Penser et agir pour l’entrepreneuriat en Afrique

Algérie

L’Algérie dans l’attente de mutations structurelles

En cette année 2019, l’Algérie aura été l’un des grands pays animateurs de la vie politique africaine avec, en point d’orgue, la démission du Président Abdelaziz Bouteflika. L’économie est actuellement…

En cette année 2019, l’Algérie aura été l’un des grands pays animateurs de la vie politique africaine avec, en point d’orgue, la démission du Président Abdelaziz Bouteflika. L’économie est actuellement en souffrance, moins par son taux de croissance et par sa compétitivité en prix et coûts, que par son incapacité se diversifier et à créer les centaines de milliers d’emplois nécessaires, chaque année, à l’entrée d’une cohorte sur le marché du travail.

Un entrepreneuriat en mal d’institutions porteuses

Concernant la gouvernance politique et économique, l’Algérie est en retrait de la moyenne de l’Afrique du Nord et dans certains cas, de la moyenne continentale. Les libertés individuelles n’ont pas permis aux citoyens de s’investir pleinement dans le champ politique. Dans ce contexte, la redevabilité des décideurs publics a été structurellement faible tandis que les rentes ont contribué à acheter une certaine « paix sociale » par le bais de subventions allouées à la consommation des ménages (Le Billon, 2003).

Les quatre derniers mandats présidentiels (1999-2014) ont suscité le retour à la paix civile. Le régime s’est progressivement ouvert à davantage de coopération avec le secteur privé dans un esprit qui a toutefois privilégié le maintien des relations clientélistes. Les cadres de concertation ont favorisé les acteurs proches et respectueux du pouvoir. Cet esprit de réseau a produit des manquements notables dans la transparence des actions publiques, dans l’instauration de mécanismes efficaces de marchés concurrentiels. Devant la montée inexorable des mécontentements sociaux, les réponses sont demeurées davantage dans une gestion de court terme des problèmes que dans la mise en place d’une vision stratégique avec des solutions de long terme compatibles avec les exigences de la globalisation et de la création d’emplois.

Le cantonnement dans des demi-mesures a contribué à altérer la volonté de réformes de nature à protéger l’économie des vulnérabilités associées au retournement du « super cycle » des matières premières. La gestion de court terme de la rente et le clientélisme politique ont donc freiné l’initiative de l’entrepreneuriat local, négligé la prise en compte des perspectives de long terme sur un fond de corruption resté élevé.

Jusqu’ici, tant la stimulation de la création d’entreprises que l’ouverture des marchés publics à des agents sans accointances avec le « clan politique » sont demeurées timides. Les événements actuels diront dans quelle mesure l’organisation de la vie politique, économique et sociale pourra muter dans l’ordre et la paix civile. De la réussite de ce changement dépendra la capacité à projeter l’Algérie dans l’espace sous régional plus intégré qui s’annonce avec la perspective d’élargissement de la CEDEAO et la mise en place de la zone de libre-échange continental africaine.

Des prix et coûts en adéquation avec la compétitivité

L’Observatoire de la Compétitivité Durable (OCD) de la FERDI confère à l’Algérie la première place, tant en Afrique du Nord que sur l’ensemble du continent, pour sa compétitivité prix. Cette position, on ne peut plus flatteuse, ne manquera pas d’étonner. Elle suggère que la diversification n’a pas subi le « syndrome hollandais » associé aux rentes du pétrole et du gaz qui suscitent généralement la hausse des coûts au point d’évincer la production des biens échangeables autres que primaires (Djoufelkit 2008). Le facteur de conversion de parité des pouvoirs d’achat vis-à-vis du dollar établit que le coût du panier de biens, en 2016, n’atteindrait que 25% du prix payé aux Etats-Unis, 40% de celui de la moyenne africaine et 30% de la moyenne des pays d’Afrique du Nord (Graphique 1). En Algérie, le niveau des salaires est par ailleurs relativement bas. La rémunération d’un caissier dans une moyenne surface de vente de produits alimentaires est largement inférieure, au taux de change courant, à ce qu’elle est dans les autres pays d’Afrique du Nord, pas très loin du niveau moyen continental alors que l’Algérie est un pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure. Une lecture plus analytique des prix conduit toutefois à nuancer des conclusions qui sont un peu en trompe l’œil.

