Penser et agir pour l’entrepreneuriat en Afrique

Points de vue

Les articles « Points de vue » sont engagés et permettent d’ouvrir la discussion sur un sujet particulier!

L’Afrique face à la crise du covid-19 : l’urgence d’une réponse de la communauté internationale

Note : La seconde partie de l’article est disponible ici. Pour aller plus loin, vous pouvez lire l’article « Affliction, questionnement, crainte et espoirs au temps du coronavirus africain » publié sur…

Note : La seconde partie de l’article est disponible ici. Pour aller plus loin, vous pouvez lire l’article « Affliction, questionnement, crainte et espoirs au temps du coronavirus africain » publié sur le site de la FERDI.


En Afrique, la crise économique précède la crise sanitaire, voire la remplace.

Le nombre de cas que connait le continent est en effet modeste. En ce début du mois de juin 2020, on recense en effet environ 205000 cas, avec seulement environ 5600 décès. Même si les statistiques sous-estiment sans doute la situation, l’observation de terrain de parvient pas à contester le constat général. La vague reste peut-être à venir, certes, et relâcher la vigilance serait imprudent. Les mois qui viendront nous diront, si la situation perdure, quelles en sont les vraies causes : les politiques publiques ? La structure démographique du continent ? Des facteurs biologiques ?

Mais devons-nous pour autant sabler une victoire sur le destin ?

Non.

 

Ne pas être malade, ce n’est pas être bien portant.

En effet, si la crise sanitaire ne se manifeste pas à la hauteur attendue, au moins pour l’instant, la crise économique et financière est bien là. Le FMI prévoit un recul global de la croissance de 1.6%, une première dans ce continent. L’année 2021 sera également médiocre. Les meilleures économies du continent, celles qui sont le plus centrées sur leur marché intérieur, éviteront peut-être de justesse un recul des PIB par habitant. Les économies pétrolières verront le leur, une nouvelle fois, plonger. C’est de cette contre-performance économique, importée de l’extérieur, que des millions d’africains vont mourir, plus que de la pandémie. Mortalité et morbidité sont en effet principalement liées en Afrique à la croissance économique. C’est aussi de cette crise macroéconomique que nombre de petites entreprises risquent de mourir aussi, tuant, de leur côté, l’emploi.

C’est de la contre-performance économique, importée de l’extérieur, que des millions d’africains vont mourir, plus que de la pandémie.

Les raisons de ce cheminement sont puissantes.

Dans un premier temps, les chaines logistiques articulées avec la Chine se sont en effet brutalement interrompues. Elles ont mis à l’arrêt des milliers d’entreprises africaines dépendantes de pièces détachées ou d’intrants spécifiques. Les marchés chinois et européens se sont aussi fermés du jour au lendemain. Ils ont laissé sans activité un nombre considérable d’entreprises exportatrices. Le tourisme s’est interrompu brusquement. La fermeture des marchés de capitaux a interdit les levées de fond et jeté à fond de cale beaucoup de start-up techno, alors même que leur contribution à l’économie était particulièrement pertinente en ce moment précis. Cet arrêt a aussi touché nombre d’entreprises en croissance rapide et nécessitant l’accès à des capitaux pour alimenter une expansion forte. Enfin l’effondrement brutal des prix du pétrole et des produits miniers s’est immédiatement répercuté sur la dépense publique dans les pays qui vivent essentiellement de ces activités. Dans le cas du Nigéria, l’onde de choc s’étend à tout son environnement régional.

C’est donc un gigantesque choc de la demande externe, comme de l’offre, qui affecte d’abord l’Afrique entreprenante, la partie la plus dynamique du continent, celle qui demeure le moteur le plus robuste de sa transformation de long terme. La chute brutale des prix du pétrole secoue aussi tout le secteur des énergies renouvelables. Elle fait peser une ombre profonde sur l’espoir de développement d’une économie africaine décarbonée. Cette dernière était une des grandes lumières des deux premières décennies de ce siècle, grâce notamment au monde bouillonnant de l’énergie décentralisée solaire.

Au choc de l’offre et de la demande internationale commence à succéder un choc de demande domestique. Petit à petit, les chaines logistiques chinoises se réouvrent en effet. Quelques marchés d’exportation, timidement, redeviennent accessibles. Au rythme du redressement progressif des économies industrialisées, et de la Chine, ce processus va toutefois se faire avec une certaine lenteur. Le rythme de relance de la demande mondiale est rendu incertain par les paramètres mêmes de résolution de la crise sanitaire comme par l’efficacité des plans de relance chinois et occidentaux.

