La crise sanitaire liée à la pandémie covid-19 a précipité de nombreuses économies dans un marasme dont elles peinent à se sortir. Partout où des mesures de confinement et de…
La crise sanitaire liée à la pandémie covid-19 a précipité de nombreuses économies dans un marasme dont elles peinent à se sortir. Partout où des mesures de confinement et de distanciation sociale ont été mises en place, les entreprises ont dû s’adapter aux nouvelles conditions de vente pour tenter de survivre. Pour autant, toutes les entreprises n’ont pas été affectées de la même manière.
Au Niger, la peur du virus d’abord, puis l’annonce d’un couvre-feu, ont poussé les citoyens à rester chez eux, à consommer moins et/ou différemment d’une part, à ne pas se rendre au travail pour un certain temps d’autre part. Pour les petites et moyennes entreprises du secteur agroalimentaire, le défi était double. Il a fallu parvenir à continuer de vendre, et pour cela, également assurer aux employés des conditions de travail sûres.
Nous avons recueilli les témoignages de trois entrepreneurs présents sur le marché de l’agroalimentaire au Niger, qui ont accepté de présenter leur combat, leurs besoins et leurs solutions : Maimouna Zeine fondatrice de La Crémière du Sahel, Souleymane Madé, à la tête de Made’s Group, une unité industrielle spécialisée dans la production et la commercialisation de chips, de farine infantile et d’arachides, et Bachir Rockya Lahilaba, fondatrice de Sahel Délices.
Un impact immédiat sur les capacités de production des entreprises
L’arrêt du travail ainsi que la fermeture des frontières ont, à très court terme, fortement perturbé l’approvisionnement en matières premières du secteur agro-alimentaire. Sahel Délices, une entreprise basée à Niamey spécialisée dans la production de jus locaux à base de plantes, s’est retrouvée coupée de ses fournisseurs dès le début de la crise. La plupart des matières premières en effet sont récoltées par des groupes de femmes dans les villages environnants de la capitale, qui profitent des jours de marché pour venir vendre à la ville leurs produits. Le confinement et l’interdiction de se déplacer au Niger ont fait cesser la circulation des bus entre les zones rurales et Niamey. Les plantes disponibles se sont donc faites plus rares, et mécaniquement les prix ont été revus à la hausse. Les coûts de production ont donc également augmenté, ce qui s’est finalement répercuté sur les prix de vente, alors même que les consommateurs ont en moyenne perdu du pouvoir d’achat avec la crise liée au Covid-19.
Les problèmes d’approvisionnement ont également concerné d’autres intrants indispensables à la production, comme les emballages. Sahel Délices avait l’habitude de se fournir au Nigéria pour les bouteilles dans lesquelles ses jus étaient vendus, mais la chaine de transport a été coupée avec la fermeture des frontières. Pour pallier le manque de bouteilles, l’entreprise s’est tournée vers des producteurs locaux, mais cette solution ne s’est pas avérée optimale car les bouteilles produites au Niger ne correspondaient pas aussi bien aux attentes de la clientèle, qui a réduit sa consommation.
Comment vendre au temps du confinement ?
L’ensemble du secteur de l’agroalimentaire n’a pas été atteint de la même manière, ni avec la même ampleur. L’impact global du confinement sur les ventes a néanmoins plutôt été négatif.
Les mesures de couvre-feu mises en place ont eu pour effet une baisse des ventes. De nombreux produits sont vendus en ville, dans les épiceries, et de ce fait, le flux de clients a diminué. Pour faire face à la baisse des ventes, les boutiques ont parfois simplement refusé de prendre les réapprovisionnements. Pour La Crémière du Sahel, une fromagerie au cœur de Niamey, les livraisons sont passées de trois fois à une fois par semaine. Au mois d’avril, le travail a même été complètement arrêté. Les activités n’ont pu reprendre qu’au mois de mai.
