Penser et agir pour l’entrepreneuriat en Afrique

Entretien avec Bachir Rockya Lahilaba, fondatrice de Sahel Délices au Niger

La propagation du covid-19 a entraîné dans de nombreux pays africains la mise en place de mesures d’endiguement et de confinement. Celles-ci ont profondément affecté les activités économiques, et particulièrement…

La propagation du covid-19 a entraîné dans de nombreux pays africains la mise en place de mesures d’endiguement et de confinement. Celles-ci ont profondément affecté les activités économiques, et particulièrement les petites et moyennes entreprises qui ont rencontré des situations inédites auxquelles elles ont dû s’adapter pour survivre.

Dans ce contexte, les partenaires fondateurs du blog (I&P, la FERDI et le Club Africain des Entrepreneurs) travaillent ensemble afin de produire une série d’articles retraçant les difficultés auxquelles les entreprises font face et les alternatives trouvées. Comment les PME africaines font-elles face à la crise sanitaire et économique et quelles mesures peuvent être prise pour les aider à surmonter la crise ?

 

Le premier article de cette série rend compte d’un entretien réalisé avec Mme Bachir Rockya Lahilaba, fondatrice de Sahel Délices, entreprise nigérienne du secteur agro-alimentaire créée en 2015, qui cherche à valoriser la matière première locale. Les jus à base de plantes locales comme le bissap ou le baobab sont les produits phare de l’entreprise, qui produit également des tisanes, épices et confitures.

 

Comment avez-vous traversé la crise sanitaire et économique du Covid-19 ces derniers mois ? Quels ont été les impacts sur Sahel Délices ?

Quand le nombre de cas a commencé à augmenter il y a quelques mois, nous avons rapidement compris que cette crise toucherait aussi directement l’Afrique. Au début, tout le monde a eu peur. Nous avons dû fermer Sahel Délices pendant un moment pour voir comment la situation allait évoluer. Et puis la peur a été surmontée, la boutique a ouvert à nouveau.  Nous avons voulu continuer l’activité avec les mesures sanitaires et suivre toutes les consignes du gouvernement.

Plusieurs difficultés ont émergé au fur et à mesure de la crise :

D’abord, l’approvisionnement en matière première : la ville de Niamey a été mise en situation d’isolement. Or les matières premières proviennent des zones rurales, notamment grâce aux femmes qui viennent des marchés ruraux environnants pour vendre les produits cultivés dans la capitale. Ces femmes ne pouvaient plus se déplacer, faute de bus entre les villages et la capitale. Cela a entrainé la hausse des prix des matières premières (baobabs, tamarins, hibiscus etc.)

Deuxièmement, l’approvisionnement en emballage : Les emballages que nous utilisons viennent du Nigeria. Avec la fermeture des frontières avec le Nigeria, les coûts des emballages ont nettement augmenté. Sahel Délices a essayé de s’adapter à la réduction d’approvisionnements en achetant des bouteilles directement ici au Niger, mais la production locale n’est pas de grande qualité, certains clients étaient mécontents. Le manque d’emballage est donc un véritable problème dans ce contexte !

Le troisième problème auquel nous avons eu à faire face commence à se résoudre, mais nous avons connu une période difficile durant le mois de mars-avril : nos livreurs oubliaient les masques ou les gants pendant leurs services. Au niveau de la production, il n’y a pas eu de problèmes puisque les masques et gants étaient déjà obligatoires, mais pour les livreurs, il a fallu insister un peu parce qu’ils n’avaient pas l’habitude. Les clients rejetaient la livraison si les livreurs ne respectaient pas ces conditions.

De manière plus générale, Sahel Délices a dû faire face à une baisse des ventes : les produits phares, nos jus de fruits, se vendent habituellement mieux pendant les périodes de grande chaleur et pendant le mois de ramadan. Mais cette année, les ventes ont baissé, les gens ont tellement dépensé pour le confinement qu’ils ont dû réduire leurs dépenses. Le couvre-feu, fixé à 19h, a également limité le temps de consommation.

La peur a été surmontée.  Nous avons voulu continuer l’activité avec les mesures sanitaires et suivre toutes les consignes du gouvernement.

 

Comment l’entreprise a été accompagnée pendant la crise ?

Nous sommes partenaires du fonds Sinergi Niger depuis 2019, et le partenariat nous a beaucoup apporté, en termes de financement et d’accompagnement. On organise régulièrement des conseils de gestion, qui nous permettent de profiter pleinement de l’expérience de l’équipe ! Ces conseils ont toujours été maintenus, même au plus fort de la crise.

Sinergi nous a aidé à l’acquisition de certaines machines. En 2015, notre production était totalement artisanale, mais elle se transforme progressivement en production semi-industrielle. Les machines permettent de mettre une nouvelle gamme de jus sur le marché. Avant l’arrivée du covid, Sahel Délices avait prévu de lancer une gamme petits-prix pour toucher de plus petits consommateurs, mais la crise en a reculé le lancement.

 

De quel type d’accompagnement avez-vous besoin aujourd’hui, notamment compte-tenu du contexte ?

Sahel Délices est une entreprise qui a commencé sur fonds propres. Nous avons eu des partenaires tels que Sinergi Niger, ou encore l’Ambassade de France, et aujourd’hui, nous aimerions que nos produits soient connus sur tout le territoire et à moyen terme dans la sous-région. Les solutions que le gouvernement a proposées ne sont pas très adaptées.

Sur le plan financier, nous avons pu bénéficier de subventions et tout allait bien sur le plan des crédits et remboursements avant la crise du covid-19, mais celle-ci a rendu les remboursements plus difficiles. Les programmes d’aides pour les PME et grandes entreprises proposés par le gouvernement du Niger concernent principalement l’octroi de crédits pour essayer de s’en sortir. Mais est-ce que le crédit est une solution pour les PME ? Ces entreprises ont souvent déjà du mal à faire face aux endettements préalables. Cette option semble plutôt creuser les problèmes que les résoudre.

Nous n’attendons pas vraiment des subventions et des aides, mais plutôt un appui pour développer un plan commercial et marketing, pour aller chercher l’argent là où il est ! Il nous faut des supports de communication, des supports marketing pour que ceci nous permette de nous relever.

 

Un mot de conclusion ?

Eh bien tout simplement que c’est difficile pour tout le monde. 2020 est l’année la plus difficile. Nous avons bien conscience des problèmes posés par cette crise. Pour la première fois depuis sa création, Sahel Délices n’arrive pas à faire face à certains de ses engagements. Mais il ne faut pas baisser les bras, nous devons identifier là où sont les solutions et aller les chercher. Il faut mettre fin à la paralysie. Il ne faut pas abandonner car la vie d’entrepreneur c’est un combat permanent. Si c’était facile tous les jours, tout le monde serait entrepreneur ! La clé c’est l’adaptation.

Il ne faut pas baisser les bras, nous devons identifier là où sont les solutions et aller les chercher. Il faut mettre fin à la paralysie. La clé c’est l’adaptation.