Pendant ce temps, les pays africains sont affectés par une chute massive de leurs recettes publiques, en provenance des droits de douane comme de la fiscalité des entreprises. Les sorties de capitaux et peut-être la baisse des retours de capital des migrants vont affecter la balance des paiements, affaiblie par l’interruption des exportations, de matières premières et de pétrole, comme de produits agricoles ou industriels. Contraction budgétaire comme des capitaux vont donc s’abattre sur les pays, avec leurs conséquences inéluctables : réduction des dépenses publiques, pénurie de devises, dévaluation (hors zone CFA/ECO), inflation.

Le choc va être profond. Il affectera non seulement les infrastructures mais aussi les services sociaux comme la santé et l’éducation. Il impactera également la capacité des pays confrontés au défi terroriste, comme au Sahel, à contrôler leur terrain et rétroagira donc directement sur le monde extérieur en termes de sécurité et de migrations.

Il existe en effet une différence massive entre les pays industrialisés, dont la Chine, et les pays africains, dans ce moment.

Les premiers ont fait le choix de reporter la continuité de leur dépense publique, de leur relance économique et de leur approvisionnement en devises sur deux acteurs : des marchés financiers d’un côté, qui demeurent avides de placer leurs liquidités à des taux très bas, et des banques centrales de l’autre, qui deviennent, directement ou indirectement, les premiers créanciers des gouvernements. Parions que ces dernières viseront à maintenir des taux bas, et à prévenir une crise financière. Les pays industrialisés vont, il faut aussi le parier, rejeter en fin de compte le coût financier de cette politique de stabilisation sur une très longue période, ou dans la création monétaire, dans un contexte où le retour de l’inflation est peu probable.

Ces options ne sont pas ouvertes, ou considérablement moins ouvertes, aux pays africains. L’inflation est un risque très important dans des économies africaines souvent fermées et qui connaissent pour beaucoup déjà des rythmes élevés de hausse des prix. Elle aussi particulièrement ravageuse pour les pauvres. Elle entretient un lien très direct sur le continent avec la dépréciation monétaire, liée à la création monétaire. Les banques centrales ne vont donc pas avoir les mêmes options en Afrique que dans l’OCDE. En ce qui concerne la dette, les pays africains n’ont pas non plus la possibilité de recourir aux marchés financiers, d’ores et déjà fermés pour eux, ou seulement de manière marginale. On parle déjà d’un nouveau « club de Londres », qui fermera à nouveau pour de nombreuses années l’apport de capitaux privés aux gouvernements. Les États africains n’ont nulle autre ressource que d’aller chercher le soutien de leurs partenaires publics de l’OCDE et de la Chine.

 

Être généreux, c’est rentable.

Ces derniers doivent ils accorder le soutien budgétaire et de balance des paiements massif dont le continent a besoin ? Ceci revient au fond à faire supporter le coût de ce soutien, via le déficit budgétaire de pays industrialisés, aux marchés de capitaux internationaux sur lesquels ils se refinancent, et à leurs propres banques centrales. Ceci se ferait à un moment où les déficits budgétaires des pays industrialisés explosent et où les opinions publiques, si elles soutiennent massivement les plans de relance nationaux, expriment une grande angoisse vis-à-vis de l’accroissement de la dette.

Malgré ces craintes des opinions publiques des pays industrialisés, la réponse doit être oui, pour trois raisons. Elle doit s’accompagner d’une condition, pour faire sens.

La première raison est que nous parlons de volumes raisonnables à l’échelle de la macroéconomie africaine. Si l’on aligne les besoins de ce soutien sur l’ampleur des paquets financiers décidés par les pays occidentaux pour leurs propres besoins, de l’ordre de 300 milliards de dollars en 2020/2021 seraient adaptés, soit six fois le montant annuel actuel de l’aide publique au développement accordée au continent.