Le couvre-feu, fixé à 19h, a également limité le temps de consommation. A 18h, les citoyen.ne.s restaient chez eux jusqu’à 6h du matin. Les consommateurs ont donc recentré leurs achats sur des produits de première nécessité. Pour une entreprise comme Sahel Délices, spécialisée dans les jus et qui réalise donc une part importante de ses bénéfices pendant les périodes de grande chaleur et du ramadan, les changements d’habitudes de consommation ont donc eu un impact fort.
Certaines entreprises ont alors réagi en proposant des services de livraison à domicile de leurs produits, à l’instar de Sahel Délices. Dans la pratique, cette forme d’adaptation n’a pas été immédiatement opérationnelle : les livreurs ont dû être formés aux gestes barrières, au port du masque et des gants, dans la mesure où les clients refusaient les livraisons si celles-ci n’étaient pas assurées avec un strict respect des nouvelles normes sanitaires.
Des synergies pour sortir de la crise
Les bonnes pratiques mises en place par ces PME du secteur agroalimentaire relèvent de la réactivité des entrepreneurs, mais aussi de leurs collaborations avec d’autres acteurs du secteur privé, et plus marginalement avec le gouvernement, qui a entrepris l’élaboration d’un programme de soutien aux entreprises. Sa mise en place est attendue avec impatience : les charges (loyers, rémunérations des salariés, factures d’eau et d’électricité) n’ont pas encore été allégées et aucune modalité de report ou d’un quelconque assouplissement n’a été proposée. De la même manière, les subventions promises n’ont pas été versées.
La crise a également mis à l’épreuve Sinergi Niger, premier fonds d’investissement à impact dédiées aux petites entreprises nigériennes. Face à une situation inédite pour les entreprises comme pour Sinergi, il a fallu innover pour accompagner aux mieux les entrepreneurs dans ces temps difficiles.
Quels sont les besoins de ces entreprises aujourd’hui ?
Quelle que soit l’ampleur de leurs difficultés, les PME de l’agroalimentaire au Niger ont besoin de visibilité, en particulier sur le marché national. Elles ont intégré en effet que le gouvernement ne pourra pas les sortir de la crise, et ont entrepris de trouver les voies de leur développement futur sans attendre. Pour Mme Bachir Rockya Lahilaba, à la tête de Sahel Délices, la priorité est de s’implanter dans le pays. Son entreprise, comme beaucoup d’autres, a eu du mal à payer toutes les charges auxquelles elle a été soumise, et la crise du Covid-19 a également accentué ses difficultés de remboursement aux emprunts contractés avant celle-ci.
De ce fait, les programmes d’aides pour les PME proposés par le gouvernement du Niger d’octroi de crédits supplémentaires pour essayer de s’en sortir sont loin d’être une une solution miracle. Ces entreprises ont déjà du mal à faire face aux endettements préalables : s’endetter plus encore apparaissait trop risqué.
Sahel Délices a fait le choix de ne pas compter sur des subventions et des aides, mais de développer un plan commercial et marketing et des supports de communication pour « aller chercher l’argent là où il est ». Pour la Crémière du Sahel et pour Made’s Group, qui dépendaient avant la crise de débouchés dans la sous-région, le développement de leurs activités au Niger est également devenu une priorité.
« Être entrepreneur face au Covid-19 »…
… c’est avant tout ne pas désespérer par les temps difficiles. Les trois entrepreneurs partagent la même attitude face à la crise actuelle : cette situation passera, il faut tenir bon dans la tempête pour pouvoir profiter des jours meilleurs à venir.
La clé de la survie ? L’adaptabilité et la capacité à toujours trouver un moyen de vendre, même s’il n’est pas possible de faire autant qu’en période d’expansion. Sur un marché très concurrent, comme celui de l’agroalimentaire, les produits peuvent disparaître très vite et c’est ce qu’il faut à tout prix éviter.
« Être entrepreneur, c’est être engagé dans un combat permanent », rappelle Maimouna Zéine, fondatrice de La Crémière du Sahel. « Un combat qui n’est jamais gagné d’avance mais dont la récompense vaut la peine que l’on se batte pour elle ».