Penser et agir pour l’entrepreneuriat en Afrique

Investissements

Quel financement pour le secteur privé en Afrique ? La place de l’investissement d’impact ?

Le secteur privé est un moteur de la croissance. Pourtant, les entreprises africaines, quelle que soit leur taille, souffrent d’un défaut de financement en particulier dans des zones où les…

Le secteur privé est un moteur de la croissance. Pourtant, les entreprises africaines, quelle que soit leur taille, souffrent d’un défaut de financement en particulier dans des zones où les financements traditionnels sont insuffisants. L’investissement d’impact serait-il une alternative possible ?

Les entreprises – grandes, moyennes ou petites – représentent l’un des principaux moteurs de la croissance économique. Elles participent activement à la création d’emplois, génèrent des revenus et contribuent au bien-être social et environnemental. Cependant, le secteur privé en Afrique fait face à un défaut de financement important, surtout dans les zones où les financements traditionnels sont insuffisants. C’est ici que l’investissement d’impact intervient comme une alternative prometteuse, surtout pour les entreprises ayant des retombées significatives sur leurs communautés.

 

L’investissement d’impact, un secteur mal défini

L’investissement d’impact apparaît comme une alternative récente au financement du secteur privé, notamment pour les entreprises engendrant de fortes retombées extra-financières sur leur communauté. L’investissement d’impact connaît une croissance à deux chiffres (14%) en 5 ans (2017-2022) en Afrique, mais reste un segment peu développé eu égard aux autres formes de financement. Il existe un réel engouement pour cette innovation financière, notamment de la part des bailleurs et des gouvernements. En dépit de cet intérêt, ce secteur reste largement méconnu. Dans une étude récente, la Chaire Investissement d’Impact de la Ferdi cherche à améliorer la connaissance de l’investissement d’impact en Afrique en publiant une cartographie de l’investissement d’impact en Afrique.

 

Spécificités et rôle dans le financement du développement

L’investissement d’impact est une forme d’investissement qui utilise des outils financiers classiques comme le financement par dettes ou par prise de participation par exemple. Sa spécificité réside dans l’orientation de son financement vers des entreprises qui génèrent des impacts extra-financiers élevés, qu’ils soient économiques (par exemple, création d’emplois indirects), sociaux (par exemple, amélioration de l’offre de soins) ou environnementaux (par exemple, solution de production d’énergie renouvelable). De même, il considère les entreprises n’ayant pas accès aux financements classiques tels les crédits bancaires, en raison de leur balance rendement-risque plutôt défavorable.

Les investisseurs d’impact jouent, à cet effet, un rôle crucial pour combler le manque de financement pour de nombreuses entreprises en Afrique.

Ils prennent le risque d’investir dans ces entreprises, à différentes étapes de son développement, en dépit d’un rendement pouvant être inférieur aux taux du marché. La contrepartie de cette rentabilité réduite et de ce risque accru est que les investissements fournis vont générer des impacts élevés pour la communauté. L’investissement d’impact permet à cet effet d’aider des entrepreneurs à lancer leur projet, à développer leurs produits, à renforcer leurs stratégies de marché et à pouvoir s’auto-financer. Un exemple emblématique est celui de la Laiterie du Berger (LDB), une entreprise sénégalaise ayant été financée par l’ investisseur d’impact I&P. Avec plus de 700 000 euros investis sur plusieurs années, I&P a soutenu LDB dès ses débuts, malgré des bénéfices initiaux modestes. D’autres investisseurs d’impacts l’ont, par la suite, accompagnée financièrement dans son développement. Aujourd’hui, LDB emploie plus d’un millier de personnes et participe à l’amélioration de la chaîne de valeur agricole, de la nutrition, des revenus et du PIB du Sénégal – démontrant l’importance de l’investissement d’impact et de ses acteurs dans le financement du développement.

 

Quelques données sur les investisseurs d’impact en Afrique

Sur le continent africain, les objectifs de génération d’impacts sont souvent basés sur la capacité à atteindre les Objectifs du Développement Durable (ODD) et à contribuer au plan de développement national des pays dans lesquels ils investissent, ce qui peut ne pas être le cas dans d’autres pays. Ainsi, les activités économiques des entreprises financées sont souvent liées à l’un ou à la plupart des 17 ODD.

