Penser et agir pour l’entrepreneuriat en Afrique

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Digitalisation au service de la filière anacarde : le défi de Wi Agri

Leader mondial de la production brute de noix de cajou avec la barre symbolique du million de tonnes d’anacardes récoltés en 2020, la Côte d’Ivoire n’est pourtant que troisième sur…

Leader mondial de la production brute de noix de cajou avec la barre symbolique du million de tonnes d’anacardes récoltés en 2020, la Côte d’Ivoire n’est pourtant que troisième sur le marché mondial de transformation de l’anacarde avec seulement 2,3%, bien loin derrière les deux mastodontes asiatiques que sont le Vietnam et l’Inde qui, ensemble, cumulent plus de 80% des parts du marché mondial.

Actuellement, 1,5 millions de personnes sont directement engagées dans la chaîne de valeur anacarde ivoirienne : 500.000 producteurs (dont 20% de femmes) et 1 millions de travailleur(r/se)s agricoles, essentiellement des ramasseuses. Le pays est le premier producteur mondial de noix de cajou avec une production se stabilisant autour du million de tonnes par an depuis 2020 grâce notamment à une réforme engagée et mise en œuvre dans le secteur agricole depuis 2013. Cette réforme ayant permis à la Côte d’Ivoire de passer d’une production de 400.000 tonnes en 2011 à 970.000 tonnes en 2021.

Là où ces efforts de production sont à saluer, seuls 10 à 20% des anacardes produits sont transformés localement. La Côte d’Ivoire en exporte en effet plus de 800.000 tonnes  par an sous forme de noix brutes, soit plus de 40% de l’offre mondiale, faisant de l’anacarde le deuxième produit agricole d’exportation ivoirienne tant en volume qu’en valeur. L’anacarde brute est exporté vers l’Asie, au Vietnam et en Inde, où il est transformé et ré-exporté vers des pays à forts pouvoirs d’achat : aux USA, en Europe et au Moyen Orient, où la demande n’a pas connu de ralentissement malgré la période Covid, contrairement à d’autres produits agricoles.

La politique nationale ivoirienne et sa stratégie économique pour 2025 vise à faire passer la part de la production transformée localement de 10 à 50%, avec un impact considérable en matière de création de valeur et de création d’emplois, particulièrement féminines et en milieu rural. Objectif ambitieux mais non moins réaliste si le pays relève les nombreux défis que cela implique.

 

Une passerelle numérique entre l’offre et la demande

Chaque année, ce sont près de 20% de la production totale de noix de cajou brutes qui sont exportées de manière illicite vers les pays limitrophes de la Côte d’Ivoire, notamment vers le Ghana. Depuis l’instauration d’une taxe sur l’exportation des noix brutes pour encourager la transformation locale il y a une dizaine d’années, la contrebande d’anacardes a explosé justement parce que cette nouvelle politique de taxation n’a pas été suivie par les pays voisins de la Côte d’Ivoire. Les noix brutes sont collectées et acheminées illégalement vers le port de Tema au Ghana où les dépenses portuaires sont inférieures à celles appliquées à Abidjan.

Si une taxation homogène de la filière anacarde au niveau de la CEDEAO permettrait à terme d’endiguer ce phénomène d’exportation illicite, en parallèle, il y a une véritable nécessité à mettre en place des mesures concrètes d’accompagnement pour que l’offre de noix brutes rencontre les demandes des unités de transformation locales. 

Alternative intéressante et qui commence à faire ses preuves dans d’autres filières agricoles, les technologies digitales au service de l’agriculture (D4ag) permettent aux producteurs et aux entrepreneurs du secteur agroalimentaire d’accroître leur productivité, leur efficacité et leur compétitivité, de faciliter l’accès aux marchés, d’améliorer les résultats nutritionnels et de renforcer la résilience au changement climatique.

La Plateforme digitale Wi-Agri s’est fixée pour challenge de contribuer à la réussite de la stratégie nationale ivoirienne en modernisant l’accès au marché et aux services financiers et non financiers pour les petits producteurs d’anacarde et en permettant aux PME ivoiriennes de s’appuyer sur la digitalisation pour apporter à l’échelle, des relations commerciales rapides, sécurisées et transparentes aux petits producteurs et aux coopératives qui les encadrent. 