 

 

 

 

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L’Afrique face à la crise du covid-19 : les priorités pour l’économie africaine de demain

Note : La première partie de l’article est disponible ici. Pour aller plus loin, vous pouvez lire l’article “Affliction, questionnement, crainte et espoirs au temps du coronavirus africain” publié sur…

Note : La première partie de l’article est disponible ici. Pour aller plus loin, vous pouvez lire l’article “Affliction, questionnement, crainte et espoirs au temps du coronavirus africain” publié sur le site de la FERDI.

 

La crise macroéconomique africaine est en train de s’approfondir. Elle frappe les finances publiques, certes, mais elle aussi et surtout les entreprises, et en particulier les plus fragiles d’entre elles. Si le FMI prévoit en 2020 une contraction du PIB de 1.6%, c’est surtout en millions d’emplois perdus, en millions de faillites constatées, et en millions de morts qu’il va falloir faire le bilan, autant sanitaire qu’économique, d’une crise sans précédent.

En pratique, des plans d’ajustement structurels, négociés dans le cadre du FMI, vont se mettre en œuvre pour financer les tours de table nationaux et tenter de relever les économies. Ces plans auront, comme toujours, leurs conditions. La communauté internationale a beaucoup appris des plans des années 1980/90 et de la gestion de la conditionnalité. En même temps, l’Afrique et le monde ont changé depuis ce moment. L’espoir est que cet apprentissage comme ce changement soient bien intégrés dans les politiques publiques qui seront suivies par les pays bénéficiaires, et suggérés par les institutions internationales prescriptrices.

Pour s’en assurer, il faut commencer par parler de la situation stratégique de la planète et de sa répercussion sur l’Afrique en termes de politiques économiques, de la question du secteur privé africain, de la spécificité des pays pétroliers, et de l’enjeu environnemental. Il faudra aussi traiter de la question essentielle de l’adhésion.

 

Le monde d’hier n’est pas le monde de demain.

Le monde de 2021 ne sera pas tout à fait le même que le précédent, même s’il est impossible d’en prévoir les contours. Mais on peut imaginer que les pays occidentaux vont vouloir raccourcir les chaines de valeur. Ils voudront créer ou maintenir des capacités stratégiques de production sur leur territoire, national ou élargi, comme l’Europe. Ce mouvement va renforcer les grandes tendances qui commençaient à émerger dans les premières années du vingt-et-unième siècle : robotisation d’un côté, déficit des balances des paiements américaine et européenne de l’autre se combinaient avec un renchérissement des coûts de productions en Chine et en Asie émergente pour rendre problématique des stratégies de développement « à l’asiatique », fondées sur les exportations manufacturières (Chine) voire de services (Inde). Nous allons sans doute assister à une accélération du rapatriement des capacités de production industrielle sur le sol des pays de l’OCDE et à un renforcement du « consommer local », qui va affecter notamment l’alimentaire.

Dans ce contexte, l’Afrique, surtout subsaharienne, doit davantage parier sur son marché domestique continental, régional ou national. C’est son meilleur atout dans ce monde si incertain. C’est aussi une place macro-économiquement logique. Ce marché est en effet en croissance massive et certaine. Il est propulsé par l’accélération de la transition démographique qui débouche sur un dividende démographique dont le continent doit capturer les bénéfices.

L’Afrique subsaharienne doit davantage parier sur son marché domestique continental, régional ou national. C’est son meilleur atout dans ce monde si incertain.

Bien entendu, certaines niches à l’exportation vont demeurer intéressantes. C’est le cas par exemple dans le domaine agricole, où le « consommer local » ne va pas épuiser tous les mouvements commerciaux lointains, notamment dans le domaine du végétal. Cela sera d’autant plus productif que le continent parvient à grimper dans l’échelle des valeurs et incorporer plus de valeur ajoutée dans ses exportations. D’autres sous-segments agricoles et certains produits industriels (textile…) fourniront des opportunités : l’Afrique peut occasionnellement prendre la place de la Chine et de certains pays asiatiques dans ces chaines de valeur destinées à ces derniers pays ou aux pays de l’OCD, comme l’Ethiopie le montre, malgré toutes limites qu’il faut accorder à cette dynamique.

Enfin, le domaine des services reste largement ouvert : l’évolution de la démographie européenne va la rendre structurellement demanderesse de main d’œuvre faiblement qualifiée, via l’immigration, mais aussi, de plus en plus, de services à distance, y compris qualifiés. Le rapatriement de capitaux de migrants et l’exportation de services ont également une part importante à jouer dans une économie africaine qui monterait progressivement en compétences grâce à son investissement dans l’éducation.

Les futurs programmes d’ajustement structurels doivent s’appuyer sur ces observations. Ils ne doivent pas demeurer prisonniers de la conception des politiques du XIXème siècle qui demeurent trop souvent les mantras des prescripteurs.

 

Changer les logiciels de politique publique, c’est maintenant.

Ces derniers font toujours trop de place à la pression sur les coûts de main d’œuvre ou les ajustements monétaires à la baisse, en présupposant l’efficacité supérieure d’un modèle d’industrialisation par l’export qui a fait le succès de l’Asie en un autre temps. Les priorités de l’économie africaine de demain sont dans la qualité de la main d’œuvre (santé, éducation…), qui aidera l’expansion des services domestiques comme internationaux. Mais c’est surtout dans le renforcement du marché domestique, continental, régional et national qu’il faut investir. L’alimentaire, le manufacturier léger, la techno, les services, la distribution, le bâtiment et les travaux publics… sont les secteurs clés de ce nouveau secteur productif.

Une des grandes caractéristiques des ajustements structurels des années 1980/90 avait été leur concentration sur la compétitivité extérieure. Cet accent avait abouti en pratique à une désindustrialisation des économies africaines, dont le secteur productif était inadapté et inefficace. La disparition de ce dernier est une des raisons pour lesquels les ajustements structurels ont été si longs : il n’y avait personne ou plus personne pour réagir aux améliorations des cadres macroéconomiques ou institutionnels… Les promoteurs des plans d’ajustement structurel de l’époque ont présupposé à tort que les structures industrielles mourantes seraient remplacées spontanément par un nouveau secteur privé du moment où l’environnement de ce dernier serait amélioré et sa compétitivité prix restaurée, via notamment les dévaluations. Il a en fait fallu tout le long chemin des deux premières décennies du XXIème siècle pour voir réapparaitre un secteur privé national sain, dynamique, inventif, aidé par une nouvelle dynamique de construction d’infrastructure et d’accroissement de la dépense publique. Ce secteur privé local, formel et informel, a été un des moteurs de croissance significatif du continent de ces dernières années, mais surtout un agent de transformation sociétal majeur.