Certes, une partie significative de cet argent devrait être allouée sous forme de prêts à la balance des paiements, et pas seulement au déficit budgétaire, augmentant l’endettement moyen du continent de l’ordre de 10% du PIB (beaucoup plus pour certains pays). Cette perspective n’est pas irraisonnable si une croissance vive succédait à cette période d’ajustement structurel, avec non seulement des taux supérieurs au coût de la dette, mais, encore mieux, des taux de croissance du PIB supérieurs à 6%. Ceci permettrait à la fois des gains significatifs de bien-être pour les populations les plus pauvres, mais aussi une alimentation budgétaire importante des Etats concernés. Cela rendrait la dette (si elle est accordée à taux faible) soutenable. Cette augmentation de l’endettement des Etats doit néanmoins être accompagnée d’un accroissement de l’aide au développement en subvention pour les pays les plus fragiles et les moins solvables.

La seconde raison est que le coût d’un plan de soutien à l’Afrique est très modeste au regard des efforts que les grands pays industrialisés sont en train de consentir pour leurs propres besoins. Il pèsera de manière dérisoire sur leur endettement.

Le PIB nominal cumulé de l’UE, de la Chine et des USA est en effet de l’ordre de 53000 milliards de dollars. Un vaste plan de soutien de l’ordre de deux années du PIB nominal de l’Afrique, soit environ 600 milliards, ne représenterait que 1.1% de ce PIB cumulé. Cet effort pourrait se répartir entre allègement de dette (à manier avec précaution) et nouveaux apports de dette et de dons. Il est impératif que la Chine soit partie prenante significative de cet effort, compte tenu de son rôle dans l’endettement africain. Non seulement ce pays doit être moteur dans la gestion de la dette, mais il est crucial qu’il participe aux apports nouveaux de capitaux. Dans les cas contraire, l’Europe, par exemple, contribuerait par ses apports, si elle était seule, à reconstituer la solvabilité de l’Afrique au bénéfice de la Chine, même si cette dernière faisait un effort en tant que créancier. En gros, l’effort de refinancement de l’économie africaine sera largement noyé dans la considérable augmentation de la dette des pays de l’OCDE et du bilan de leurs banques centrales.

Ajoutons que ce poids pourrait être encore réduit, si la communauté internationale acceptait de déverrouiller une augmentation significative de droits de tirage spéciaux au FMI au bénéfice de l’Afrique. Le DTS ne résolvent pas forcément les problèmes budgétaires. Mais ils ont en tous cas un impact immédiat sur les contraintes de balances de paiement, et ces dernières impactent directement les taux de change et l’inflation dont une évolution négative sera extraordinairement dommageable en termes de pauvreté.

La troisième raison est que cet effort est rentable. La croissance attendue pour l’Europe, même avec du rattrapage, ne pourra pas dépasser son potentiel de moyen terme, et ce dernier n’est sans doute pas supérieur à 2%. On peut attendre de la croissance africaine bien mieux. La croissance africaine moyenne, pays pétroliers et non pétroliers compris, peut-être de l’ordre de 4% si les prix des matières premières demeurent dépréciés. Elle peut s’apprécier notablement si ces derniers reviennent à de meilleurs niveaux, ce que certes personne ne peut prévoir, tant ils dépendent à la fois de l’état de l’économie mondiale, mais aussi des politiques de l’OPEP, des USA et des autres producteurs. Cette croissance percolera dans les importations adressées par l’Afrique au reste du monde (elles ont été particulièrement dynamiques ces dernières années), ce qui jouera un rôle contracyclique. En caricaturant quelque peu, on pourrait montrer que l’Europe, par exemple, a sans doute plus intérêt à investir dans la reprise africaine et des populations avides de consommer et d’investir et d’épargner, que dans sa propre reprise. L’argument a bien entendu ses limites et ses risques, mais ces derniers ne le réduisent pas à néant. Ceci est d’autant moins le cas que, comme il l’a déjà été indiqué, les bénéfices de ce soutien à une dépense publique de qualité en Afrique ne sont pas uniquement économiques. Ils tiennent aussi aux intérêts, particulièrement européens, en matière de sécurité et migration.