En outre, compte tenu de leur double objectif – impact et rendement – les investisseurs d’impact cherchent à financer des secteurs leur permettant d’avoir un impact à l’échelle et un rendement financier possible et acceptable. C’est pourquoi les secteurs dans lesquels ils investissent en Afrique se concentrent sur l’agriculture, la finance et l’énergie. Ces trois secteurs répondent à cette double contrainte. Ces secteurs sont parmi les secteurs présentant un taux de croissance élevé sur le continent mais également les secteurs employant le plus d’actifs.

Le secteur agricole, par exemple, a une importance cruciale à la fois en termes économiques en employant plus de la moitié de la population active en Afrique (51,71% des emplois sur le continent africain est dans le secteur agricole, World Development Indicator), sociaux en raison de la pauvreté dans les zones rurales et environnementaux sachant que l’agriculture est à la fois le réceptacle et une solution aux défis environnementaux (changement climatique, biodiversité, pollution).

 

Cependant, la cartographie réalisée par la Chaire Investissement d’impact montre qu’une majorité des fonds d’investissement opérant en Afrique ont leur siège social en dehors du continent, principalement en Amérique du Nord et en Europe. Les fonds africains représentent à peine plus de 16 % de l’activité des fonds opérant sur le continent, avec une concentration notable dans quelques pays anglophones comme le Nigeria, le Kenya et l’Afrique du Sud. C’est également dans ces pays que la plupart des entreprises financées sont situées.

Le paysage de l’investissement d’impact en Afrique est par ailleurs dominé par des fonds de taille moyenne (de 1 à 250 millions USD), soit 54,5% des investisseurs d’impact identifiés sur le continent. Cependant, 80% des actifs sous gestion de l’ensemble de l’investissement d’impact en Afrique, de l’ordre de 108 milliards USD, sont gérés par quelques méga-fonds (au-delà de 1 000 millions USD) – représentant 7% des investisseurs dont trois sur dix-huit ont leurs sièges sociaux en Afrique (au Nigéria et à l’île Maurice), les quinze autres étant majoritairement européens.

 

Les défis de l’investissement d’impact en Afrique

L’investissement d’impact en Afrique fait face à plusieurs défis.

Premièrement, la déconnexion entre la nationalité des fonds et celle du pays et de l’entreprise dans lesquels ils investissent est la source d’un des défis des investisseurs sur le continent africain. Investir dans la monnaie locale de l’entreprise financée ou dans la monnaie des investisseurs est un des dilemmes qui se présentent à eux. Ce dilemme conduit souvent à un « désalignement des devises ». Les chocs du marché de la monnaie peuvent être un facteur bloquant pour l’allocation des fonds et peuvent servir d’argument de désistement pour les détenteurs de fonds et les institutions financières locales.

La difficulté à mesurer et démontrer l’impact réel de ces investissements est également un des défis majeurs de ce secteur en Afrique. En effet, ses impacts économiques sont plus élevés que ce que les données peuvent mettre en évidence – comme le cas de la LDB.

Pourtant, il est essentiel pour les investisseurs d’impact d’être en mesure de démontrer leurs impacts sur la communauté et contribuer ainsi à la construction de leur légitimité et crédibilité auprès des allocateurs de capitaux, qui sont majoritairement des fondations et des institutions financières de développement (IDF). Le manque de personnel qualifié et le coût élevé des systèmes d’évaluation expliquent en partie la difficulté des investisseurs d’impact à prouver leur crédibilité auprès de ces derniers afin de les soutenir dans leur levée de fonds. La lourdeur administrative liée à ces levées de fonds est également une des raisons pour lesquels on constate une diminution de la création de nouveaux fonds depuis le début du siècle. Cette problématique de ressources humaines s’explique par le caractère concurrentiel du marché du travail. Devant embaucher du personnel hautement qualifié, ils font face à la concurrence en raison d’une fourchette de salaires plus élevée chez les concurrents comme les IFD elles-mêmes, ou les agences de développement. Il est malheureusement difficile pour eux de s’aligner sur ces mêmes critères.

Un autre défi, concerne la difficulté de sortie due à la taille limitée de l’écosystème de l’investissement d’impact. Peu d’investisseurs qu’ils soient internationaux ou nationaux sont intéressés par le rachat de leurs parts. La vente de ces derniers dans les entreprises financées peut, de cette manière, s’étaler dans le temps, au-delà de la maturité définie au départ, et être un facteur dissuadant les investisseurs d’impact eux-mêmes.