C’est ce secteur privé national, surtout formel, car particulièrement fragile, qui est un enjeu essentiel des politiques publiques à mettre en place. Mais il est le grand absent des premières réflexions autour de la lutte contre la crise et de la relance économique. Celles-ci se concentrent sur la réponse aux défis de la pandémie, comme nous l’avons déjà signalé, et sur la macroéconomie, avec l’arrière-plan de la préservation des budgets sociaux. Or, le secteur privé africain souffre de manière considérable. Composé essentiellement du secteur informel, ainsi que de PME et de start-ups, il a subi de plein fouet l’arrêt de l’économie mondiale. Il va être frappé directement par la baisse de la demande domestique qui risque maintenant d’intervenir. Sa trésorerie est exsangue. Sa composante formelle est particulièrement à risque : contrainte par la réglementation fiscale et sociale, elle ne dispose pas des mêmes marges de manœuvre que le secteur informel. Or, c’est sur elle que repose le financement futur de la dépense publique nationale. C’est une affaire de mois, ou d’une année, avant que sa capacité de rebond soit largement anéantie. En peu de temps, vingt ans de progrès peuvent être mis à bas. La conséquence en sera une difficulté considérable à reprendre rapidement un cours de croissance économique acceptable.

C’est ce secteur privé national, surtout formel, car particulièrement fragile, qui est un enjeu essentiel des politiques publiques à mettre en place. Mais il est le grand absent des premières réflexions autour de la lutte contre la crise et de la relance économique.

Traiter les enjeux de ce secteur privé national est certes complexe dans le détail mais en fait simple dans les grandes orientations.

Il faut d’abord éviter qu’il ne devienne encore plus que ce n’est le cas traditionnellement le financeur des Etats via l’accumulation d’arriérés intérieurs vis-à-vis de lui. Historiquement, ce point a été l’objet de peu d’attention des décideurs publics et encore moins des institutions internationales. La priorité doit être renversée : les créanciers intérieurs doivent bénéficier d’une priorité sur les créanciers extérieurs, qui bénéficient d’autres possibilités pour gérer leur stabilité.

Il convient ensuite d’accorder une attention prioritaire à diriger le secteur bancaire commercial vers les PME. Cela peut se faire au travers du traitement conditionnel de leurs fonds propres, de leur refinancement, ou des garanties qui peuvent les soutenir. La microfinance a un rôle majeur à jouer dans ce moment, car elle est le soutien direct du secteur informel. Or sa santé financière est gravement menacée. C’est un compartiment du secteur bancaire qui mérite un traitement particulièrement dynamique.

Enfin, les pays africains ne disposent pas des instruments publics d’intervention direct au bénéfice des PMEs, comme beaucoup de pays industriels, telle la KFW allemande ou la BPI française, pour ne citer que celles-ci. Il est pourtant nécessaire de mobiliser des fonds privés et publics directement vers les entreprises de qualité susceptibles de survivre à la crise, à travers des instruments capables de traiter finement le secteur industriel. Les fonds d’investissement opérant sur le continent peuvent être un tel instrument, comme certaines banques régionales efficaces, telles la BOAD en UEMOA.

Dans ce contexte global, les pays pétroliers méritent une approche spécifique. Nul ne sait certes ce que sera le cours du baril à long terme, mais nous sommes obligés aujourd’hui d’envisager le cas où il demeurerait très bas durant un long moment. C’est dramatique pour les pays producteurs, qui devront faire notamment face à un ajustement macroéconomique majeur. Les plus grandes économies du continent, comme le Nigéria ou l’Angola, sont concernées, mais aussi le plus gros de l’Afrique Centrale, par exemple.

C’est le moment de centrer totalement les plans d’ajustement structurel sur la mise en compétitivité durable de ces pays. En termes pratiques, le secteur productif national des pays pétroliers devrait être préservé de l’ajustement. Des mesures structurelles de compétitivité devraient être au premier rang des conditions des futurs plans d’ajustement structurel. Il est légitime que les futurs revenus pétroliers financent la charge de la dette contractée dans ces plans, stérilisant ainsi les impacts devise et focalisant les pays sur leur secteur productif national.

Le pétrole est un malheur déguisé. Il faut espérer que la plongée des cours dissuade les pays candidats à l’accès à ce statut de devenir des économies pétrolières. Rentrer dans cette économie pétrolière revient hélas à céder au mirage qui a tant fait pour réduire trop d’économies africaines au rang de sociétés rentières, pauvres et inégalitaires à la fois, corrompues et inefficaces simultanément. Le salut de l’Afrique n’est pas dans le pétrole, mais dans la compétitivité d’un secteur industriel, agricole et de services, capable de nourrir et faire prospérer des marchés domestiques à la progression unique dans l’histoire de l’humanité. C’est dans cette direction que les programmes des pays pétroliers doivent se réorienter, au travers d’une structuration rigoureuse de la conditionnalité des prêts qui leur seront octroyés.

La question environnementale, dans ses trois piliers que sont le carbone, la biodiversité et la santé (déchets, eau, air…) doit enfin avoir une place première dans les futurs programmes d’ajustement. Ce ne fut pas le cas dans ceux du XIXème siècle. Le point de départ est dans la reconnaissance que la qualité environnementale d’aujourd’hui est la compétitivité de demain. Ceci implique d’accepter beaucoup d’arbitrages de coûts intertemporels. Le coût de l’argent d’aujourd’hui autorise ces arbitrages. La crise du coronavirus ne change pas une réalité qui s’était imposée ces dernières années.

Le moment présent crée cependant une difficulté majeure : les prix du pétrole vont menacer le grand élan vers les énergies renouvelables, centralisées comme avec l’hydroélectrique, ou décentralisées comme avec le solaire. Le spectaculaire modèle énergétique autonome, vert et décentralisé que l’Afrique commençait de créer risque d’être mis à mal par du pétrole à 20 dollars le baril. C’est le moment de solutions audacieuses, comme, par exemple, l’imposition de taxes aux frontières sur le pétrole importé, ou de TVA sur les produits carbonés. Elles pourront financer une combinaison de désendettement public, de subvention de consommation aux plus pauvres, de soutien au secteur productif local ou aux services publics sociaux, ou enfin de l’énergie renouvelable, selon les préférences et la politique locales. C’est aussi le moment de prendre en compte les considérations environnementales dans les politiques macroéconomiques. Ainsi, les dévaluations ont des impacts sur la déforestation et la biodiversité. Comprendre, pour le FMI et la Banque Mondiale, que les politiques macroéconomiques doivent être évaluées dans un cadre plus large que le PIB et la balance des paiements est un effort qui doit être soutenu par tous les pays membres de ces institutions.

 

Pas de politique efficace sans appropriation.

Mais le sujet essentiel des programmes d’ajustement structurel est leur appropriation. Celle-ci est particulièrement sujette à caution dans un contexte où, d’ores et déjà, les opinions africaines pointent du doigt vers la Chine et l’Europe, considérées comme les auteurs des maux qui les affligent. Les conditions des programmes macroéconomiques courent un risque fort de ne pas être perçues comme légitimes. Elles pourraient être vues comme une seconde punition injustifiée. Ceci sera surtout le cas si, par leurs volets relatifs au secteur privé ou à la libéralisation commerciale, elles faisaient le jeu des entreprises et des banques privées internationales.