Une condition essentielle doit être mise à cette entreprise de refinancement des économies africaines. Elle doit se faire soit sur subventions, soit à des conditions d’endettement symétriques aux coûts d’endettement des pays industrialisés. Ces coûts sont très faibles actuellement, et le demeureront sans nul doute. Une des meilleures choses que les pays industrialisés puissent faire est de « passer » leurs conditions d’emprunt aux pays en développement les plus pauvres, avec en tête un argument économique (nous venons de le faire) mais aussi un argument moral : ce sont eux qui ont retransmis la pandémie à l’Afrique, c’est la Chine qui a dérobé les pangolins vecteurs de cette dernière au continent africain, même si ce dernier a joué son rôle dans cette exportation involontaire. Ils peuvent le faire bilatéralement, ou multilatéralement, en donnant les moyens aux grandes institutions financières comme la Banque Mondiale ou la Banque Africaine de Développement de déployer leurs moyens de manière dynamique.

 

Tout cela, le ferons-nous ?

Les premiers pas de réponse de la communauté internationale ont été mesurés. C’est donc l’anxiété qui demeure sur cette prise de conscience. Au niveau multilatéral comme au niveau bilatéral, beaucoup d’efforts ont été concentrés en un premier temps, de manière bien compréhensible et légitime, sur la dimension sanitaire de la situation. Il est certain que la capacité des pays africains à gérer la santé publique (masques, tests…) doit être renforcée, et que leur capacité de traitement des cas graves doit considérablement augmentée (lits de réanimation, respirateurs…), de même que leurs ressources humaines. Mais ceci ne représente qu’une face modeste et première de ce que doit être la réponse à la crise du coronavirus en territoire africain.

Même dans des scenarii sombres, comme nous l’avons évoqué, beaucoup plus de personnes tomberont malades et mourront du fait de l’effondrement de la croissance économique africaine que du coronavirus, surtout si les mesures de gestion de l’endémie sont efficaces. La réponse à la crise économique est essentielle pour réduire la vraie crise sanitaire, profonde et globale, qui risque de frapper le continent.

Les pays du G20 ont fait les premiers pas dans la bonne direction. Ils ont décidé en Avril 2020 un report d’échéances de la dette publique africaine. Ce geste doit être salué. Il ne fait toutefois qu’égratigner la surface du problème, tant en ce qui concerne les volumes concernés que l’impact macroéconomique de moyen terme. Cette dette reste due. Les institutions de financement du développement sont aussi dans l’expectative : doivent-elles, dans ce contexte, continuer à prêter ? Doivent elles embarquer un niveau de risque supérieur dans leurs bilans ? La réponse doit être aussi oui, sans hésitation, et, oui, les Etats ne doivent pas hésiter le cas échéant à garantir leurs banques de développement au cas où leurs bilans seraient affectés.

C’est donc à un renouveau de la période de l’ajustement structurel que nous nous devrions nous préparer, un ajustement structurel dont il faut espérer qu’il sera, quantitativement et qualitativement meilleur que celui qui s’est abattu sur l’Afrique dans les deux dernières décennies du siècle précédent.

 


Pour aller plus loin

Aucun commentaire sur L’Afrique face à la crise du covid-19 : l’urgence d’une réponse de la communauté internationale

Comprendre les conséquences économiques du Coronavirus

Dans un entretien du 6 février 2020, Jacky Mathonnat, professeur émérite, Cerdi-Université Clermont Auvergne et responsable du programme santé de la Ferdi, analyse les conséquences économiques du Coronavirus. Que peut-on…

Dans un entretien du 6 février 2020, Jacky Mathonnat, professeur émérite, Cerdi-Université Clermont Auvergne et responsable du programme santé de la Ferdi, analyse les conséquences économiques du Coronavirus.

Que peut-on penser de l’intervention de la Chine face à l’épidémie de Coronavirus? Quelles pourraient être les conséquences économiques de l’épidémie?

Aucun commentaire sur Comprendre les conséquences économiques du Coronavirus

Promouvoir l’éducation en Afrique : pour une nouvelle approche partenariale

Face aux nombreux défis de l’éducation en Afrique, une dynamique entrepreneuriale bouillonnante et porteuse de solutions innovantes est en train d’émerger. Les investisseurs d’impact, caractérisés par leur intention de générer…

Face aux nombreux défis de l’éducation en Afrique, une dynamique entrepreneuriale bouillonnante et porteuse de solutions innovantes est en train d’émerger. Les investisseurs d’impact, caractérisés par leur intention de générer un impact social et/ou environnemental positif, peuvent apporter un appui décisif à cette dynamique. Mais il apparaît nécessaire de développer des outils spécifiques et une véritable approche partenariale avec les autres parties prenantes du secteur afin de faire émerger une nouvelle génération d’écoles privées responsables et pleinement tournées vers les enjeux de développement du continent.