D’ici 2025, la plateforme Wi-Agri projette d’atteindre 500 000 utilisateurs dont 100 000 femmes, et de créés 20 000 emplois.

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Les PME africaines ont le potentiel d’être à la pointe du digital de demain

  Cela fait plus de 15 ans que j’accompagne des entreprises sur le continent dans leurs stratégies digitales et je crois fondamentalement au potentiel des PME africaines d’être à la…

 

Cela fait plus de 15 ans que j’accompagne des entreprises sur le continent dans leurs stratégies digitales et je crois fondamentalement au potentiel des PME africaines d’être à la pointe du digital de demain.
Pourquoi ?

Tout d’abord parce qu’il y a un retard technologique.

Quand on parle de digital en Afrique, le constat aujourd’hui reste que les usages sont encore limités. Seuls 36% de la population africaine étaient connectée en Janvier 2023. Les progrès technologiques sont freinés par des questions structurelles (manque d’infrastructures, faible connectivité internet, faiblesses des réseaux électriques), mais aussi des questions d’ordre sociétales (pouvoir d’achat limité, populations éloignées de l’écrit, etc.)
Mais ce retard technologique est, par bien des égards, une chance.

En effet, ce que l’on voit c’est que les derniers arrivés ont tendances à adopter directement les usages les plus avancés. Les nouveaux arrivant sur Internet vont par exemple immédiatement utiliser l’intelligence artificielle – déjà via la reconnaissance vocale sur leur smartphone – et cela leur semblera normal.

C’est ce qu’on appelle le Frogleap : Un saut de grenouille qui permet aux entreprises africaines de passer directement de l’artisanat à l’industrie Web 4.0 !

Deuxièmement parce que ces entreprises évoluent dans des contextes difficiles.

Enjeux politiques, économiques, sociaux, réglementaires, environnementaux : le contexte est souvent difficile pour les entreprises africaines – plus difficiles qu’ailleurs.
Ici encore c’est une chance ! Parce que l’innovation nait de la contrainte.

En effet, pourquoi changer quelque chose qui fonctionne ? Oui, on pourrait faire mieux, mais par essence personne n’aime le changement…
C’est le principal frein auquel se se heurtent les projets de transformation dans les entreprises françaises par exemple.

On connait tous la difficulté à faire changer des habitudes établies. Alors que face à un problème ou un blocage, on est prêt à tout pour trouver une solution.

L’exemple le plus flagrant est le cas du mobile money qui représente plus de 36 milliards de transactions en Afrique subsaharienne – contre seulement 300 millions en Europe et Asie Centrale (source : GSMA 2021).
Pourquoi est ce que ces usages peinent à décoller en Europe et en Asie Centrale ? Parce que le marché est déjà équipé de cartes bancaires et que de fait, si le paiement mobile apporte un plus, il ne vient pas répondre à une vraie tension.

Intéressant de voir ici d’ailleurs comment ces innovations impactent la manière de mesurer le niveau de développement d’un pays – Avec le mobile money par exemple, le taux de bancarisation n’est plus forcément aussi représentatif …

Enfin parce que les PME Africaines sont souvent des structures jeunes aux moyens limités

Aussi surprenant que cela puisse paraître, cela peut aussi être une chance pour le digital.
En effet, la digitalisation n’est plus aujourd’hui tellement une question de budget, mais plus une question de culture.

L’essor du no-code a démocratisé l’accès à la digitalisation pour les entreprises.

Des applications telles que Notion ont permis à des entreprises comme Sayna, à Madagascar, de digitaliser l’ensemble de leur process sans nécessiter d’expertises techniques particulières ou de budgets importants.
Les médias sociaux permettent eux de toucher facilement une audience locale et internationale.
De plus, il est plus facile pour des structures jeunes et plus petites de tirer partie du digital.
Plus agiles que les grands groupes aux pratiques établies, elles peuvent faire évoluer leurs outils et pratiques pour mettre en place de nouvelles méthodes de travail plus adaptées.

Une capacité d’adaptation qui est une réelle force dans un contexte de fortes incertitudes, notamment sur les sujets énergétiques et climatiques.