Il faut le dire avec force. La conditionnalité de l’ajustement structurel des années 2020 ne sera légitime et en pratique appliquée, dans le contexte géopolitique concret de la crise du coronavirus, que sous trois conditions : si elle joue au bénéfice du secteur productif national ; si elle est correctement financée ; si elle prend place dans une reconnaissance collective de la co-responsabilité générale des maux qui nous frappent.

A défaut, la conditionnalité nouvelle donnera lieu à une nouvelle crise de dialogue politique entre l’Afrique et le reste du monde, Chine et Europe au premier rang. Elle fera le jeu de tous les extrémistes, elle renforcera notamment les mouvements islamistes dans le Sahel, et elle nourrira sur le continent une nouvelle vague de populisme nationaliste. Elle aboutira, en fin de compte, à des échecs macroéconomiques, à un appauvrissement du continent, à l’annulation massive des encours de dette, et une alimentation accrue des mouvements migratoires comme de la conflictualité et de l’instabilité. Personne ne peut vouloir ce destin. C’est pourquoi, au-delà de la correcte alimentation financière des programmes, il est important de passer du temps sur le dialogue, tout particulièrement entre Chine, Europe et Afrique, les acteurs principaux de ce jeu. Il est nécessaire que la vision globale comme les mesures spécifiques des ajustements structurels soient partagées le plus possible, la conditionnalité acceptée et les politiques vues comme justes.

Recherche économique, sociale et politique, comme dialogue intergouvernemental et de société à société sont indispensables pour construire cette vision partagée, le plus possible, sachant que les conflits ne seront pas tous évités. Dans un monde encore confiné et où la distanciation sociale va encore régner un certain temps, il faut investir dans le rapprochement culturel et politique. Institutions publiques, fondations, personnes physiques, sociétés, nous sommes tous appelés à nous impliquer.

 


Pour aller plus loin

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L’Afrique face à la crise du covid-19 : l’urgence d’une réponse de la communauté internationale

Note : La seconde partie de l’article est disponible ici. Pour aller plus loin, vous pouvez lire l’article “Affliction, questionnement, crainte et espoirs au temps du coronavirus africain” publié sur…

Note : La seconde partie de l’article est disponible ici. Pour aller plus loin, vous pouvez lire l’article “Affliction, questionnement, crainte et espoirs au temps du coronavirus africain” publié sur le site de la FERDI.


En Afrique, la crise économique précède la crise sanitaire, voire la remplace.

Le nombre de cas que connait le continent est en effet modeste. En ce début du mois de juin 2020, on recense en effet environ 205000 cas, avec seulement environ 5600 décès. Même si les statistiques sous-estiment sans doute la situation, l’observation de terrain de parvient pas à contester le constat général. La vague reste peut-être à venir, certes, et relâcher la vigilance serait imprudent. Les mois qui viendront nous diront, si la situation perdure, quelles en sont les vraies causes : les politiques publiques ? La structure démographique du continent ? Des facteurs biologiques ?

Mais devons-nous pour autant sabler une victoire sur le destin ?

Non.

 

Ne pas être malade, ce n’est pas être bien portant.

En effet, si la crise sanitaire ne se manifeste pas à la hauteur attendue, au moins pour l’instant, la crise économique et financière est bien là. Le FMI prévoit un recul global de la croissance de 1.6%, une première dans ce continent. L’année 2021 sera également médiocre. Les meilleures économies du continent, celles qui sont le plus centrées sur leur marché intérieur, éviteront peut-être de justesse un recul des PIB par habitant. Les économies pétrolières verront le leur, une nouvelle fois, plonger. C’est de cette contre-performance économique, importée de l’extérieur, que des millions d’africains vont mourir, plus que de la pandémie. Mortalité et morbidité sont en effet principalement liées en Afrique à la croissance économique. C’est aussi de cette crise macroéconomique que nombre de petites entreprises risquent de mourir aussi, tuant, de leur côté, l’emploi.

C’est de la contre-performance économique, importée de l’extérieur, que des millions d’africains vont mourir, plus que de la pandémie.

Les raisons de ce cheminement sont puissantes.

Dans un premier temps, les chaines logistiques articulées avec la Chine se sont en effet brutalement interrompues. Elles ont mis à l’arrêt des milliers d’entreprises africaines dépendantes de pièces détachées ou d’intrants spécifiques. Les marchés chinois et européens se sont aussi fermés du jour au lendemain. Ils ont laissé sans activité un nombre considérable d’entreprises exportatrices. Le tourisme s’est interrompu brusquement. La fermeture des marchés de capitaux a interdit les levées de fond et jeté à fond de cale beaucoup de start-up techno, alors même que leur contribution à l’économie était particulièrement pertinente en ce moment précis. Cet arrêt a aussi touché nombre d’entreprises en croissance rapide et nécessitant l’accès à des capitaux pour alimenter une expansion forte. Enfin l’effondrement brutal des prix du pétrole et des produits miniers s’est immédiatement répercuté sur la dépense publique dans les pays qui vivent essentiellement de ces activités. Dans le cas du Nigéria, l’onde de choc s’étend à tout son environnement régional.

C’est donc un gigantesque choc de la demande externe, comme de l’offre, qui affecte d’abord l’Afrique entreprenante, la partie la plus dynamique du continent, celle qui demeure le moteur le plus robuste de sa transformation de long terme. La chute brutale des prix du pétrole secoue aussi tout le secteur des énergies renouvelables. Elle fait peser une ombre profonde sur l’espoir de développement d’une économie africaine décarbonée. Cette dernière était une des grandes lumières des deux premières décennies de ce siècle, grâce notamment au monde bouillonnant de l’énergie décentralisée solaire.

Au choc de l’offre et de la demande internationale commence à succéder un choc de demande domestique. Petit à petit, les chaines logistiques chinoises se réouvrent en effet. Quelques marchés d’exportation, timidement, redeviennent accessibles. Au rythme du redressement progressif des économies industrialisées, et de la Chine, ce processus va toutefois se faire avec une certaine lenteur. Le rythme de relance de la demande mondiale est rendu incertain par les paramètres mêmes de résolution de la crise sanitaire comme par l’efficacité des plans de relance chinois et occidentaux.

Pendant ce temps, les pays africains sont affectés par une chute massive de leurs recettes publiques, en provenance des droits de douane comme de la fiscalité des entreprises. Les sorties de capitaux et peut-être la baisse des retours de capital des migrants vont affecter la balance des paiements, affaiblie par l’interruption des exportations, de matières premières et de pétrole, comme de produits agricoles ou industriels. Contraction budgétaire comme des capitaux vont donc s’abattre sur les pays, avec leurs conséquences inéluctables : réduction des dépenses publiques, pénurie de devises, dévaluation (hors zone CFA/ECO), inflation.