 

De l’éducation à l’emploi : de nombreux enjeux à relever en Afrique

Malgré d’immenses progrès réalisés depuis le début des années 2000, les systèmes éducatifs africains connaissent une situation critique et peinent à garantir un apprentissage et une insertion réussis aux jeunes africain.e.s. La scolarisation primaire atteint progressivement son objectif d’universalité en Afrique grâce à l’effort massif fourni par les gouvernements africains et leurs partenaires dans le cadre des Objectifs de Développement Durable, mais 34 millions d’enfants ne sont toujours pas sur les bancs de l’école primaire[i], notamment dans les pays fragiles ou en situation de conflit[ii]. De plus, de nombreuses évaluations nationales et internationales ont montré que les élèves africains, dans leur majorité, n’acquièrent pas les savoirs et compétences fondamentaux à l’issue de la scolarisation obligatoire[iii]. Les écoles sont confrontées à de nombreux déficits en ressources humaines, matérielles et pédagogiques et les effectifs toujours nombreux dans beaucoup d’écoles publiques génèrent plus de frustration que d’apprentissage[iv].

Alors qu’une minorité des effectifs accède à l’enseignement supérieur et à la formation professionnelle, ces formations sont bien souvent jugées trop théoriques et déconnectées des besoins des employeurs locaux ou internationaux[v]. Si les taux de chômage de jeunes en Afrique ne sont pas plus hauts que dans les autres régions du globe, les taux d’emploi informel et de travailleurs pauvres demeurent eux critiques et constituent un risque croissant de déstabilisation sociale et politique[vi].

 

L’essor du privé dans le secteur éducatif africain

Le secteur privé de l’éducation, dans toute sa diversité, apparait progressivement comme un acteur important pour faire face à ces enjeux. On estime aujourd’hui qu’environ un élève sur cinq en Afrique est scolarisé dans un établissement privé[vii]. Mais derrière ce chiffre se cache un secteur très varié, composé d’écoles confessionnelles, d’établissements lucratifs, de structures informelles ou bien d’écoles directement gérées par des acteurs philanthropiques.

Pourtant une dynamique semble commune à de nombreux pays africains : les opérateurs privés gagnent du terrain et accroissent l’offre de formation disponible dans la plupart des cycles éducatifs, dans des contextes institutionnels pourtant très différenciés.

Cette expansion progressive du secteur privé de l’éducation constitue à la fois une opportunité et un défi considérable pour tous les acteurs de la chaine éducative. Les États et leurs partenaires doivent notamment agir pour renforcer leur capacité de régulation de ces opérateurs privés et s’assurer qu’aucun établissement éducatif, qu’il soit public ou privé, ne puisse rompre la confiance nécessaire entre l’école, l’apprenant et la société.

Un incroyable dynamisme entrepreneurial tourné vers l’éducation émerge aux quatre coins du continent, soulevant autant de promesses que de nouveaux enjeux à affronter. Des solutions de e-learning aux plateformes de cours par SMS en passant par des séances de coaching pour enseignants, les entrepreneurs ne sont pas à court d’idées pour expérimenter de nouveaux modèles pédagogiques et pour s’affranchir des contraintes matérielles qui entravent depuis longtemps des systèmes éducatifs entiers. Dans cet essor de solutions prometteuses pour bâtir l’école africaine de demain, le rôle de la recherche et de l’évaluation d’impact sera majeur pour sélectionner les modèles les plus pertinents et capables de renforcer l’apprentissage puis l’insertion de tous les apprenants. Le rôle des technologies et de l’éducation par voie dématérialisée dans les systèmes éducatifs africains devient aussi un élément de débat incontournable pour toutes les parties prenantes du système éducatif (gouvernements, entrepreneurs, professeurs, parents d’élèves et apprenants).