Autant de raisons pour les PME Africaine d’embrasser avec confiance une transformation digitale qui peut être un vrai levier de développement.

ll est important cependant de garder à l’esprit :

L’humain : Le digital ne doit pas venir remplacer, mais bien “augmenter” l’humain. Il s’agit de ne pas penser le digital pour le digital, mais pour apporter une valeur ajoutée. Et ainsi améliorer, simplifier, fluidifier des relations avant tout humaines, que ce soit à l’intérieur des entreprises ou avec leurs clients et partenaires. Il est intéressant à ce titre de voir dans les interfaces numériques l’importance croissantes des usages conversationnels qui sont celles qui sont les plus proches des interactions humaines (ex. WhatsApp ou ChatGPT)

Les spécificités africaines : Il s’agit d’une part d’assurer une meilleure représentation des réalités du continent dans les différents outils digitaux. En effet la réalité proposée en ligne dans les résultats de Google, sur les médias sociaux, ou encore dans les productions images ou textes générées par les Intelligences Artificielles sont le miroir des contenus disponibles en ligne – contenus qui sont avant tout américains, asiatiques, européens ..- Il s’agit pour cela d’encourager la production de contenus Africains afin que les spécificités du continent soient elles aussi prises en compte dans le futur.

Et d’autre part, alors que les principaux acteurs du digital aujourd’hui sont américains ou chinois, il faut éviter que la digitalisation ne crée des relations de dépendances trop fortes pour les pays. Une question que l’Afrique partage avec bien d’autres géographies !

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Les opérateurs de téléphonie mobile trop taxés en Afrique ?

La taxe sur les appels internet via WhatsApp, Skype ou Viber a déclenché de nombreuses protestations au Liban entraînant la crise politique du pays quelques mois plus tard. De nombreux…

La taxe sur les appels internet via WhatsApp, Skype ou Viber a déclenché de nombreuses protestations au Liban entraînant la crise politique du pays quelques mois plus tard. De nombreux autres pays, particulièrement en Afrique sub-saharienne (comme l’Ouganda, la Zambie, ou encore le Kenya) ont instauré ou ont essayé d’instaurer (Bénin[1]) des taxes similaires. Ces expériences illustrent l’arbitrage difficile des États tiraillés entre leur souhait de taxer de nouvelles bases, tout en préservant le dynamisme de l’activité et le niveau d’acceptabilité de cet impôt.

En effet, le secteur des télécommunications est l’un des secteurs économiques les plus dynamiques en Afrique et offre un potentiel important de croissance. En 2017, les taux de pénétration des marchés nationaux étaient plus faibles en Afrique (autour de 45% en moyenne) que dans les autres pays en développement (plus de 60% en moyenne) (données GSMA Intelligence, 2018). Ces chiffres laissent présager d’un rattrapage et d’une croissance importante (Cariolle J, 2021).

Les télécommunications participent au développement économique des pays en réduisant les coûts de transaction et en améliorant l’efficience des marchés (Aker and Mbiti, 2010).

Mais où placer le curseur entre la promotion d’une activité économique par le biais de mesures fiscales et la collecte de recettes fiscales à des fins de financement public ?

Quel design donner à cette taxation qui aujourd’hui prend souvent la forme de taxes spécifiques, habituellement réservées aux alcools et aux tabacs [2] ?

Quel devrait-être le niveau adéquat de taxation des opérateurs de télécommunication ?

Dans la littérature économique, deux approches existent. Pour les uns, le nombre limité d’opérateurs de télécommunications permettrait à ces derniers de tirer une rente de leur exploitation[3]. Leur régime fiscal devrait donc suivre le même principe que celui des industries extractives, comprenant ainsi en plus des taxes du régime de droit commun, des taxes particulières comme la redevance minière, la redevance superficiaire ou encore la taxe sur la rente qui permettraient aux États de capter une part de la rente.

Pour les autres, les opérateurs de télécommunications participent à la réduction de la fracture numérique et donc au développement de nombreux autres secteurs d’activité, ce qui justifierait d’éventuelles incitations fiscales.

Grâce à l’application https://data.cerdi.uca.fr/telecom/ ,nous avons pu estimer la charge fiscale sur les entreprises de télécommunications dans 25 pays Africains[4]. Cette charge fiscale ne prend pas seulement en compte les taxes du régime de droit de commun et les taxes particulières aux télécommunications sous le contrôle du Ministère des Finances (MF), mais également les redevances instaurées par les Agences nationales de Régulation (AR). Nous déterminons le Taux Effectif Moyen d’Imposition (TEMI) pour une entreprise de télécommunication représentative dénommée TELCO en utilisant les données de GSMA Intelligence[5]. Le TEMI représente donc la part que représentent les impôts et taxes payés par TELCO dans ce qu’elle réalise comme flux de trésorerie[6] sur toute la durée de sa licence d’exploitation.