Graphique 1 : Evolution du facteur de conversion pour la PPA (dinar)

Graphique 1 : Evolution du facteur de conversion pour la PPA (dinar)

*Le facteur de conversion de la parité des pouvoirs d’achat est ici le nombre d’unités de monnaie nationale requises pour acheter la même quantité de biens et services sur le marché intérieur qu’un dollar américain permettrait d’acheter aux États-Unis.

 

La première raison est liée aux conséquences d’une tradition interventionniste qui concourt à des prix administrés qui ne traduisent pas nécessairement la réalité des prix de marché, à un encadrement des marges commerciales toujours prégnant. En décembre 2017, le problème s’est concrètement posé pour le pain. Des centaines de boulangeries ont pris l’initiative de braver la réglementation publique en portant la baguette de pain à 15 dinars. Le prix officiel était alors de 8,5 dinars, invariant depuis 1996, et un prix courant de 10 dinars à Alger. Selon la fédération des boulangers, non reconnue par l’Etat, de nombreuses boulangeries seraient vouées à fermer du fait de la réglementation des prix qui ne permettrait plus de couvrir les coûts de production. La difficulté est donc de rendre compatible les logiques économiques et sociales. Comme dans la plupart des pays en développement, le prix du pain est un sujet très sensible, poste important de la consommation alimentaire des ménages. Pour une population de plus de 41 millions d’habitants en 2017, 70 millions de baguettes seraient vendues chaque jour !

L’interventionnisme dans la formation des prix peut correspondre à une protection instantanée du consommateur, mais il n’est pas sans contrepartie à plus long terme. Il appauvrit le jeu du marché concurrentiel et l’émergence de tricheries sur la qualité du produit. Au-delà du pain, la préférence publique pour la réglementation peut donc entraîner des distorsions dans l’allocation des ressources au sein de l’économie. Elle induit des incertitudes sur la rentabilité des entreprises avec des implications que l’on mesure mal pour le bien-être à long terme de la collectivité.

La seconde raison, qui conduit à nuancer la compétitivité prix découle des subventions publiques. Lorsque le prix est maintenu en dessous du coût économique, une subvention peut compenser le manque à gagner du producteur. Pour que cette logique économique tienne à long terme, il faut toutefois supposer que ces subventions sont pérennes. L’information sur le coût de production du pétrole et du gaz est stratégique. De ce fait, on en a qu’une connaissance assez approximative. Pour l’Algérie, le seuil de rentabilité du baril de Brent serait distribué entre 20 et 40 dollars. Compte tenu de la place du pétrole et du gaz dans l’activité du pays, on pressent l’influence de ces rentes dans le PIB et leur contribution au financement du budget de l’Etat (jusqu’à 60% des recettes).

Graphique 2 :   Le pourcentage des rentes dans le PIB de l’Algérie (1990-2016)

 

Les subventions à la consommation et les transferts à l’économie sont devenus le talon d’Achille des finances publiques. Leur part dans le PIB a tendanciellement augmenté depuis la fin des années quatre-vingt-dix, passant de 4% à environ 12% en 2012 alors que le prix des hydrocarbures n’avait pas encore amorcé son reflux. Les produits de consommation concernés sont nombreux. Sur l’exercice 2015, les services du FMI ont estimé que les subventions avaient coûté environ 14 % du PIB et représenté l’équivalent du déficit budgétaire de l’année, le double des budgets cumulés des ministères de la Santé et de l’Éducation. Selon des chiffres les plus récents émanant du Ministère des Finances, on serait sur un pourcentage d’environ 10% de subventions explicites directement prises en charge par le budget de l’Etat, 18% de subventions implicites, plus difficiles à évaluer, comme, par exemple, les avantages fiscaux accordés aux entreprises pour leurs investissements. Le rôle que jouent ces subventions est important. Il est probable que la nouvelle équipe Algérienne sera rapidement placée devant le redoutable dilemme de choisir entre les entreprises et les consommateurs, entre le court terme et le long terme dans une démarche à la fois cohérente et compatible avec la faisabilité politique.

 

Références

Le Billon, P. (2003). Buying peace or fuelling war: the role of corruption in armed conflicts. Journal of International Development, 15(4), 413-426. https://doi.org/10.1002/jid.993

Djoufelkit. H, (2008), « Rente, développement du secteur productif et croissance en Algérie », AFD, Document de travail, n°64, Paris. https://www.afd.fr/

Observatoire de la compétitivité durable : https://competitivite.ferdi.fr/

 

 

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