Un incroyable dynamisme entrepreneurial tourné vers l’éducation émerge aux quatre coins du continent, soulevant autant de promesses que de nouveaux enjeux à affronter

Le dynamisme entrepreneurial n’est par ailleurs pas le seul fait des stars de l’ed-tech, bien au contraire. Des centaines d’entrepreneurs ingénieux font face à des défis logistiques et institutionnels complexes pour fournir aux écoles des manuels scolaires, du mobilier et des équipements tout aussi indispensables à l’apprentissage des élèves que des tablettes numériques dernier cri. Ainsi, au Niger, l’entreprise Éditions Afrique Lecture[viii] propose une offre d’anales de baccalauréat qui était jusqu’alors inexistante et qui s’avère fondamentale pour la réussite des élèves du secondaire. Dans ce type d’aventures entrepreneuriales, la relation stratégique avec les pouvoirs publics et les autres parties prenantes du système éducatif est au moins aussi importante que l’utilisation des technologies pour proposer des services véritablement utiles aux écoles et apprenants locaux.

 

Quel rôle pour les investisseurs d’impact ?

Les investisseurs d’impact doivent accompagner ce dynamisme entrepreneurial à tous les stades de maturité des projets, avec des attentes de rendement adaptés. Les études de marché du secteur éducatif africain montrent qu’aujourd’hui la plupart des investisseurs n’accompagnent que des écoles et universités déjà très bien structurées, et dans de nombreux cas, destinées à offrir des services éducatifs qu’aux classes les plus aisées de la population. Dans une moindre mesure, ces investisseurs ont aussi soutenu des projets éducatifs innovants et plus accessibles, mais contraints de grandir à une vitesse démesurée pour satisfaire leurs propres exigences de rentabilité. L’exemple bien connu de Bridge Academies[ix] en Afrique de l’Est a rappelé combien il était difficile pour un réseau d’écoles à bas prix de passer à l’échelle sans détériorer la qualité des enseignements… et les relations de l’enseigne avec les autorités publiques. En dehors de ces configurations, des pans entiers de la finance d’impact dédiée à l’éducation restent à bâtir, en particulier en Afrique francophone et lusophone. Les fonds d’impact doivent trouver les moyens de soutenir des projets moins matures, par exemple dans les cycles de l’enseignement technique et professionnel où l’État et ses partenaires restent en retrait. Il est ainsi impératif pour ces investisseurs de définir des instruments d’accompagnement ainsi que des exigences de rentabilité et d’impact qui soient adaptées à un secteur social au temps long et devant intégrer tous les groupes sociaux, notamment les jeunes femmes et les apprenants les plus vulnérables.

Des pans entiers de la finance d’impact dédiée à l’éducation restent à bâtir, en particulier en Afrique francophone et lusophone

Afin de soutenir l’émergence d’offre éducatives accessibles et de qualité, les investisseurs devront faire preuve d’ingéniosité pour bâtir des partenariats inédits avec d’autres parties prenantes du secteur. Des partenariats avec des fondations et autres bailleurs philanthropiques permettront aux investisseurs d’impact d’élargir l’accès aux établissements de leur portefeuille aux jeunes issus de milieux défavorisés. Des dispositifs de bourses ou de prêts étudiant financés par ces fondations pourraient démocratiser l’accès à des établissements privés de qualité dont les engagements en matière d’impact seront garantis par la présence au capital d’un investisseur éthique. De plus, ces associations entre équipes d’investissement d’impact et acteurs philanthropiques pourraient viser à soutenir des jeunes pousses et autres projets peu matures. L’exemple pionnier de l’Education Impact Fund en Côte d’Ivoire[x], fruit d’un partenariat entre la Fondation Jacobs et le fonds d’impact Comoé Capital, est à ce titre un parfait exemple. Ce programme a bénéficié à 6 jeunes pousses particulièrement prometteuses du secteur éducatif ivoirien parmi lesquelles on trouve un centre de formation des métiers de l’hôtellerie[xi] en pleine cœur du quartier populaire de Yopougon ou la start-up Etudesk[xii], récemment sélectionnée parmi les 10 Ed-Tech les plus en vue sur le continent[xiii]. Le succès de ce programme d’investissement repose d’une part sur l’utilisation ciblée d’un capital risque fourni par un bailleur philanthropique et d’autre part sur une équipe d’investissement particulièrement engagée au côté des entrepreneurs. Mais bien d’autres schémas d’intervention sont imaginables. Des partenariats avec des institutions de recherche seraient aussi pertinents pour mesurer et évaluer les effets de long terme en matière d’apprentissage et d’insertion des modèles soutenus par les investisseurs. Ainsi, l’essor d’instruments de financement mixtes[xiv] au service de l’éducation sera clé pour apporter des solutions d’accompagnement adaptées à l’émergence d’opérateurs privés responsables et engagés.