Le choc va être profond. Il affectera non seulement les infrastructures mais aussi les services sociaux comme la santé et l’éducation. Il impactera également la capacité des pays confrontés au défi terroriste, comme au Sahel, à contrôler leur terrain et rétroagira donc directement sur le monde extérieur en termes de sécurité et de migrations.

Il existe en effet une différence massive entre les pays industrialisés, dont la Chine, et les pays africains, dans ce moment.

Les premiers ont fait le choix de reporter la continuité de leur dépense publique, de leur relance économique et de leur approvisionnement en devises sur deux acteurs : des marchés financiers d’un côté, qui demeurent avides de placer leurs liquidités à des taux très bas, et des banques centrales de l’autre, qui deviennent, directement ou indirectement, les premiers créanciers des gouvernements. Parions que ces dernières viseront à maintenir des taux bas, et à prévenir une crise financière. Les pays industrialisés vont, il faut aussi le parier, rejeter en fin de compte le coût financier de cette politique de stabilisation sur une très longue période, ou dans la création monétaire, dans un contexte où le retour de l’inflation est peu probable.

Ces options ne sont pas ouvertes, ou considérablement moins ouvertes, aux pays africains. L’inflation est un risque très important dans des économies africaines souvent fermées et qui connaissent pour beaucoup déjà des rythmes élevés de hausse des prix. Elle aussi particulièrement ravageuse pour les pauvres. Elle entretient un lien très direct sur le continent avec la dépréciation monétaire, liée à la création monétaire. Les banques centrales ne vont donc pas avoir les mêmes options en Afrique que dans l’OCDE. En ce qui concerne la dette, les pays africains n’ont pas non plus la possibilité de recourir aux marchés financiers, d’ores et déjà fermés pour eux, ou seulement de manière marginale. On parle déjà d’un nouveau « club de Londres », qui fermera à nouveau pour de nombreuses années l’apport de capitaux privés aux gouvernements. Les États africains n’ont nulle autre ressource que d’aller chercher le soutien de leurs partenaires publics de l’OCDE et de la Chine.

 

Être généreux, c’est rentable.

Ces derniers doivent ils accorder le soutien budgétaire et de balance des paiements massif dont le continent a besoin ? Ceci revient au fond à faire supporter le coût de ce soutien, via le déficit budgétaire de pays industrialisés, aux marchés de capitaux internationaux sur lesquels ils se refinancent, et à leurs propres banques centrales. Ceci se ferait à un moment où les déficits budgétaires des pays industrialisés explosent et où les opinions publiques, si elles soutiennent massivement les plans de relance nationaux, expriment une grande angoisse vis-à-vis de l’accroissement de la dette.

Malgré ces craintes des opinions publiques des pays industrialisés, la réponse doit être oui, pour trois raisons. Elle doit s’accompagner d’une condition, pour faire sens.

La première raison est que nous parlons de volumes raisonnables à l’échelle de la macroéconomie africaine. Si l’on aligne les besoins de ce soutien sur l’ampleur des paquets financiers décidés par les pays occidentaux pour leurs propres besoins, de l’ordre de 300 milliards de dollars en 2020/2021 seraient adaptés, soit six fois le montant annuel actuel de l’aide publique au développement accordée au continent.

Certes, une partie significative de cet argent devrait être allouée sous forme de prêts à la balance des paiements, et pas seulement au déficit budgétaire, augmentant l’endettement moyen du continent de l’ordre de 10% du PIB (beaucoup plus pour certains pays). Cette perspective n’est pas irraisonnable si une croissance vive succédait à cette période d’ajustement structurel, avec non seulement des taux supérieurs au coût de la dette, mais, encore mieux, des taux de croissance du PIB supérieurs à 6%. Ceci permettrait à la fois des gains significatifs de bien-être pour les populations les plus pauvres, mais aussi une alimentation budgétaire importante des Etats concernés. Cela rendrait la dette (si elle est accordée à taux faible) soutenable. Cette augmentation de l’endettement des Etats doit néanmoins être accompagnée d’un accroissement de l’aide au développement en subvention pour les pays les plus fragiles et les moins solvables.

La seconde raison est que le coût d’un plan de soutien à l’Afrique est très modeste au regard des efforts que les grands pays industrialisés sont en train de consentir pour leurs propres besoins. Il pèsera de manière dérisoire sur leur endettement.

Le PIB nominal cumulé de l’UE, de la Chine et des USA est en effet de l’ordre de 53000 milliards de dollars. Un vaste plan de soutien de l’ordre de deux années du PIB nominal de l’Afrique, soit environ 600 milliards, ne représenterait que 1.1% de ce PIB cumulé. Cet effort pourrait se répartir entre allègement de dette (à manier avec précaution) et nouveaux apports de dette et de dons. Il est impératif que la Chine soit partie prenante significative de cet effort, compte tenu de son rôle dans l’endettement africain. Non seulement ce pays doit être moteur dans la gestion de la dette, mais il est crucial qu’il participe aux apports nouveaux de capitaux. Dans les cas contraire, l’Europe, par exemple, contribuerait par ses apports, si elle était seule, à reconstituer la solvabilité de l’Afrique au bénéfice de la Chine, même si cette dernière faisait un effort en tant que créancier. En gros, l’effort de refinancement de l’économie africaine sera largement noyé dans la considérable augmentation de la dette des pays de l’OCDE et du bilan de leurs banques centrales.

Ajoutons que ce poids pourrait être encore réduit, si la communauté internationale acceptait de déverrouiller une augmentation significative de droits de tirage spéciaux au FMI au bénéfice de l’Afrique. Le DTS ne résolvent pas forcément les problèmes budgétaires. Mais ils ont en tous cas un impact immédiat sur les contraintes de balances de paiement, et ces dernières impactent directement les taux de change et l’inflation dont une évolution négative sera extraordinairement dommageable en termes de pauvreté.

La troisième raison est que cet effort est rentable. La croissance attendue pour l’Europe, même avec du rattrapage, ne pourra pas dépasser son potentiel de moyen terme, et ce dernier n’est sans doute pas supérieur à 2%. On peut attendre de la croissance africaine bien mieux. La croissance africaine moyenne, pays pétroliers et non pétroliers compris, peut-être de l’ordre de 4% si les prix des matières premières demeurent dépréciés. Elle peut s’apprécier notablement si ces derniers reviennent à de meilleurs niveaux, ce que certes personne ne peut prévoir, tant ils dépendent à la fois de l’état de l’économie mondiale, mais aussi des politiques de l’OPEP, des USA et des autres producteurs. Cette croissance percolera dans les importations adressées par l’Afrique au reste du monde (elles ont été particulièrement dynamiques ces dernières années), ce qui jouera un rôle contracyclique. En caricaturant quelque peu, on pourrait montrer que l’Europe, par exemple, a sans doute plus intérêt à investir dans la reprise africaine et des populations avides de consommer et d’investir et d’épargner, que dans sa propre reprise. L’argument a bien entendu ses limites et ses risques, mais ces derniers ne le réduisent pas à néant. Ceci est d’autant moins le cas que, comme il l’a déjà été indiqué, les bénéfices de ce soutien à une dépense publique de qualité en Afrique ne sont pas uniquement économiques. Ils tiennent aussi aux intérêts, particulièrement européens, en matière de sécurité et migration.