 

En conclusion, pour bénéficier du plein potentiel de l’investissement d’impact, il est indispensable d’accroître le financement des fonds d’investissement d’impact locaux en simplifiant les procédures et en innovant pour attirer les investisseurs institutionnels. Accompagner son développement en mettant en place des mécanismes d’amélioration de la balance rendement-risque, notamment par le développement d’instruments spécifiques et de marchés secondaires, servirait de levier pour soutenir l’émergence de ce secteur. Enfin, il est important d’améliorer la qualité des fonds et leurs méthodologies de mesure de l’impact, en soutenant les équipes, en partageant les meilleures pratiques et mettant en place des incitations dédiées. La Chaire investissement d’Impact de la Ferdi aborde ces enjeux dans son agenda de recherche.

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Résilience et adaptation en période d’insécurité : le renouveau du Mali passera par le secteur privé (2/2)

Les récentes crises et les vulnérabilités structurelles qui en découlent ont considérablement diminué la capacité des pays du Sahel, déjà historiquement très faible, à attirer l’investissement. À titre d’exemple, après…

Les récentes crises et les vulnérabilités structurelles qui en découlent ont considérablement diminué la capacité des pays du Sahel, déjà historiquement très faible, à attirer l’investissement. À titre d’exemple, après un record historique de 860 millions USD en 2019 (5% du PIB), les investissements étrangers directs vers le Mali (entrées nettes)  ont drastiquement chuté pour n’atteindre que 252 millions en 2022 (1,3% du PIB). 

Peu priorisé dans un contexte sécuritaire fragile, le développement du secteur privé joue pourtant un rôle central pendant et après les situations conflictuelles. L’expérience a démontré que le secteur privé demeure actif même en période de conflit et qu’il est capable de s’adapter pour surmonter les chocs systémiques.

Dans cet entretien, Mohamed Keita, entrepreneur malien, Directeur et Co-fondateur de Zira Capital, entreprise créée en 2022 et dédiée au financement et à l’accompagnement des start-ups et PME au Mali, partage son expérience de levée de fonds et plaide pour la nécessité de continuer de soutenir le secteur privé malgré un contexte sécuritaire et socio-politique difficile.

 

Entreprenante Afrique : Pouvez-vous faire un état des lieux de la situation entrepreneuriale au Mali ?

Mohamed Keita : Depuis une dizaine d’années, l’économie malienne a été impactée par les effets combinés de la crise sécuritaire et les crises politico-institutionnelles. Nous restons très attentifs face à l’évolution de la situation et notre souhait en tant qu’entrepreneur est bien sûr de retrouver rapidement un environnement des affaires stable.

Malgré ce contexte difficile, malgré les défis, nous observons que les entrepreneurs arrivent toujours à créer des opportunités localement. Ils développent des projets et des biens qui satisfont les besoins locaux. Ils créent et maintiennent des emplois qui font vivre des milliers de ménages et qui stimulent par la même d’autres aspects de l’activité économique. 

Les entreprises maliennes font preuve d’une résilience exceptionnelle mais ont besoin de partenaires stratégiques pour les accompagner,  ce sur le plan financier et extra financier. C’est la raison pour laquelle, avec d’autres acteurs (la BNDA, Investisseurs & Partenaires et un certain nombre de particuliers), nous avons entrepris de lancer le fonds Zira Capital. L’objectif est d’accompagner ces petites entreprises locales à travers des mécanismes de financement et des outils adaptés à leur projet de développement.

 

Lever un fonds pour soutenir l’entrepreneuriat dans un pays qui présente autant de risques n’est pas une mission évidente… Quel a été votre discours envers les financeurs ? 

M. K.: Le modèle de Zira Capital, fonds co-créé par ou avec des acteurs locaux pour financer des entreprises locales en capital, est un modèle qui a déjà été mis en place et commence à faire ses preuves dans d’autres pays africains, dans d’autres pays de la zone Sahel, notamment au Burkina Faso et au Niger. Par contre, c’est un dispositif inédit dans l’écosystème entrepreneurial malien. 

L’initiative a été bien accueillie, et a suscité de l’enthousiasme auprès des entrepreneurs maliens. Avant même la création officielle de la société de gestion, nous avions pu constituer un pipeline de projets de qualité. Nous avons constitué une base de donnée d’entreprises à fort potentiel dans des secteurs variés, des secteurs en lien avec les besoins fondamentaux de l’économie malienne : l’agroalimentaire qui participe à hauteur de 45% à la formation du PIB et occupe 80% de la population, mais aussi dans l’énergie, les services essentiels, la santé et l’éducation. 

