.com/fr/melanger-les-filles-et-les-garcons-a-facilite-l-acces-aux-toilettes

[6] GPE. 2018. Comment les toilettes peuvent-elles contribuer à promouvoir l’éducation.

[7] BBC News Africa. 2019. ‘Sex for geades’: Undercover in West African universities. https://www.bbc.com/news/av/world-africa-49907376

[8] C. Manse. 2020. Education des filles, émancipation des femmes. https://www.entreprenanteafrique.com/education-des-filles-emancipation-des-femmes/

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Au Mali, une entreprise spécialisée dans le karité trace un exemple pour le continent

Jérémie Malbrancke et Simbala Sylla reviennent sur l’histoire de Mali Shi, entreprise malienne fondée en 2019 et premier transformateur industriel de karité dans le pays. L’histoire d’une entreprise engagée et…

Jérémie Malbrancke et Simbala Sylla reviennent sur l’histoire de Mali Shi, entreprise malienne fondée en 2019 et premier transformateur industriel de karité dans le pays. L’histoire d’une entreprise engagée et déterminée, qui permet de développer une filière créant des milliers d’emplois et valorisant des ressources locales.  

Le Mali reprend peu à peu sa place commerciale et financière en Afrique de l’Ouest depuis la levée des sanctions de la Cedeao en juillet. À la suite de la prise de pouvoir de la junte d’Assimi Goïta, l’organisation des États ouest africains avait imposé, avec ses membres, la fermeture des frontières, la suspension des échanges commerciaux et financiers et le gel des avoirs de la Banque centrale. 

Dans ce contexte redevenu favorable, l’usine Mali Shi, première unité industrielle de transformation de karité au Mali, peut reprendre sa trajectoire de développement. Avant l’installation de cette usine, le Mali, deuxième producteur mondial de noix de karité avec 250 000 tonnes par an, derrière le Nigeria, se trouvait dans une situation absurde où la totalité de la production était expédiée brute vers la Côte d’Ivoire, le Sénégal, et le Ghana, qui exportent eux-mêmes vers l’Europe des amandes et du beurre. 

Au total, le marché mondial draine entre 400 000 et 500 000 tonnes de beurre par an, représentant environ le double de noix brutes. Le beurre de karité est utilisé à plus de 85% dans l’agro-alimentaire, essentiellement pour remplacer une partie du beurre de cacao à moindre coût dans la fabrication de chocolat. Un marché en pleine croissance et une véritable aubaine pour le Mali pour un grand nombre de raisons. 

D’abord parce que cette activité repose avant tout sur les femmes. Dans le sud du Mali, ce sont elles qui récoltent les noix de karité à la fin de la saison des pluies. Après deux années d’activité, Mali Shi travaille avec une soixantaine de coopératives et déjà 26 000 femmes dans les régions de Kayes, Koulikoro, Ségou et Sikasso. L’objectif est de pouvoir travailler à terme avec 120 000 femmes, à pleine capacité. L’usine, qui emploie 97 personnes, a acheté 1 600 tonnes de noix en 2020, et 7 700 tonnes en 2021 et cible 30 000 tonnes d’ici deux ans. 

Une aubaine également car les activités de Mali Shi ont permis un grand nombre de retombées sociales positives. L’usine a financé la mise en place d’unions, en partenariat avec la Banque Mondiale, l’ONU femmes ou la Global Shea Alliance. Ces instances ont permis d’organiser les assemblées constitutives des coopératives dans les villages, d’accompagner les organisations dans les procédures de formalisation légale auprès des autorités, de diffuser les bonnes pratiques de collecte, de production et de stockage … mais aussi de former des leaders en gestion comptable, en marketing et négociation commerciale. Dans certaines zones, cet accompagnement a permis de multiplier par sept les volumes de noix récoltés d’une année à l’autre. 

Pour Mali Shi, le défi consiste désormais à assurer la continuité de l’approvisionnement en quantité et en qualité, en étroite coopération avec les communautés. Mali Shi dispose d’une équipe dédiée à l’approvisionnement, constituée de chefs de zone et d’agents présents en permanence sur le terrain, qui travaillent en étroite collaboration avec les femmes et leurs organisations. Pour sécuriser la chaîne d’approvisionnement, des contrats sont signés avec toutes les organisations de production partenaires, en s’accordant sur des quantités et des prix fixés. Il s’agit souvent de l’unique source de revenu pérenne pour les femmes partenaires de l’usine. Enfin, Mali Shi maintient les liens avec ses fournisseurs même en en dehors des campagnes d’achat, par le biais de formations sur les bonnes pratiques de collecte et de conservation des noix par exemple, ou des actions de sensibilisation sur l’entretien du parc d’arbres à karité.

Les effets positifs découlent également de la revalorisation des déchets de production. Dans le processus de transformation, les noix sont chauffées et pressées. D’un côté, il sort de l’huile végétale -appelée communément beurre de karité car solide à température ambiante. De l’autre côté, on obtient les résidus des noix, les tourteaux. Ces “déchets” utiles sont eux-mêmes réutilisés dans la chaudière de l’usine et distribués aux femmes comme combustible pour le traitement post-collecte. Rien ne se perd, tout se transforme! 

L’histoire de Mali Shi démontre l’émergence d’une nouvelle réalité économique en Afrique : des entrepreneurs locaux, déterminés, peuvent faire face à d’immenses obstacles pour développer des filières qui contribuent à créer des milliers d’emplois en valorisant des ressources disponibles localement. Les financements nécessaires, de l’ordre de quelques millions d’euros – à comparer au budget de certains programmes portés par les institutions internationales de développement – prouvent que des petits montants bien investis peuvent générer un impact considérable sur le long terme. 

Ce ne sont pas les opportunités qui manquent en Afrique, y compris dans des pays enclavés et réputés instables comme le Mali. Comme partout ailleurs, il s’agit pour réussir d’être pragmatique dans l’approche et la vision des projets entrepris et de s’entourer des bonnes compétences. Espérons que Mali Shi inspire d’autres réussites entrepreneuriales ailleurs sur le continent !

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