Une condition essentielle doit être mise à cette entreprise de refinancement des économies africaines. Elle doit se faire soit sur subventions, soit à des conditions d’endettement symétriques aux coûts d’endettement des pays industrialisés. Ces coûts sont très faibles actuellement, et le demeureront sans nul doute. Une des meilleures choses que les pays industrialisés puissent faire est de « passer » leurs conditions d’emprunt aux pays en développement les plus pauvres, avec en tête un argument économique (nous venons de le faire) mais aussi un argument moral : ce sont eux qui ont retransmis la pandémie à l’Afrique, c’est la Chine qui a dérobé les pangolins vecteurs de cette dernière au continent africain, même si ce dernier a joué son rôle dans cette exportation involontaire. Ils peuvent le faire bilatéralement, ou multilatéralement, en donnant les moyens aux grandes institutions financières comme la Banque Mondiale ou la Banque Africaine de Développement de déployer leurs moyens de manière dynamique.

 

Tout cela, le ferons-nous ?

Les premiers pas de réponse de la communauté internationale ont été mesurés. C’est donc l’anxiété qui demeure sur cette prise de conscience. Au niveau multilatéral comme au niveau bilatéral, beaucoup d’efforts ont été concentrés en un premier temps, de manière bien compréhensible et légitime, sur la dimension sanitaire de la situation. Il est certain que la capacité des pays africains à gérer la santé publique (masques, tests…) doit être renforcée, et que leur capacité de traitement des cas graves doit considérablement augmentée (lits de réanimation, respirateurs…), de même que leurs ressources humaines. Mais ceci ne représente qu’une face modeste et première de ce que doit être la réponse à la crise du coronavirus en territoire africain.

Même dans des scenarii sombres, comme nous l’avons évoqué, beaucoup plus de personnes tomberont malades et mourront du fait de l’effondrement de la croissance économique africaine que du coronavirus, surtout si les mesures de gestion de l’endémie sont efficaces. La réponse à la crise économique est essentielle pour réduire la vraie crise sanitaire, profonde et globale, qui risque de frapper le continent.

Les pays du G20 ont fait les premiers pas dans la bonne direction. Ils ont décidé en Avril 2020 un report d’échéances de la dette publique africaine. Ce geste doit être salué. Il ne fait toutefois qu’égratigner la surface du problème, tant en ce qui concerne les volumes concernés que l’impact macroéconomique de moyen terme. Cette dette reste due. Les institutions de financement du développement sont aussi dans l’expectative : doivent-elles, dans ce contexte, continuer à prêter ? Doivent elles embarquer un niveau de risque supérieur dans leurs bilans ? La réponse doit être aussi oui, sans hésitation, et, oui, les Etats ne doivent pas hésiter le cas échéant à garantir leurs banques de développement au cas où leurs bilans seraient affectés.

C’est donc à un renouveau de la période de l’ajustement structurel que nous nous devrions nous préparer, un ajustement structurel dont il faut espérer qu’il sera, quantitativement et qualitativement meilleur que celui qui s’est abattu sur l’Afrique dans les deux dernières décennies du siècle précédent.

 


Pour aller plus loin

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Éducation des filles, émancipation des femmes

Aujourd’hui, de nombreuses jeunes filles rencontrent des barrières importantes concernant l’accès à l’éducation – primaire, secondaire et supérieure –, l’obtention d’un emploi décent et rémunérateur, l’accès aux financements… Leur éducation…

Aujourd’hui, de nombreuses jeunes filles rencontrent des barrières importantes concernant l’accès à l’éducation – primaire, secondaire et supérieure –, l’obtention d’un emploi décent et rémunérateur, l’accès aux financements… Leur éducation est souvent jugée non prioritaire, quand elle est en réalité un premier pas vers leur émancipation et leur autonomisation.

 

Une formation inclusive, pertinente et de qualité…

L’Afrique subsaharienne compte 30 millions d’enfants exclus du système scolaire. Les filles, les populations rurales et les communautés marginalisées sont particulièrement touchées. Un des obstacles les plus persistants à la scolarisation des filles est la faible valeur accordée par la société à leur éducation. Lorsque la scolarité n’est plus obligatoire, les familles n’inscrivent pas leur fille, non seulement pour des raisons financières, mais aussi en raison de normes sociales (maintien des filles à la maison, mariage et maternité précoces, infrastructures scolaires inadéquates, discriminations, etc.)

L’éducation primaire a bénéficié d’un soutien important des gouvernements et de l’aide au développement. Des progrès considérables ont alors été réalisés. En Afrique Subsaharienne, 34 % des pays avaient atteint la parité en ce qui concerne l’enseignement primaire en 2017. En revanche, cette performance tombe à 21% pour le premier cycle du secondaire, 5% pour le deuxième cycle du secondaire et même 0% pour l’enseignement supérieur[1]. Faute de moyens financiers et humains suffisants, l’éducation supérieure a fait l’objet de moins d’attention, alors même que les besoins sont immenses et les inégalités de genre criantes.

Pour devenir de véritables actrices du développement de leur région et de leur pays, les jeunes filles et jeunes femmes ont besoin d’un accès continu à une éducation pertinente et de qualité. Des programmes de « seconde chance » à destination des femmes et des jeunes femmes vulnérables, qui n’ont pu bénéficier d’une éducation suffisante pour leur permettre émancipation et autonomisation peuvent être envisagés. Dans ce sens, l’ONU Femmes développe son programme « Second Chance Education and Vocational Learning (SCE) » visant à soutenir les femmes et jeunes femmes marginalisées, n’ayant pu bénéficier d’une éducation et risquant d’être laissées pour compte. Ce projet vise à développer des parcours d’apprentissage, d’entreprenariat et d’emploi adaptés au contexte, abordables et évolutifs, afin de permettre l’émancipation des femmes et jeunes femmes les plus défavorisées du monde.

Il s’agit également de faire évoluer les mentalités : développer des contenus éducatifs qui soient neutres au niveau du genre et mettre en place des actions de sensibilisation destinées à changer la perception que peuvent avoir, à la fois les hommes et les femmes, sur les perspectives de carrière ouvertes aux jeunes femmes.

 

… permet l’accès à des opportunités économiques…

Des différences sensibles entre hommes et femmes sont apparues sur le marché du travail, selon le secteur d’activité, la profession et le type d’emploi (ségrégation verticale et horizontale relative au genre). Les femmes travaillent fréquemment dans des secteurs où les formations susceptibles de permettre une évolution de carrière ou un changement de métier sont plus rares. L’Afrique est la deuxième région du monde la moins égalitaire en termes de participation des femmes à l’économie formelle. Près de 90% des femmes employées sur le continent travaillent dans l’économie informelle, contre 83 % des hommes[2].