Notre principal argument pour convaincre sur la nécessité de créer notre dispositif de financement a d’ailleurs été ce pipeline constitué d’entrepreneurs de qualité, ancrés dans le pays et dont les besoins ont été clairement identifiés.

Investir dans un pays comme le Mali implique bien évidemment de prendre un certain degré de risque. Mais des mécanismes peuvent être mis en place pour les limiter. Durant la levée de fonds, qui a durée plusieurs années, nous avons fait face à de nombreux défis. Nous avions identifié énormément de partenaires potentiels notamment certaines filiales de multinationales avec qui les discussions étaient arrivés à un stade avancé, mais dont les enthousiasmes se sont peu à peu calmés eu égard de l’évolution de la situation politique. Ce qui est compréhensible à partir du moment où un certain degré de sécurité de l’investissement ne peut plus être garanti. 

Mais fort heureusement pour nous, la grande majorité des investisseurs identifiés dès le début du projet ont maintenu leur confiance en nous et notre projet et nous ont accompagnés dans notre premier closing en 2022. 

“Investir dans un pays comme le Mali implique de prendre un certain degré de risque, mais des mécanismes peuvent être mis en place pour les limiter.”

 

Les pays du Sahel ont reçu une aide publique significative de la communauté internationale ces dernières années, pour un bilan mitigé. Faut-il repenser l’aide publique au développement au Mali ? Et en quoi l’investissement dans les PME représente  une alternative plus efficace/impactante ?

M.K. :  En 2021, le Mali a reçu 1.42 Milliard USD d’aide publique au développement. Ce qui représente une ressource importante pour le pays de manière générale. Je ne dirais pas que l’aide est inopportune, mais que ce dispositif doit être davantage fléché sur des acteurs terrain, notamment les entreprises privées. Certaines approches historiques de l’aide publique ont montré leurs limites. Et il s’agirait de déployer des mécanismes innovants et des moyens plus conséquents pour permettre aux institutions publiques de financement du secteur privé (DFIs) d’être plus présentes, plus rapides et plus performantes. 

Je fais partie de ceux qui sont convaincus que le développement de nos États, notamment des États fragiles comme le Mali, passera forcément par le développement d’un tissu de petites et moyennes entreprises. Et un moyen efficace de le faire serait de faire le pari de mettre davantage de ressources à la disposition de ces entreprises-là, surtout des ressources qu’elles ont du mal à mobiliser localement. 

“Je fais partie de ceux qui sont convaincus que le développement de nos États, passera par le développement d’un tissu de petites et moyennes entreprises. Les dispositifs d’aide publique au développement devraient être davantage fléchés sur ces PME.”

Ce qu’il faut noter, c’est que le tissu entrepreneurial malien est très vivant. Il y a une forte effervescence, il y a de plus en plus de personnes qui se lancent. Des personnes plutôt jeunes, qui apportent des solutions nouvelles, qui  développent des services de qualité, qui arrivent à lancer des projets. Ceci fait naître une note d’espoir dans le tableau général du pays qui est quand même assez compliqué, avec une crise sécuritaire et une instabilité politique qui perdurent depuis une dizaine d’années. Pour ma part, je fais partie de ceux qui font le pari que le renouveau du Mali viendra en grande partie du secteur privé.

 

Aller plus loin : dans la série “Résilience et Adaptation”, découvrez l’article de Maïmouna Baillet,“Le combat des entrepreneures nigériennes”.

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3 pistes essentielles pour l’agenda du développement des 30 prochaines années

Le 22 Mai 2023, une journée passionnante de débat a été organisée par la Chaire architecture du financement international du développement et la chaire impact de la FERDI. Elle a…

Le 22 Mai 2023, une journée passionnante de débat a été organisée par la Chaire architecture du financement international du développement et la chaire impact de la FERDI. Elle a rassemblé une vingtaine de chercheurs, d’investisseurs, d’entrepreneurs et de dirigeants d’institutions de développement, africains et internationaux. Que retenir de ces travaux ?

L’actualité du débat sur l’architecture des financements internationaux remet sur le devant de la scène la question de la contribution au développement du secteur privé et des financements privés.