 

En conclusion

Pour répondre aux enjeux de qualité, d’accès et de pertinence de l’éducation en Afrique, les investisseurs d’impact devront concevoir et mobiliser des stratégies et des modes d’interventions innovants et adaptés aux réalités d’un secteur social en crise et d’un écosystème entrepreneurial bouillonnant. Du soutien actif des organisations bilatérales et multilatérales de développement dépendra la crédibilité et la viabilité de ces nouveaux modèles de financement mixte et de partenariats inédits. Par leur gouvernance et leurs pratiques, les fonds d’impact ne pourront s’affranchir d’un dialogue continu avec les autorités publiques sectorielles pour s’assurer de leur bonne insertion dans les écosystèmes éducatifs locaux. Associées à des acteurs philanthropiques experts du secteur, ces nouvelles initiatives devront soutenir les écoles et les activités auxiliaires au sein des cycles et des filières de formation prioritaires pour le développement local. C’est avec cet esprit d’innovation, de coopération et de partenariat que les investisseurs d’impact se donneront les moyens de contribuer de façon pertinente aux enjeux de l’éducation en Afrique.

 

Pour aller plus loin…

La FERDI a publié en septembre 2019 l’étude « Promouvoir l’éducation en Afrique : défis et opportunités pour l’investisseur d’impact' », conduite par Tom Dilly, chargé de projet éducation chez I&P, et Francesca Marchetta, Professeure au CERDI. L’étude présente notamment une cartographie des investisseurs privés dans l’éducation, une revue de littérature approfondie mettant en évidence les pratiques à fort impact, ainsi qu’une nouvelle typologie des acteurs privés opérant dans le secteur éducatif.

Cliquez ici pour télécharger l’étude

 

 

 


Références

[i] Voir les données complètes de l’UNESCO (2018):  http://uis.unesco.org/sites/default/files/documents/fs48-one-five-children-adolescents-youth-out-school-2018-en.pdf

[ii] Voir la page 10 (figure 6) du document cite précédemment: la plupart des pays durement touchés par la non-scolarisation des enfants à l’école primaire sont situés au Sahel ou en Afrique Centrale.

[iii] Le rapport mondial sur le développement 2018  publié par la Banque Mondiale analyse en profondeur cette crise de l’apprentissage: http://www.worldbank.org/en/publication/wdr2018

En Afrique francophone, les performances des élèves au début et à la fin du cycle primaire sont évaluées par le PASEC tous les 3-5 ans environ. http://www.pasec.confemen.org/

[iv] De nombreux rapports ont mis en exergue ces déficits de matériel et d’équipement dans les écoles, ainsi que la taille des classes pouvant atteindre en moyenne 50 enfants au Burkina ou Mali et jusqu’à 90 au Malawi et en Centrafrique. http://uis.unesco.org/sites/default/files/school-resources-and-learning-environment-in-africa-2016-en/school-resources-and-learning-environment-in-africa-2016-en.pdf

[v] Sur l’enjeu de la pertinence de l’éducation et de l’adéquation nécessaire entre formations et emploi, voir le rapport de la Banque Mondiale (2014) : http://www.worldbank.org/en/programs/africa-regional-studies/publication/youth-employment-in-sub-saharan-africa Ce phénomène se traduit parfois aussi par un taux de chômage plus élevé des élèves diplômés que des non diplômés dans plusieurs africains, montrant qu’avec formations diplômantes sont peu adaptées au marché du travail, les étudiants sortant ont du mal à se faire embaucher dans des postes qualifiés.

[vi] Le taux moyen de chômage des jeunes en Afrique Sub-Saharienne est de 6%, la moyenne mondiale étant de 5%. Mais ce taux cache des réalités bien plus précaires, avec des taux d’auto-emploi qui peuvent atteindre 70% en RDC ou au Ghana, et le taux de travailleurs pauvres pourrait atteindre 80% selon le BIT. https://www.un.org/africarenewal/magazine/may-2013/africa%E2%80%99s-youth-%E2%80%9Cticking-time-bomb%E2%80%9D-or-opportunity

[vii] Ce chiffre est calculé par l’équipe du Rapport “Business of Education in Africa” (2017)  https://edafricareport.caeruscapital.co/thebusinessofeducationinafrica.pdf

[viii] http://afriquelecture.com/index.html

[ix] Voir notamment l’article de RFI (2018) à a ce sujet: http://www.rfi.fr/afrique/20180301-ecole-privees-bas-prix-bridge-international-academies-lettre-fermeture-ong

[x] Voir le site du partenariat : http://www.edimpactfund.com/ mais aussi l’annonce des premiers investissements en 2018 : http://www.ietp.com/fr/content/investissement-editions-vallesse . Le portefeuille complet des six investissements sera publié prochainement.