La participation des femmes au monde du travail et leur ascension professionnelle se heurtent en outre à des obstacles considérables qui sont le fruit de cultures et de pratiques sectorielles et organisationnelles dominées par des valeurs, des convictions et des modes de comportement (encouragés ou confortés par les normes sociales et les institutions) qui ont un effet de repoussoir ou de plafond de verre.

Les femmes sont ainsi moins susceptibles que les hommes d’étudier dans les domaines de la science, la technologie, l’ingénierie et les mathématiques. En 2013, la part des femmes diplômées de l’enseignement supérieur en Sciences ainsi qu’en Ingénierie était respectivement de 19% et 21% au Burkina Faso et de 27% et 18% au Ghana[3]. Le manque d’informations sur les possibilités offertes dans ces secteurs dominés par les hommes, les facteurs psychosociaux, l’absence de rôles modèles, les réseaux et les normes sexistes biaisées sont quelques-uns des facteurs qui expliquent ces dynamiques.

Outre les compétences traditionnelles telles que la lecture, l’écriture et le calcul, les compétences numériques sont depuis longtemps devenues l’un des principaux domaines d’expertise pour le 21e siècle. 55% des femmes chefs d’entreprise affirment qu’améliorer leur expertise technique est une priorité. Or, près d’un milliard de filles dans le monde (soit 65% de toutes les filles et jeunes femmes de moins de 24 ans) ne possèdent pas ces compétences, qui sont essentielles pour participer au monde du travail à l’avenir. Certains acteurs se sont ainsi déjà positionnés sur cet enjeu. C’est le cas par exemple du Ghana Code Club[4], qui, avec son projet “Code on Wheels”, va organiser un atelier mobile de codage pour les filles et les femmes de 12 à 24 ans dans différentes régions du pays. Les ateliers permettent aux participantes de se familiariser de manière ludique et pratique avec la pensée et les compétences techniques sur ordinateur.

 

… favorables à l’émancipation économique et sociale des femmes.

Les opportunités économiques jouent pourtant un rôle central dans les rapports sociaux. Avoir accès à un emploi décent et rémunérateur, permet de s’affirmer comme membre de la société économique, ce qui constitue un premier pas vers l’autonomisation et l’émancipation.

Donner à davantage de femmes la possibilité d’accéder à des opportunités économiques, d’entreprendre, de consommer librement et de faire partie intégrante de la vie économique réduit non seulement considérablement les inégalités de genre, mais transforme également la société et l’économie dans leur ensemble. En effet, l’inégalité entre les genres freine le développement économique et social. Elle coûterait en moyenne 95 milliards de dollars US par an à l’Afrique subsaharienne, atteignant un pic de 105 milliards de dollars US en 2014 – soit 6 % du PIB de la région[5] – ce qui compromet les efforts du continent pour un développement humain et une croissance économique inclusifs.

 

L’accès à une éducation de qualité, en particulier pour les filles, est ainsi essentiel pour lutter contre le cycle de la pauvreté et pour garantir à une société plus inclusive, l’égalité des chances pour tous.

 


Sources

[1] Rapport mondial de suivi sur l’éducation 2019: Migration, déplacement et éducation: bâtir des ponts, pas des murs, UNESCO, 2019

[2] The power of parity: Advancing women’s equality in Africa, McKinsey Global Institute, November 2019

[3] Is the gender gap narrowing in science and engineering, Unesco, 2015

[4] Pour en savoir plus sur le Ghana Code Club

[5] Rapport sur le développement humain en Afrique 2016 : Accélérer les progrès en faveur de l’égalité des genres et de l’autonomisation des femmes en Afrique, PNUD, 2016

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Les écoles africaines au temps du covid-19

La gestion de la pandémie Covid-19 bouleverse l’éducation mondiale. Les fermetures d’établissements scolaires et universitaires ont renvoyé chez eux 1,5 milliard d’étudiants de 184 pays, soit plus de 90% des…

La gestion de la pandémie Covid-19 bouleverse l’éducation mondiale. Les fermetures d’établissements scolaires et universitaires ont renvoyé chez eux 1,5 milliard d’étudiants de 184 pays, soit plus de 90% des étudiants sur la planète[1].

Depuis la mi-mars en Afrique sub-saharienne, une grande partie des écoles et universités africaines ont ainsi fermé leurs portes. Pour autant, ces fermetures ne signifient pas l’arrêt complet des activités d’enseignement. Établissements publics, privés ou portés par les acteurs associatifs, tous essaient à la hauteur de leurs moyens de fournir des solutions de transition pour que les élèves poursuivent leur parcours scolaire et que le temps d’apprentissage, si précieux, ne soit pas définitivement perdu.

Le groupe Investisseurs & Partenaires, qui accompagne une quinzaine d’entreprises du secteur éducatif, peut témoigner de la forte résilience et de l’esprit d’innovation de ces acteurs. Des crèches aux lycées, en passant par les centres de formations, ces entreprises montrent qu’elles peuvent, au travers d’une crise qui les touche de plein fouet, adapter leur activité et maintenir le cap. Cet article se base en grande partie sur le portefeuille d’I&P, mais inclut également quelques autres initiatives marquantes.

 

Le e-learning, une évidence ?

Afin de garantir une continuité des activités d’enseignement, de nombreuses institutions s’appuient sur les dispositifs de e-learning. C’est par exemple le cas des lycées internationaux Enko, dont les cours ont lieu depuis fin mars sur une nouvelle plateforme digitale. Suite à la constitution d’un comité de crise au niveau de l’entreprise, ce sont aussi de nouvelles méthodes de travail qui ont été mises en place. Les professeurs doivent désormais s’assurer que chaque élève ait accès quotidiennement aux ressources nécessaires pour suivre les cours, soit en support digital, soit en imprimant les livrets envoyés aux familles[2]. Dans le secteur de la petite enfance, où le temps passé devant l’écran doit être limité, c’est la relation entre les parents et les structures préscolaires qui est à réinventer. Communication sur réseaux sociaux, newsletters, groupes Whatsapp… les entreprises spécialisées, à l’instar de Ker Imagination au Sénégal[3], peuvent accompagner les parents pour favoriser les bonnes pratiques à la maison et renforcer la communauté d’apprentissage.

Certaines entreprises éducatives ont fait, bien avant la crise, de la formation à distance le cœur de leur modèle. La startup Etudesk, basée à Abidjan et accompagnée par Comoé Capital, a ainsi développé une expertise précieuse pour construire des plateformes de e-learning sur mesure avec des partenaires variés. Aujourd’hui, Etudesk accompagne une dizaine d’établissements scolaires en Côte d’Ivoire et au Sénégal pour adapter et mettre en ligne leurs contenus pédagogiques dans les meilleurs délais et conditions possibles. African Management Institute construit quant à elle des parcours de formation à distance et en présentiel pour les entrepreneurs et les PME en Afrique de l’Est. AMI fournit actuellement un « kit de survie » gratuit aux entrepreneurs pour apprendre la gestion de crise et prendre les bonnes décisions face aux risques sérieux encourus par leur entreprise[4]. Un autre exemple captivant est celui de l’entreprise Kabakoo, basée au Mali, qui explore un nouveau modèle de formation d’ingénieurs centré sur les « solutions à des problèmes concrets et immédiats » de son environnement. Kabakoo met aujourd’hui à disposition sa plateforme internationale pour que ses apprenants et des experts conçoivent et fabriquent des objets utiles à la lutte contre le Coronavirus tels que des respirateurs artificiels et des masques[5]. Avec un positionnement unique dans le secteur des technologies et de l’éducation, Etudesk, AMI et Kabakoo font valoir leurs capacités d’innovation et de résilience pour apporter des réponses rapides et concrètes aux acteurs éducatifs traditionnels comme aux entreprises et aux citoyens.