Le TEMI varie considérablement d’un pays à l’autre, de 33% en Éthiopie ou 35% au Maroc à 97% en RDC et même 118% au Niger, avec une moyenne de 64%. L’Ethiopie est le seul pays de notre échantillon à n’avoir pas encore libéralisé son secteur des télécommunications. Les taxes et redevances particulières au secteur représentent une part importante du TEMI, illustrant une certaine imposition par le régulateur et une potentielle concurrence fiscale (une course vers le haut) entre le MF et l’AR.

Un secteur des télécommunications généralement plus taxé que l’activité minière aurifère

Si l’on compare le TEMI de TELCO à celui d’une mine d’or et celui d’une entreprise « classique » (qui ne supporte aucune taxe particulière), les trois entreprises ayant le même niveau de rentabilité avant impôt, la charge fiscale du secteur des télécommunications est plus élevée que celle des mines dans 15 des 19 pays pour lesquels nous disposons des données sur le TEMI.

Graphique 1 : Les Taux Effectifs Moyens d’Imposition (TEMI) pour le secteur des télécommunications, le secteur minier, et le secteur standard.

Les Taux Effectifs Moyens d’Imposition (TEMI) pour le secteur des télécommunications, le secteur minier, et le secteur standard.

source : auteurs

 

Le TEMI du secteur minier varie de 31% au Nigéria à 72% au Tchad. Sa moyenne est de 46% contre 68% pour celui des télécommunications. Dans plusieurs pays, la charge fiscale correspondant à la taxation particulière aux télécommunications dépasse celle du secteur minier. Le secteur minier demeure néanmoins plus taxé que le secteur classique dans tous les pays de notre échantillon à l’exclusion du Nigéria.

Des TEMI plus élevés dans les pays où les taux de pénétration du marché et les PNB par habitant sont les plus faibles.

Les TEMI les plus élevés sont observés dans les pays où les taux de pénétration du marché et les PNB par habitant sont les plus faibles. Ces résultats s’expliquent principalement par le niveau élevé du TEMI relatif aux taxes et redevances particulières. (Rota Graziosi, Sawadogo, 2020)

Graphique 2 : TEMI, taux de pénétration et PNB par tête

Correlation TEMI -Taux de pénétration du marché

Corrélation TEMI - PNB

source : auteurs

 

 

Au-delà du niveau d’imposition mesuré par le TEMI, la forme de l’impôt est importante en termes de recettes fiscales et de développement de secteur des télécommunications. Or les Agences de régulations des télécommunications peuvent lever des taxes ou des redevances particulièrement dommageables à l’activité économique, comme l’a souligné Hausman (1998) dans le cas de la loi américaine sur les télécommunications de 1996. Par ailleurs, ces corrélations peuvent aussi illustrer le fait que les pays plus avancés dans le développement de la téléphonie mobile s’appuient moins sur des taxes particulières à ce secteur. Cette relation pourrait résulter d’un lobbying plus puissant des opérateurs de télécommunication dans ces pays.

Ainsi, dans la plupart des pays du continent africain, la pression fiscale pesant sur le secteur des télécommunications est bien plus lourde que celle exercée sur le secteur minier aurifère et les secteurs d’activité standard sans imposition particulière. Une pratique contre-productive à laquelle il est important de mettre un terme.

Pour aller plus loin : https://data.cerdi.uca.fr/telecom/

 

Notes :

[1] Le décret 218-34 du 25 juillet 2018 instaurait une taxe sur l’usage des réseaux sociaux à un taux spécifique de 5 FCFA par mégabyte, ce qui correspond à 0,009 dollar. Les protestations qui en ont suivi ont poussé le gouvernement à annuler cette taxe quelques mois après.

[2] [2] La taxe est spécifique quand sa base est une quantité (minutes, mégabytes, etc.) plutôt qu’une valeur.

[3] Cependant, un nombre limité de compétiteurs ne conduit pas systématiquement à la réalisation d’une rente comme le montre le cas classique du duopole de Bertrand. Cela signifierait qu’il existe une certaine collusion tacite entre les opérateurs de télécommunications et alors un certain échec dans les processus de régulation du secteur.

