Au-delà des déclarations d’intention régulièrement renouvelées à l’occasion des Sommets internationaux, il faut enfin passer à l’échelle pour financer massivement les PME en Afrique, faire émerger un tissu économique puissant d’entreprises privées et ainsi relever le défi d’un meilleur développement du continent.

Le 18 mai 2021 se tient à Paris le sommet sur le financement des économies africaines, organisé par le gouvernement français. L’objectif de ce Sommet est de « donner de l’oxygène » aux pays du continent pour surmonter la crise économique provoquée par la pandémie de la Covid. Si la crise sanitaire a apparemment épargné une bonne partie de l’Afrique, le continent a en revanche subi la crise économique. La situation exceptionnelle, que nous traversons, s’est non seulement traduite par une hausse des dettes publiques mais aussi par un effondrement des flux financiers privés vers l’Afrique (investissements directs étrangers, transferts des migrants). Dans ce contexte, on peut raisonnablement penser que le traitement de la dette (publique) de l’Afrique ne suffira pas. S’il faut trouver les solutions pour doter l’Afrique des infrastructures dont elle a cruellement besoin, il faut simultanément trouver les solutions pour faire émerger un secteur privé puissant et en particulier un tissu de PME africaines et start-ups et les financer massivement.

Le faible accès au crédit, un des freins les plus importants au développement des PME et des jeunes entreprises.

Le développement du secteur privé est en effet essentiel pour permettre l’amélioration des conditions de vie des populations grâce à son rôle dans la création de richesse et d’emplois.

Le faible accès au crédit est un des freins les plus importants au développement des PME et des jeunes entreprises. Les intermédiaires financiers locaux ne parviennent que difficilement à accompagner ces acteurs, qui sont pourtant au cœur de la transformation structurelle des économies africaines.

Les limites de l’aide publique au développement pour le soutien des entreprises en Afrique

Si une partie de l’aide publique au développement est orientée vers le soutien au secteur privé, la situation actuelle est cependant peu satisfaisante, comme le montre l’étude “Comment renforcer la contribution du secteur privé au développement africain en améliorant son financement ?

D’une part, l’aide publique au développement fournie pour le soutien au secteur privé reste modeste. Ainsi, seulement 7% des sommes allouées par la Commission Européenne dans le cadre du Plan Européen d’Investissement (« Plan Juncker ») ont ciblé les PME.

L’équilibre penche en faveur du couple rentabilité – gestion des risques au détriment de l’impact.

D’autre part, les modalités actuelles de l’aide au secteur privé par les principaux bailleurs ne permettent pas d’avoir un impact fort. La difficulté pour les institutions financières de développement est de trouver un point d’équilibre entre trois impératifs : rentabilité, gestion des risques et impacts des investissements. L’équilibre penche actuellement en faveur du couple rentabilité – gestion des risques au détriment de l’impact. Les instruments actuels, qu’il s’agisse des financements directs ou indirects, ne permettent pas de cibler les PME et start-ups, qui sont pourtant les plus susceptibles de créer une dynamique de croissance endogène en Afrique, à l’instar de ce que nous avons constaté sur d’autres continents.

Accroître l’aide au secteur privé pour améliorer son impact

A partir de ce constat, il paraît essentiel de faire en sorte qu’enfin l’aide publique au développement amplifie massivement son soutien aux entreprises privées en Afrique et fasse du secteur privé un acteur à part entière de l’APD, en dépassant les réticences parfois d’ordre idéologiques.

Accroître le soutien aux entreprises privées est essentiel pour faire face au défi de l’emploi auquel font face les économies africaines. Pour prendre la mesure de ce défi, il est utile de rappeler que seulement 3 millions d’emplois sont créés chaque année sur le continent alors que 10 à 12 millions de jeunes entrent dans le même temps sur le marché du travail. Ce déséquilibre devrait s’accentuer eu égard aux évolutions démographiques à venir. Il est donc primordial pour les économies du continent de créer des emplois stables et rémunérateurs afin d’éviter des tensions sociales et politiques fortes. Cela implique de soutenir les entreprises formelles, seules susceptibles de fournir ces emplois pérennes.

Le volume d’aide actuel n’est pas à la mesure du défi et il convient de changer d’échelle en augmentant significativement les sommes allouées au soutien au secteur privé en Afrique. Ce changement implique de rompre avec une vision caricaturale qui oppose secteur privé et développement inclusif. Les entreprises privées sont des chaînons essentiels pour le décollage du continent et il convient de leur consacrer l’attention qu’elles méritent. En effet, au-delà de la création d’emplois, le développement du secteur privé productif a de nombreux effets sur le développement des économies en favorisant l’innovation, la mobilisation fiscale (et donc les investissements publics) et la pacification des zones en post-conflit.

Utiliser cette aide additionnelle pour changer les pratiques

Augmenter le volume de l’aide publique au développement à destination des entreprises privées n’est qu’une première étape pour permettre aux bailleurs d’avoir un réel impact. Cette hausse de l’aide doit servir à changer les pratiques actuelles. En particulier, l’aide doit servir à rétablir la balance entre les trois impératifs précités en permettant d’atténuer la prise de risque accrue dans le contexte africain, et ainsi d’avoir un impact plus fort à la hauteur des défis considérables l’Afrique est confrontée.

Les ressources publiques additionnelles dédiées au secteur privé doivent servir à dé-risquer ce type d’investissements.

D’une part, il faut résolument cibler des entreprises à forts impacts, telles que les entreprises pionnières investissant de nouveaux marchés ou les entreprises à forte croissance, ce qui implique une prise de risque accrue en raison d’une incertitude radicale quant à l’évolution de ces entreprises. Les ressources publiques additionnelles dédiées au secteur privé doivent servir à dé-risquer ce type d’investissements.

D’autre part, agir dans les marchés africains implique des coûts additionnels en raison de la taille modérée des investissements, des taux de défaillances élevés ou des risques financiers additionnels comme le risque de change, les risques sécuritaires, les incertitudes de l’environnement des affaires. Ces conditions spécifiques impliquent des rendements plus faibles. L’aide publique au développement au bénéfice des entreprises privées ne devrait donc privilégier le souci de l’équilibre financier des institutions financières spécialisées mais plutôt la recherche d’impacts significatifs.

Améliorer le financement du secteur privé, en particulier des PME et start-ups est essentiel pour permettre le développement de l’Afrique. L’architecture actuelle de l’aide publique au développement peine à remplir cette mission. Nous préconisons pour améliorer la situation une augmentation substantielle de l’APD à destination des entreprises privées en Afrique ce qui implique de sortir des réticences culturelles et d’admettre que les entreprises peuvent être acteurs à part entière de cette politique publique.

Nous recommandons d’utiliser ces ressources publiques additionnelles pour dé-risquer les investissements à destination des entreprises en Afrique. Nous proposons également d’utiliser une partie de l’APD pour réduire la contrainte financière qu’implique le soutien aux PME/ETI et start-ups.