Quelle que soit la manière dont on prend le problème, pour parvenir à répondre aux défis des décennies à venir, il faut que le taux d’investissement augmente. C’est tout particulièrement le cas dans les pays pauvres et fragiles, qui sont l’attention prioritaire de tous. La raison en est double : leur croissance démographique d’une part, avec ses implications liées à l’éducation, la santé, l’équipement des territoires, la mobilité, la réponse aux défis sociaux ; le changement climatique d’autre part, avec notamment le défi de l’adaptation. Evidemment, les investissements publics seront indispensables. L’aide publique au développement aussi. Mais il faut aussi que les investissements privés croissent, et que les financements privés en fassent autant.

Il y a en pratique au moins trois séries de sujets différents.

Premièrement, il est souhaitable que les États des pays pauvres et fragiles se financent davantage auprès des banques et sur les marchés, le tout de manière saine et responsable. La période actuelle voit les risques de surendettement croître, notamment en Afrique. Revenir sur cette question est indispensable. La mise en place d’un mécanisme commun et global de coordination en matière de dette est le sujet central, comme le renforcement de la capacité de surveillance du FMI. Le « cadre commun » du G20 amorce ce processus politiquement complexe.

Pour parvenir à répondre aux défis des décennies à venir, il faut que le taux d’investissement augmente

Deuxièmement, il est également souhaitable que plus d’investissements directs étrangers s’orientent vers ces mêmes pays. Le besoin est prioritaire en matière d’infrastructures : le secteur privé productif comme financier national est rarement à l’échelle de la complexité et de la taille des opérations, même s’il peut progresser. L’essentiel se joue à l’échelle des pays mêmes : nous avons besoin de meilleures politiques nationales et de plus de projets. C’est pourquoi les préconisations les plus adaptées concernent la manière d’améliorer les premières, en leur permettant d’accueillir davantage les investisseurs privés, et de renforcer les capacités des administrations, s’agissant des seconds. Les Institutions de Développement peuvent aussi devenir plus proactives pour aider à la fabrication des projets. Il faut également rassurer les investisseurs internationaux face aux risques souverains : améliorer l’accès aux instruments de garantie (comme MIGA, L’Agence multilatérale de garantie des investissements) et permettre aux institutions publiques de financement du secteur privé (DFIs) d’être des partenaires plus rapides et performants. 

Troisièmement, renforcer l’émergence entrepreneuriale et la croissance des PME de ces pays pauvres et fragiles est une priorité de tout premier ordre. Quelles que soient les aides et les garanties dont on pourrait faire bénéficier les grandes entreprises internationales ou les grands investisseurs institutionnels, ces pays sont en effet trop petits et trop complexes pour pouvoir les intéresser autrement qu’à la marge. C’est donc, contrairement à ce qui se passe pour les infrastructures, il faut se situer au niveau du secteur privé local. Celui-ci est en effet lacunaire, fragile, et de très petite taille.

Renforcer la dynamique entrepreneuriale des pays pauvres est possible. Une vingtaine d’années d’expériences et de pilotes ont dégagé des expériences convaincantes, dans un contexte où la volonté d’entreprendre est très grande. Ici, les projets ne manquent pas !  

L’agenda d’aujourd’hui est donc celui du passage à l’échelle.

L’agenda d’aujourd’hui est donc celui du passage à l’échelle. Il faut, en premier lieu, appuyer les entreprises naissantes en renforçant les dispositifs d’accélération, d’incubation et de pré investissement. En second lieu, il faut créer, dans autant de pays que possible, des fonds privés ou des sociétés privées d’investissement apportant des capitaux longs, et du renforcement de capacité, aux petites entreprises en structuration. En troisième lieu, des fonds régionaux sont nécessaires pour financer l’expansion et le renforcement de capitaux des sociétés qui deviennent trop importantes pour être financées au niveau national mais ne peuvent encore accéder, par exemple, aux fonds d’investissement commerciaux. À tous les étages, le renforcement des capacités technologiques et managériales est primordial.

Il y a cependant deux points importants, s’agissant de ce dernier agenda, qui sont trop souvent sous-estimés. 

D’abord, l’épargne nationale est encore trop faible pour pouvoir financer cet effort d’investissement en capital. Par ailleurs, comme nous l’avons dit, l’épargne internationale ne peut vraiment se mobiliser aisément en leur direction. Nous avons donc besoin des financeurs publics, nationaux et internationaux, pour ajouter à l’investissement privé national. C’est pourquoi la mobilisation des fameuses DFIs, comme des agences d’aide publique, est indispensable. 