[4] Notre analyse concerne 25 pays Africains : l’Afrique du Sud, l’Algérie, l’Angola, le Benin, le Burkina Faso, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, l’Égypte, l’Éthiopie, le Kenya, le Gabon, le Ghana, la Guinée, Madagascar, le Mali, le Maroc, le Niger, le Nigeria, la RDC, le Sénégal, la Sierra Leone, la Tanzanie, le Tchad, la Tunisie, et la Zambie.

[5] Notre approche est proche de celle de Djankov et al. (2010), de l’approche Doing Business de la Banque Mondiale pour une activité économique classique, et de l’approche Fiscal Analysis of Resource Industries du Fonds Monétaire International pour les projets miniers et pétroliers.

[6] Le flux de trésorerie considéré ici est celui avant imposition qui correspond à la différence entre le chiffre d’affaire et les charges d’exploitation et d’investissement.

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Les écoles africaines au temps du covid-19

La gestion de la pandémie Covid-19 bouleverse l’éducation mondiale. Les fermetures d’établissements scolaires et universitaires ont renvoyé chez eux 1,5 milliard d’étudiants de 184 pays, soit plus de 90% des…

La gestion de la pandémie Covid-19 bouleverse l’éducation mondiale. Les fermetures d’établissements scolaires et universitaires ont renvoyé chez eux 1,5 milliard d’étudiants de 184 pays, soit plus de 90% des étudiants sur la planète[1].

Depuis la mi-mars en Afrique sub-saharienne, une grande partie des écoles et universités africaines ont ainsi fermé leurs portes. Pour autant, ces fermetures ne signifient pas l’arrêt complet des activités d’enseignement. Établissements publics, privés ou portés par les acteurs associatifs, tous essaient à la hauteur de leurs moyens de fournir des solutions de transition pour que les élèves poursuivent leur parcours scolaire et que le temps d’apprentissage, si précieux, ne soit pas définitivement perdu.

Le groupe Investisseurs & Partenaires, qui accompagne une quinzaine d’entreprises du secteur éducatif, peut témoigner de la forte résilience et de l’esprit d’innovation de ces acteurs. Des crèches aux lycées, en passant par les centres de formations, ces entreprises montrent qu’elles peuvent, au travers d’une crise qui les touche de plein fouet, adapter leur activité et maintenir le cap. Cet article se base en grande partie sur le portefeuille d’I&P, mais inclut également quelques autres initiatives marquantes.

 

Le e-learning, une évidence ?

Afin de garantir une continuité des activités d’enseignement, de nombreuses institutions s’appuient sur les dispositifs de e-learning. C’est par exemple le cas des lycées internationaux Enko, dont les cours ont lieu depuis fin mars sur une nouvelle plateforme digitale. Suite à la constitution d’un comité de crise au niveau de l’entreprise, ce sont aussi de nouvelles méthodes de travail qui ont été mises en place. Les professeurs doivent désormais s’assurer que chaque élève ait accès quotidiennement aux ressources nécessaires pour suivre les cours, soit en support digital, soit en imprimant les livrets envoyés aux familles[2]. Dans le secteur de la petite enfance, où le temps passé devant l’écran doit être limité, c’est la relation entre les parents et les structures préscolaires qui est à réinventer. Communication sur réseaux sociaux, newsletters, groupes Whatsapp… les entreprises spécialisées, à l’instar de Ker Imagination au Sénégal[3], peuvent accompagner les parents pour favoriser les bonnes pratiques à la maison et renforcer la communauté d’apprentissage.

