Penser et agir pour l’entrepreneuriat en Afrique

Fabrice Kom Tchuenté

Fabrice Kom Tchuenté est Ingénieur Financier. Il a travaillé dans la Gestion d’actifs respectivement au sein des Groupes bancaires HSBC et Natixis (à Paris). En 2008, entouré de 3 Associés, il fonde le Cabinet de conseil FinAfrique spécialisé dans la Banque, la Finance et l’Assurance à destination des Institutions Africaines.

Fabrice Kom Tchuenté is a financial engineer who has worked in asset management for both the HSBC and Natixis banking groups (in Paris). In 2008, along with three associates, he co-founded FinAfrique, a consulting firm that provides banking, finance and insurance solutions for African institutions.

Et si on osait les Informal Bonds ?

Cette tribune vise à présenter un mécanisme de financement qui se voudrait alternatif à l’attention des activités informelles et des très petites entreprises, afin qu’elles puissent bénéficier d’autres opportunités de…

Cette tribune vise à présenter un mécanisme de financement qui se voudrait alternatif à l’attention des activités informelles et des très petites entreprises, afin qu’elles puissent bénéficier d’autres opportunités de financements formels et surtout, dans de meilleures conditions que celles qui leur sont proposées aujourd’hui.

 

Quelques mécanismes de financements actuels

Encore aujourd’hui, la part prépondérante du financement de nos économies revient au secteur bancaire, avec l’inconvénient d’ériger le banquier en spécialiste multi-sectoriel, qui regroupe au sein d’un même portefeuille des entrepreneurs de l’agro-alimentaire, de l’énergie, du conseil ou encore des nouvelles technologies.

Nous avons aussi les acteurs du financement de haut bilan tels que les Capital-Investisseurs qui, pour des raisons d’efficacité dans le suivi de leurs investissements, se limitent généralement à des investissements de grandes tailles (sachant que quelques-uns d’entre eux ont – heureusement – orienté leurs stratégies d’investissement vers le secteur de la Petite et Moyenne Entreprise).

Il y a également les Institutions de Microfinance. Leur popularité révèle un modèle de financement adapté aux petites économies, mais ce secteur connait malheureusement certaines dérives, avec l’application de taux usuriers.

Nous aurions pu évoquer le financement par la méso-finance, encore récent, qui se présente comme un intermédiaire entre le financement bancaire et micro-bancaire. Ou encore les Nano-crédits, systèmes d’octrois de crédits généralement inférieurs à 100 000 FCFA proposés par certaines Fintech de la place, qui sont encore faiblement vulgarisés.

Enfin, il existe un système de financement informel et parallèle, appliquant des taux d’intérêts abusifs.

Un constat s’impose quand on survole ainsi les mécanismes de financement existants : l’oubli du secteur informel, secteur qui représente pourtant plus de 85% des emplois sur le continent africain selon l’Organisation Internationale du Travail. Il est donc nécessaire de définir un mécanisme de financement alternatif, adapté à cette catégorie de notre économie.

Un constat s’impose quand on survole les mécanismes de financement existants en Afrique : l’oubli du secteur informel, secteur qui représente pourtant plus de 85% des emplois sur le continent.

 

Le secteur informel, notre matelas de survie

Le secteur informel constitue pour la grande majorité des africains un matelas de survie. Pour prendre le cas de l’Europe, le matelas de survie y est défini par chaque état, sur la forme d’un modèle social. Ainsi, dans chaque pays a été fixé un Salaire Minimum, permettant à chaque travailleur de subvenir aux besoins primaires de sa famille.

En Afrique, ce matelas de survie se caractérise par nos activités informelles. L’agent contractuel d’une administration publique qui gagne 65 000 FCFA/mois (soit 100 €), et qui a 6 enfants à charge, aura besoin de développer une activité informelle en parallèle pour arrondir ses fins de mois, ne serait-ce que pour la survie alimentaire de sa famille.

Financer notre secteur informel reviendrait donc à financer notre protection sociale. L’informel ne peut rester le « Grand Oublié », ou le « Mal Outillé » de notre économie tel qu’il l’est aujourd’hui. Le marché financier africain devrait représenter l’espoir, l’alternative, en incluant en son sein cette catégorie informelle de notre entrepreneuriat. Chaque acteur de notre chaîne économique devrait pouvoir identifier une opportunité au travers de ce marché financier.

C’est pourquoi nous proposons la mise en place d’un nouveau produit que l’on pourrait qualifier d’Informal Bond, ou obligation informelle. [Une obligation est une valeur mobilière qui constitue une créance sur son émetteur. Elle est donc représentative d’une dette financière à moyen ou long terme.]