Ensuite, même si les sociétés privées qui sont financées sont très rentables, et apportent une valeur sociétale considérable, les investisseurs dans ce domaine peuvent rarement atteindre des niveaux de retour correspondant à des attentes de marché. En effet, il est difficile de pouvoir valoriser les petites sociétés africaines, par exemple, à des niveaux équivalents à ceux de leurs sœurs européennes. Les investissements dans ces petites sociétés sont aussi grevés par des frais de gestion élevés, une fiscalité parfois lourde, et des pertes de change, sans parler d’une sinistralité, qui, sans être très élevée, vient quand même s’imputer sur les résultats. Il faut donc que les investisseurs publics acceptent des retours financiers bas, qui se justifient par les retours fiscaux et sociétaux très élevés. Ils doivent aussi accepter, s’ils veulent attirer des investisseurs privés, de leur apporter des garanties ou autres éléments de rehaussement de rendement.

Il s’agit donc d’un agenda qui a un coût budgétaire.

Il s’agit donc d’un agenda qui a un coût budgétaire. Mais ce coût, comme différents travaux le montrent, est modeste au regard du PIB et des gains sociétaux générés. Encore faut-il que les DFIs, par exemple, aient la capacité de soutenir cet effort. Jusqu’à présent, ceci n’a pas été leur mandat. Il faut qu’il le devienne, et que leur modèle économique leur permette de le soutenir. Il revient à leurs actionnaires publics, c’est-à-dire les gouvernements de l’OCDE et de la Chine, d’agir en ce sens. Il faut aussi que les agences d’aide acceptent l’idée que d’engager des fonds publics dans le secteur productif. C’est une barrière idéologique, et parfois de savoir-faire, importante à franchir pour certaines d’entre elles. Il est nécessaire d’investir dans le cadre conceptuel et la justification économique et d’impact pour les rassurer et les convaincre.

Il y a très peu de grandes, et de moyennes entreprises en Afrique. La plupart des grandes entreprises africaines de 2050 ne sont pas encore nées. Accélérer leur naissance, diminuer leur sinistralité pendant la période de leur croissance, rendre leur expansion plus rapide, plus sûre et plus soutenable environnementalement et socialement, voila le grand agenda du développement des trente prochaines années pour les pays pauvres et vulnérables. Il permettra de créer la masse d’emplois absorbant l’immense vague démographique devant nous, qui est tout à la fois un défi et une chance. C’est ainsi que l’on créera les marchés financiers de demain et que les grands investisseurs internationaux se tourneront vers ces pays, encore pauvres, et demain, toujours moins fragiles, si cet agenda réussi.

La société internationale doit gagner en cohérence

Un dernier mot. La société internationale doit gagner en cohérence. Si l’on désire que se connectent les grandes entreprises et les marchés financiers mondiaux avec les pays en développement, la main droite des pays de l’OCDE qui désire les aider doit agir dans le même sens que leur main gauche, qui régit les marchés financiers. Or, nous connaissons une accumulation de règles relatives à lutte anti-blanchiment et antiterroriste, à la gestion des risques bancaires et à l’éthique et l’environnement qui commencent à poser question. Aussi positives et incontestables soient elles dans leur inspiration, elles conduisent en effet à un niveau de risque de conformité qui détourne aujourd’hui trop d’entreprises internationales de premier plan des pays en développement et tout particulièrement des plus pauvres. Il est indispensable de revenir à plus de cohérence et trouver les bonnes modalités et les justes compromis entre le désir d’une part d’assainir et de rendre plus stables les marchés financiers et d’autre part de promouvoir l’investissement dans les zones du monde les plus fragiles.


Cet article est inspiré du document de travail : → Des millions pour des milliards : accélérer l’émergence entrepreneuriale africaine pour une croissance accélérée, durable et riche en emplois. Une publication de Jean-Michel Severino, faisant partie des travaux de la Chaire Architecture Internationale du Financement du développement de la FERDI, et qui plaide pour la nécessité d’accélérer fortement l’implication publique en faveur de l’émergence entrepreneuriale dans les pays pauvres et fragiles.

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La législation fiscale en question : le rôle des conventions d’établissement dans le secteur aurifère africain

Jusque dans les années 90, le continent africain pourtant riche en ressources minérales, attirait peu les investissements miniers.

Jusque dans les années 90, le continent africain pourtant riche en ressources minérales, attirait peu les investissements miniers.

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