Certaines entreprises éducatives ont fait, bien avant la crise, de la formation à distance le cœur de leur modèle. La startup Etudesk, basée à Abidjan et accompagnée par Comoé Capital, a ainsi développé une expertise précieuse pour construire des plateformes de e-learning sur mesure avec des partenaires variés. Aujourd’hui, Etudesk accompagne une dizaine d’établissements scolaires en Côte d’Ivoire et au Sénégal pour adapter et mettre en ligne leurs contenus pédagogiques dans les meilleurs délais et conditions possibles. African Management Institute construit quant à elle des parcours de formation à distance et en présentiel pour les entrepreneurs et les PME en Afrique de l’Est. AMI fournit actuellement un « kit de survie » gratuit aux entrepreneurs pour apprendre la gestion de crise et prendre les bonnes décisions face aux risques sérieux encourus par leur entreprise[4]. Un autre exemple captivant est celui de l’entreprise Kabakoo, basée au Mali, qui explore un nouveau modèle de formation d’ingénieurs centré sur les « solutions à des problèmes concrets et immédiats » de son environnement. Kabakoo met aujourd’hui à disposition sa plateforme internationale pour que ses apprenants et des experts conçoivent et fabriquent des objets utiles à la lutte contre le Coronavirus tels que des respirateurs artificiels et des masques[5]. Avec un positionnement unique dans le secteur des technologies et de l’éducation, Etudesk, AMI et Kabakoo font valoir leurs capacités d’innovation et de résilience pour apporter des réponses rapides et concrètes aux acteurs éducatifs traditionnels comme aux entreprises et aux citoyens.

Avec un positionnement unique dans le secteur des technologies et de l’éducation, ces entreprises font valoir leurs capacités d’innovation et de résilience pour apporter des réponses rapides et concrètes aux acteurs éducatifs traditionnels.

 

Connectivité, coût et conditions d’apprentissage : les défis de l’école à la maison

Les bonnes pratiques qui émergent ici et là font pourtant face à de nombreuses difficultés. En Afrique de l’Ouest, la connectivité des foyers n’est pas assurée dans de larges zones rurales ou isolées[6]. Aux enjeux de couverture internet s’articulent ceux du coût des forfaits pour consulter ces outils en ligne. D’autres canaux sont ainsi nécessaires et plusieurs initiatives sont en cours pour améliorer l’inclusion des systèmes éducatifs au temps du coronavirus et limiter les risques d’abandon scolaire[7]. Les stations de radio et les chaines de télévision nationales peuvent constituer des solutions massives de diffusion de contenu pédagogique[8], à condition d’une coopération renforcée entre les ministères concernés et entreprise des télécoms, comme c’est le cas en Côte d’Ivoire[9].

D’autre part, il faudra s’assurer que les élèves puissent étudier dans de bonnes conditions et avec assiduité, ce qui est en réalité l’enjeu majeur sur lequel le e-learning offre pour le moment peu d’information. Une réflexion de fonds sur le rôle des enseignants et sur les méthodes pédagogiques à distance doit être conduite pour accompagner l’essor des technologies de l’éducation.

 

Les impacts économiques sont immédiats et durables

Enfin, la crise du coronavirus constitue une menace très forte sur la pérennité financière des entreprises du secteur. Avec un gel complet des recettes qui pourrait durer jusqu’en septembre, les entreprises éducatives doivent chercher à maintenir une bonne relation avec toutes leurs parties prenantes, notamment avec leurs salariés. Ajustement des plans de trésorerie, suppression des charges non essentielles, priorisation des créanciers… des mesures spécifiques peuvent être envisagées à court terme. Pour les établissements les plus robustes, ces mesures seront sans doute suffisantes et s’ajouteront probablement à l’appui bienveillant des partenaires bancaires. Mais pour une majorité d’acteurs privés plus vulnérables, des mesures de soutien complémentaires et significatives seront absolument nécessaires à leur survie. Gouvernements, bailleurs, investisseurs, tous les financeurs de l’éducation devront apporter au plus vite des réponses adaptées.

 

L’opportunité de transformer l’éducation

L’expérience actuelle est inédite. Les entreprises éducatives les mieux préparées à la crise ont été celles qui avaient intégré, même de façon incomplète, le défi de la transformation digitale à leur modèle. Aussi, la crise du coronavirus procure à tout le secteur de l’éducation une opportunité peut-être inédite de déployer de nouveaux modèles qui entrent en résonance avec les aspirations et les pratiques des nouvelles générations d’apprenants.

Élargir l’accès aux contenus, désenclaver les populations, développer de nouveaux services, individualiser les parcours pédagogiques, construire de nouvelles communautés d’apprentissage : le potentiel de l’éducation digitale est immense, pour l’entreprise comme pour ses bénéficiaires. Après l’urgence d’aujourd’hui, il sera sans doute temps pour tous les acteurs de l’éducation de ré-imaginer leur modèle tout en maintenant les enjeux d’accessibilité, d’inclusion et de qualité au cœur de leurs principes.