[xi] https://www.facebook.com/roijuvenal/

[xii] https://www.etudesk.com/

[xiii] Voir les startups sélectionnées à la célèbre conférence sur l’éducation globale de Dubai (22 au 24 mars 2019) https://www.forbes.com/sites/mfonobongnsehe/2019/02/25/meet-the-10-african-startups-competing-for-the-next-billion-edtech-prize-in-dubai/#46d350f03e1b

[xiv] ou aussi appelés blended finance et qui font référence à l’utilisation de « capitaux catalytiques » provenant de sources publiques ou philanthropiques pour accroître l’investissement du secteur privé dans les pays en développement ». https://www.convergence.finance/blended-finance

Par :
Aucun commentaire sur Promouvoir l’éducation en Afrique : pour une nouvelle approche partenariale

Matthieu Lougarre « Plus que la vanilline synthétique, c’est la législation sur l’étiquetage des produits qui est problématique »

ENTRETIEN. Matthieu Lougarre, Directeur général d’Agri Resources Madagascar croit en l’avenir de la vanille et en sa région d’origine, la SAVA. A condition que la qualité de la vanille malgache…

ENTRETIEN. Matthieu Lougarre, Directeur général d’Agri Resources Madagascar croit en l’avenir de la vanille et en sa région d’origine, la SAVA. A condition que la qualité de la vanille malgache soit reconnue et protégée.

Aucun commentaire sur Matthieu Lougarre « Plus que la vanilline synthétique, c’est la législation sur l’étiquetage des produits qui est problématique »

FLIPFLOPI, le premier bateau au monde 100% en plastique recyclé

Flipflopi est le premier bateau au monde 100% construit en plastique recyclé. Une initiative africaine qui œuvre à la sensibilisation des populations à la pollution plastique dans les océans et…

Flipflopi est le premier bateau au monde 100% construit en plastique recyclé. Une initiative africaine qui œuvre à la sensibilisation des populations à la pollution plastique dans les océans et les invite à repenser leur comportement de consommation de plastique à usage unique.

 

Aucun commentaire sur FLIPFLOPI, le premier bateau au monde 100% en plastique recyclé

Le dividende démographique africain : Le risque d’une impossibilité ou d’un potentiel limité

La dynamique actuelle de la population africaine est unique et aura inéluctablement une influence considérable sur la démographie mondiale de ce 21e siècle, et le développement du continent. L’Afrique suivra-t-elle…

La dynamique actuelle de la population africaine est unique et aura inéluctablement une influence considérable sur la démographie mondiale de ce 21e siècle, et le développement du continent. L’Afrique suivra-t-elle la voie des pays asiatiques, dont le décollage économique s’explique en grande partie par un dividende démographique particulièrement élevé ? Le potentiel est immense, mais le(s) chemin(s) pour y parvenir restent encore incertains…

Aucun commentaire sur Le dividende démographique africain : Le risque d’une impossibilité ou d’un potentiel limité

Introduction au blog Entreprenante Afrique

Jean-Michel Severino, Président d’Investisseurs & Partenaires, Patrick Guillaumont, Président de la Fondation pour les études et recherches sur le développement international, et Sidi Khalifou, Président du Club Africain des Entrepreneurs,…

Jean-Michel Severino, Président d’Investisseurs & Partenaires, Patrick Guillaumont, Président de la Fondation pour les études et recherches sur le développement international, et Sidi Khalifou, Président du Club Africain des Entrepreneurs, reviennent sur les enjeux qui ont amené ces trois institutions à s’associer pour lancer un blog dédié à l’entrepreneuriat africain.

 

Aucun commentaire sur Introduction au blog Entreprenante Afrique

Saisissez votre recherche puis validez avec la touche Entrée