Avec un positionnement unique dans le secteur des technologies et de l’éducation, ces entreprises font valoir leurs capacités d’innovation et de résilience pour apporter des réponses rapides et concrètes aux acteurs éducatifs traditionnels.

 

Connectivité, coût et conditions d’apprentissage : les défis de l’école à la maison

Les bonnes pratiques qui émergent ici et là font pourtant face à de nombreuses difficultés. En Afrique de l’Ouest, la connectivité des foyers n’est pas assurée dans de larges zones rurales ou isolées[6]. Aux enjeux de couverture internet s’articulent ceux du coût des forfaits pour consulter ces outils en ligne. D’autres canaux sont ainsi nécessaires et plusieurs initiatives sont en cours pour améliorer l’inclusion des systèmes éducatifs au temps du coronavirus et limiter les risques d’abandon scolaire[7]. Les stations de radio et les chaines de télévision nationales peuvent constituer des solutions massives de diffusion de contenu pédagogique[8], à condition d’une coopération renforcée entre les ministères concernés et entreprise des télécoms, comme c’est le cas en Côte d’Ivoire[9].

D’autre part, il faudra s’assurer que les élèves puissent étudier dans de bonnes conditions et avec assiduité, ce qui est en réalité l’enjeu majeur sur lequel le e-learning offre pour le moment peu d’information. Une réflexion de fonds sur le rôle des enseignants et sur les méthodes pédagogiques à distance doit être conduite pour accompagner l’essor des technologies de l’éducation.

 

Les impacts économiques sont immédiats et durables

Enfin, la crise du coronavirus constitue une menace très forte sur la pérennité financière des entreprises du secteur. Avec un gel complet des recettes qui pourrait durer jusqu’en septembre, les entreprises éducatives doivent chercher à maintenir une bonne relation avec toutes leurs parties prenantes, notamment avec leurs salariés. Ajustement des plans de trésorerie, suppression des charges non essentielles, priorisation des créanciers… des mesures spécifiques peuvent être envisagées à court terme. Pour les établissements les plus robustes, ces mesures seront sans doute suffisantes et s’ajouteront probablement à l’appui bienveillant des partenaires bancaires. Mais pour une majorité d’acteurs privés plus vulnérables, des mesures de soutien complémentaires et significatives seront absolument nécessaires à leur survie. Gouvernements, bailleurs, investisseurs, tous les financeurs de l’éducation devront apporter au plus vite des réponses adaptées.

 

L’opportunité de transformer l’éducation

L’expérience actuelle est inédite. Les entreprises éducatives les mieux préparées à la crise ont été celles qui avaient intégré, même de façon incomplète, le défi de la transformation digitale à leur modèle. Aussi, la crise du coronavirus procure à tout le secteur de l’éducation une opportunité peut-être inédite de déployer de nouveaux modèles qui entrent en résonance avec les aspirations et les pratiques des nouvelles générations d’apprenants.

Élargir l’accès aux contenus, désenclaver les populations, développer de nouveaux services, individualiser les parcours pédagogiques, construire de nouvelles communautés d’apprentissage : le potentiel de l’éducation digitale est immense, pour l’entreprise comme pour ses bénéficiaires. Après l’urgence d’aujourd’hui, il sera sans doute temps pour tous les acteurs de l’éducation de ré-imaginer leur modèle tout en maintenant les enjeux d’accessibilité, d’inclusion et de qualité au cœur de leurs principes.

La crise actuelle procure à tout le secteur de l’éducation une opportunité inédite de déployer de nouveaux modèles qui entrent en résonance avec les aspirations et les pratiques des nouvelles générations d’apprenants.

 

Notes

[1] Informations de l’UNESCO au 7 avril 2020 https://en.unesco.org/news/unesco-launches-codethecurve-hackathon-develop-digital-solutions-response-covid-19

[2] https://enkoeducation.com/fr_FR/covid-19-and-school-closings-enko-education-implements-distance-learning-in-all-its-schools-across-africa/

[3] https://www.facebook.com/KerImagiNation/

[4] https://www.africanmanagers.org/all/news/keep-thriving-ami-learning-covid-19/

[5] https://www.kabakoo.africa/blog/une-bonne-vieille-machine-a-coudre-et-du-fil-contre-covid-19

[6] Voir par exemple l’indice de connectivité développé par GMSA montrant les déficits d’infrastructure et de connectivité dans la zone Afrique de l’Ouest https://www.mobileconnectivityindex.com/#year=2018

[7] Voir les risques soulignés par Jeune Afrique au Sénégal : https://www.jeuneafrique.com/922593/societe/senegal-les-bons-et-les-mauvais-points-de-lecole-a-distance-au-temps-du-coronavirus/

[8] Voici les différents canaux d’enseignement à distance recensés par le GPE : https://www.globalpartnership.org/blog/school-interrupted-4-options-distance-education-continue-teaching-during-covid-19#.XoXPayoKbqI.linkedin

[9] Voir ici l’initiative du gouvernement ivoirien qui a démarré le 6 avril 2020 pour les classes d’examens (CM2, 3ème, Terminal). http://www.gouv.ci/_actualite-article.php?recordID=11002

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Afrique : le spectre du coronavirus

Il est difficile de prédire l’imprévisible. Surtout lorsque celui-ci est inconnu. C’est pourtant ce que doivent s’essayer à faire en ce moment les dirigeants de tous les pays.

Il est difficile de prédire l’imprévisible. Surtout lorsque celui-ci est inconnu. C’est pourtant ce que doivent s’essayer à faire en ce moment les dirigeants de tous les pays.

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Comprendre les conséquences économiques du Coronavirus

Dans un entretien du 6 février 2020, Jacky Mathonnat, professeur émérite, Cerdi-Université Clermont Auvergne et responsable du programme santé de la Ferdi, analyse les conséquences économiques du Coronavirus. Que peut-on…

Dans un entretien du 6 février 2020, Jacky Mathonnat, professeur émérite, Cerdi-Université Clermont Auvergne et responsable du programme santé de la Ferdi, analyse les conséquences économiques du Coronavirus.

Que peut-on penser de l’intervention de la Chine face à l’épidémie de Coronavirus? Quelles pourraient être les conséquences économiques de l’épidémie?

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