La crise actuelle procure à tout le secteur de l’éducation une opportunité inédite de déployer de nouveaux modèles qui entrent en résonance avec les aspirations et les pratiques des nouvelles générations d’apprenants.

 

Notes

[1] Informations de l’UNESCO au 7 avril 2020 https://en.unesco.org/news/unesco-launches-codethecurve-hackathon-develop-digital-solutions-response-covid-19

[2] https://enkoeducation.com/fr_FR/covid-19-and-school-closings-enko-education-implements-distance-learning-in-all-its-schools-across-africa/

[3] https://www.facebook.com/KerImagiNation/

[4] https://www.africanmanagers.org/all/news/keep-thriving-ami-learning-covid-19/

[5] https://www.kabakoo.africa/blog/une-bonne-vieille-machine-a-coudre-et-du-fil-contre-covid-19

[6] Voir par exemple l’indice de connectivité développé par GMSA montrant les déficits d’infrastructure et de connectivité dans la zone Afrique de l’Ouest https://www.mobileconnectivityindex.com/#year=2018

[7] Voir les risques soulignés par Jeune Afrique au Sénégal : https://www.jeuneafrique.com/922593/societe/senegal-les-bons-et-les-mauvais-points-de-lecole-a-distance-au-temps-du-coronavirus/

[8] Voici les différents canaux d’enseignement à distance recensés par le GPE : https://www.globalpartnership.org/blog/school-interrupted-4-options-distance-education-continue-teaching-during-covid-19#.XoXPayoKbqI.linkedin

[9] Voir ici l’initiative du gouvernement ivoirien qui a démarré le 6 avril 2020 pour les classes d’examens (CM2, 3ème, Terminal). http://www.gouv.ci/_actualite-article.php?recordID=11002

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Quels écosystèmes tech en Afrique francophone ?

Depuis quelques années, la croissance du continent africain s’appuie en grande partie sur celle des pays francophones. Selon le rapport de la Banque mondiale “Perspectives économiques mondiales”, le taux de…

Depuis quelques années, la croissance du continent africain s’appuie en grande partie sur celle des pays francophones. Selon le rapport de la Banque mondiale “Perspectives économiques mondiales”, le taux de croissance économique des pays francophones d’Afrique a été de 4,9% sur la période 2012-2018, contre 2,9% pour le reste du continent.

La Côte d’Ivoire, le Sénégal et la Guinée, caractérisés par une population jeune et en forte croissance, se trouvent parmi les économies avec les croissances les plus rapides en Afrique. L’Afrique francophone est aussi l’une des sous-régions les plus jeunes au monde, avec par exemple un âge moyen de 15 ans au Niger. Parallèlement à ces évolutions économiques et démographiques, le taux de pénétration de la téléphonie mobile, qui reste encore inférieur à celui des pays anglophones, est en augmentation.

Dans cet environnement en rapide évolution, quels sont les défis pour l’écosystème technologique de l’Afrique francophone ?

 

Chaque année Seedstars, groupe d’investissement et plateforme pour identifier et former des entrepreneurs dans les pays émergents, réalise un Index afin de mesurer la qualité, le potentiel et la maturité des écosystèmes techs dans les 75 marchés émergents dans lesquels nous sommes présents. Trois piliers sont analysés : les opportunités, l’environnement, et la culture.

 

Culture : état d’esprit et communauté

Le troisième pilier, la culture, est souvent le plus difficile à définir. Il prend en compte des critères tels que la densité d’entrepreneurs, le nombre d’événements liés à l’entrepreneuriat, la présence des startups dans les médias, la collaboration entre les acteurs de l’écosystème et le nombre de success stories

S’il existe des différences significatives entre tous les pays de la région, l’Index attribue en général une note faible à la culture entrepreneuriale des pays francophones.

“Les étudiants ivoiriens sont plus attirés par les emplois dans la fonction publique et les grosses entreprises. L’entrepreneuriat arrive en 3eme position dans leur choix de carrière

Mohamed Aly Bakayoko fondateur de Unikjob en Côte d’Ivoire.

La bonne nouvelle est que des progrès significatifs peuvent être faits et sont en cours.

Si la culture entrepreneuriale a encore des progrès à faire, l’esprit de créativité et de rébellion, qui sont des ingrédients nécessaires à tout écosystème tech, sont bien présents en Afrique francophone.