 

Informal Bond : Qu’est-ce que c’est ?

Selon un rapport du Fonds Monétaire International (2017), le secteur informel représenterait, selon les pays africains, entre 20% (Afrique du Sud) et 65% (Bénin, Nigéria) de leur Produit Intérieur Brut. Contrairement à l’idée qu’on s’en fait habituellement, il n’est pas pour autant toujours mal organisé. Certaines de ses activités sont organisées en « Corporations / Coopératives / Groupements » – des groupements de Planteurs ou des groupements de Motos-taxis par exemple.

L’idée est tout simplement de permettre aux groupements ayant fait preuve, historiquement, d’une bonne organisation et d’une bonne gouvernance de solliciter un financement pour leurs membres via le Marché Financier par l’émission de ce que l’on appellerait un ‘’Informal Bond’’, soit une obligation dédiée au financement d’activités informelles.

Cette émission serait directement initiée par les responsables du Groupement, qui auraient au préalable sélectionnés, grâce à leur connaissance du secteur et de leurs membres, les membres bénéficiaires ainsi que les montants des prêts octroyés pour chacun d’eux.

Partant du principe que le groupement aura préalablement fait preuve de probité morale, il serait envisageable que tout ou partie de cette émission soit garantie par une banque ou un fonds de garantie de l’état. Ce qui allègerait le coût de cette dette dont la maturité n’excèderait pas les 18 mois.

Pour des raisons de sécurité et de transparence, en cette ère du digital, les prêts et les remboursements se feraient directement par Mobile Money entre la Banque dépositaire de l’opération et ces entrepreneurs du secteur informel.

 

Ce concept aurait comme vertu d’inciter à la structuration et formalisation progressive des acteurs de l’informel, qui se verraient proposer un cadre organisationnel à suivre pour être éligibles à ce mécanisme de financement (Adhésion à un Groupement, Tenue de Livres de comptes, Ouverture d’un Compte Mobile-Money, …). De leur côté, les États bénéficieraient d’une assiette fiscale élargie.

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Au nom de l’inclusion financière : éduquons et sensibilisons !

Pour reprendre la définition proposée par la Banque Mondiale, l’inclusion financière fait référence à la possibilité pour les individus et les entreprises, de fait exclus des services financiers traditionnels, d’accéder…

Pour reprendre la définition proposée par la Banque Mondiale, l’inclusion financière fait référence à la possibilité pour les individus et les entreprises, de fait exclus des services financiers traditionnels, d’accéder à moindre coût à toute une gamme de produits et de services financiers utiles et adaptés à leurs besoins.

Chaque année, de nombreuses conférences organisées avec les Institutions de Bretton Woods réfléchissant aux stratégies à mettre en place pour améliorer l’inclusion financière et développer l’éducation financière des populations africaines. Depuis 2 ans, la Banque Centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a-t-elle ainsi initié un Programme pour la vulgarisation de l’Éducation Financière, et a créé une Direction Centrale consacrée essentiellement aux enjeux de l’inclusion financière. On voit aussi que plusieurs pays, comme le Cameroun, le Sénégal, ou le Togo planchent sur leur propre stratégie de finance inclusive.

Tout ceci prête donc à penser, à juste titre, qu’il y a un véritable problème d’inclusion financière dans la plupart des pays d’Afrique Subsaharienne. Problème qui se traduit notamment par un manque d’éducation financière des populations africaines, et dont la solution passerait par amener chaque individu ou ménage de la société civile à épargner par des canaux plus formels de notre économie.

 

Ce que nous ont appris les récents scandales financiers

Nous sommes nombreux aujourd’hui à affirmer qu’il est difficile de capter l’épargne des ménages africains. Mais alors, comment comprendre le succès de ces financiers proposant des placements de stratégies Madoffiennes (système de Ponzi) tel que ce fût le cas dans  l’affaire MonHévéa en Côte d’Ivoire et en 2018, le phénomène MIDA au Cameroun ? Et probablement d’autres scandales non encore révélés ? Des organisations qui garantissent des gains de l’ordre de 300% à 400% sur un horizon d’investissement de quelques mois et qui se sont proliférées au fil des années, au su et au vu des officiels (et quelques fois même grâce à des spots publicitaires diffusés sur les antennes nationales).

Il y a au moins deux choses que nous pouvons retenir de ces arnaques financières.