On entend souvent parler du manque d’entrepreneurs performants dans la région, mais plusieurs startups techs ont déjà prouvé que les pays francophones pouvaient faire naître des modèles innovants et à forte croissance. Au Sénégal, Coin Afrique qui a plus de 400 000 utilisateurs actifs mensuels et a levé 2,5 millions d’euros en 2018,  Intouch qui a levé environ 10 millions d’euros en 2017 et est présent dans 7 pays ou encore, la startup ivoirienne CinetPay qui a des activités au Mali, Cameroun et Sénégal ne sont que quelques exemples.

 

Un environnement qui évolue et qui devient plus favorable aux entreprises ?

Si le climat des affaires n’est pas réputé idéal, certains pays tels que la Côte d’Ivoire (passant du 167ème rang en 2012 au classement « Doing Business » de la Banque mondiale au 122ème en 2019) ou le Bénin (du 175eme au 153eme en 2019) ont réalisé des progrès décisifs.

Plusieurs gouvernements tentent de s’attaquer aux défis rencontrés par les entrepreneurs. Par exemple, le gouvernement ivoirien a mis au point un Schéma Directeur national pour soutenir les TIC, afin de simplifier la création de sociétés de technologie (Horizon 2020).

Au Sénégal, un fonds de démarrage de 50 millions de dollars, la DER, vise à catalyser l’esprit d’entreprise dans tout le pays. Cette initiative se veut un véritable outil d’autonomisation économique des femmes et des jeunes. En plus d’apporter à ses cibles du financement , de la formation et de l’assistance technique est prévus.

 

Des écosystèmes en effervescence : des formations et programmes de mentor

Le nombre d’acteurs de l’innovation semble augmenter considérablement. Dans des écosystèmes encore peu structurés tels que Kinshasa en République Démocratique du Congo, de plus en plus d’acteurs ambitieux apparaissent. Un exemple, Ingenious City, une plateforme d’incubation lancée en mai 2018 à Kinshasa fait un gros travail pour promouvoir l’entrepreneuriat et proposer des contenus adéquats.

Il est intéressant de noter le lien croissant avec les écosystèmes européens et en particulier français, via des programmes tels que Afric’Innov, une communauté d’incubateurs lancée par l’Agence française de développement. De plus, d’importantes initiatives internationales et panafricaines s’installent dans les pays francophones, créant des ponts avec les pays anglophones ou lusophones (par exemple, MEST, Impact Hub, Orange Corners ou Seedstars).

Une initiative telle que L’Afrique Excelle, soutenue par la Banque mondiale, se concentre spécifiquement sur les pays francophones, et accompagne certaines des meilleures entreprises du numérique en Afrique francophone. Ce programme sera principalement en français. En effet, la langue elle-même est souvent citée comme un obstacle, car la plupart des contenus en ligne disponibles pour former des entrepreneurs sont en anglais.

 

Des investissements à suivre de près

Dans son dernier rapport 2019, Partech confirme la place du Sénégal comme leader du marché d’Afrique francophone, avec ses 22 Millions de dollars levés en quatre deals. Cependant le marché d’Afrique francophone a stagné, avec $54.3 Millions levés, soit une hausse similaire aux résultats de l’année précédente.

Quelques signaux positifs sont à noter : des investisseurs tels que Partech et ODV ont décidé de s’implanter dans des pays francophones, ce qui les rapproche de ces écosystèmes. Le fonds de capital-investissement Africinvest, qui compte plusieurs bureaux dans des pays francophones d’Afrique, a annoncé la création d’un fonds de capital-risque destiné aux startups du continent. De même Seedstars qui a un hub à Abidjan vient d’annoncer le lancement de son fond de 100 millions de dollars à destination des startups africaines.

Le Sommet des Investisseurs d’Afrique Francophone qui s’est tenu fin mars à Bamako a attiré plusieurs centaines de participants, y compris des investisseurs, politiques, structures d’accompagnement et entrepreneurs, renforçant la dynamique positive de l’écosystème.

 

En conclusion

Les pays africains francophones s’affichent définitivement comme des pays à prendre en considération dans le secteur tech, que ce soit en tant qu’entrepreneur pour lancer son projet ou en tant qu’investisseur pour soutenir cet écosystème prometteur.

 

 

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