Tout d’abord, au regard de la pléthore des victimes et de l’importance des montants engagés, on note qu’il y a de l’épargne sur le continent africain. Elle est principalement constituée de petites épargnes, ce que l’on appelle l’épargne des ménages – sur toutes les couches de la population.

Et par ailleurs, force est de constater que ces promoteurs d’infortune ont des arguments convaincants leur permettant de capter une épargne tant convoitée par nos nombreux programmes de développement internationaux et qui échappent aujourd’hui aux institutions financières locales et légales.

 

Mettre à profit les Administrations traditionnelles

Dans « éducation financière », il y a le terme « éducation ». Éduquer, c’est aussi sensibiliser.

Cette éducation financière est visiblement nécessaire pour nos responsables et officiels africains, qui dans certains pays se sont rendus complices des mauvaises pratiques énoncées plus haut, souvent par manque de connaissance sur ces sujets. Ne serait-ce que pour faire comprendre que des taux d’épargne au-delà de 20% ou 30%, ça n’existe pas (et encore moins des taux à plus de 200%, à moins que l’on épargne pour nos arrières arrières petits enfants !). Nous pouvons ainsi espérer que dans les stratégies d’éducation financière, plutôt bien pensées, il est prévu d’éduquer les administrateurs aussi bien que les administrés…

Cette sensibilisation des administrateurs ne doit pas seulement être faite au niveau civil (Sous-Préfets, Maires, etc.), mais elle doit aussi concerner les administrateurs traditionnels (Chefs traditionnels, Chefs de quartiers), qui seront les meilleurs relais pour la sensibilisation de leurs populations. Nos États pourraient même aller plus loin en créant des Agences bancaires postales au sein de certaines grandes chefferies exploitant ainsi les relations de proximités, de confiance et d’humilité qui subsistent entre les villageois et leurs autorités traditionnelles.

Nous pouvons espérer que dans les stratégies d’éducation financière, plutôt bien pensées, il est prévu d’éduquer les administrateurs aussi bien que les administrés…

Incorporer des solutions pragmatiques

Le but n’est pas ici d’émettre un doigt accusateur sur ces initiatives volontaristes, menées pour améliorer les conditions sociales de nos populations… mais plutôt d’insister sur la nécessité d’y incorporer les fondamentaux socio-économiques et culturels qui régissent nos sociétés.

Les grandes réflexions ne sont pas nécessairement les vecteurs de bonnes propositions. La réflexion est utile mais dans nos contextes, elle doit être la plus pragmatique possible. Alors qu’un Programme National d’Inclusion Financière se fixe un objectif d’amélioration sur 5, 10 ou 15 ans, une approche pragmatique se doit de fixer un objectif pour demain, tout en œuvrant dès maintenant pour améliorer l’éducation financière :

  • Pour que demain, ou après-demain, lorsqu’une nouvelle initiative malveillante verra le jour, elle n’aura absolument plus la même ampleur.
  • Pour que dès demain, la société civile, mais surtout le secteur informel, puissent se défaire de ce complexe d’infériorité qu’ils nourrissent vis-à-vis de la banque, à cause de diverses raisons: Faibles revenus, barrière de la langue (pour les analphabètes) …

Comment comprendre que ces mêmes personnes n’ont eu aucune difficulté à se rendre auprès des organisations aux pratiques illégales pour épargner/investir ? La raison principale était la promesse de ces dernières de multiplier leur argent.

Ainsi, il faudrait que le banquier africain communique davantage auprès de tous ces petits épargnants, dans un langage qui leur est approprié, leur promettant une bonification de leur épargne sur la base d’un taux d’intérêt.

Cette communication peut également être menée par les États, au travers des moyens de communication technologiques que se sont appropriés 90% des africains. En se servant de la Téléphonie Mobile non pas seulement dans le but d’offrir des services financiers tels que c’est le cas aujourd’hui (Mobile Banking), mais aussi dans l’optique d’en faire un vecteur d’éducation et de sensibilisation aux concepts bancaires et financiers. Une éducation qui se ferait de façon écrite par le biais de SMS réguliers et pour les analphabètes, de façon orale par le biais de messages vocaux en dialecte local.

Le banquier africain devrait communiquer davantage auprès des petits épargnants, dans un langage qui leur est approprié, au travers des moyens de communication technologiques que se sont appropriés 90% des africains.

 

L’éducation financière et de surcroît l’inclusion financière, ne pourrait que renforcer les capacités de développement et la rentabilité de l’entrepreneuriat local. Car ce dernier est dominé par un secteur informel dont les adeptes endurent de nombreuses difficultés de gestion financière et organisationnelle.

 

 

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