L’électrification distribuée hors réseaux nationaux, par les mini-réseaux, terme générique utilisé ici indépendamment de leur taille (pico, micro, mini ou petits,) constitue la principale voie pour donner accès à l’électricité à la population rurale africaine, et contribuer à l’atteinte de l’ODD7 (Objectif du Développement Durable n°7 : garantir l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables et modernes, à un coût abordable). Pourtant le secteur des mini-réseaux progresse insuffisamment, les décideurs publics, nationaux mais aussi parfois internationaux, peinant à prendre la décision d’un passage à l’échelle par manque de preuves d’impacts de ce secteur ; ce que les économistes et les évaluateurs n’ont pas su fournir jusqu’à présent dans ce secteur.
Pour Entreprenante Afrique nous présentons en quatre articles le projet de mini-réseaux Cafés Lumière à Madagascar, les limites de son évaluation standard réalisée pour des besoins de redevabilité, qui ne permet pas d’apporter de véritables preuves d’impact et différentes voies alternatives pour tester et documenter les impacts socio-économiques du projet.
Les Cafés Lumière de Madagascar : une boutique, un lieu d’accueil et un mini-réseau
La solution Café Lumière, créée et développée à partir de 2019 par Électriciens sans frontières, propose dans six villages des régions du Vakinankaratra et de Itasy une boutique couplée à une centrale solaire photovoltaïque sécurisée par des batteries et un groupe électrogène.
Les Cafés Lumière ont pour particularité d’être à la fois un mini-réseau et une plateforme énergétique multiservice. C’est-à-dire que le Café Lumière, placé en général au centre du village, dispose d’une boutique qui offre des services tels que la charge de téléphones, de lampes tout en alimentant en électricité les autres besoins des populations. La plateforme multiservice propose ainsi des services énergétiques et un espace accueillant pour des activités productives souhaitant bénéficier d’électricité. Le mini-réseau propose l’alimentation en électricité depuis le Café Lumière grâce à des raccordements de proximité des ménages, des acteurs productifs, de l’éclairage public et des services collectifs. Une partie de la consommation d’électricité de ces derniers est prise en charge via une contribution perçue sur les ventes auprès des autres usagers, ménages et entreprises.
Quatre principes fondamentaux régissent l’installation de Cafés Lumière :
- La garantie de l’accès minimal à un service électrique pérenne à tous les membres d’une communauté rurale ;
- L’amélioration de la qualité des services collectifs (en particulier ceux dédiés à la santé et à l’éducation) en leur assurant durablement un accès minimal à l’électricité ;
- La contribution au développement des activités productives privées ;
- La contribution à un cadre politique et réglementaire permettant aux acteurs locaux d’être en capacité de gérer et d’entretenir de manière pérenne les installations et le service Café Lumière.
La solution repose sur un partenariat public privé entre le délégataire Anka, l’Agence de Développement de l’Électrification Rurale (ADER), les Structures Collectives de Gestion Mixte (SCGM) au niveau du village et le porteur de la solution, Electriciens sans frontières.
Le délégataire est en capacité d’intervenir au plus près des populations rurales isolées grâce à son implantation dans chaque village concerné, ce qui permet non seulement de faire remonter les informations pertinentes et d’agir sur place (exploitation et maintenance des installations, vente de services, etc.). De plus, un système de suivi à distance de la production d’énergie est déployé et permet de suivre l’activité des Cafés Lumière. Il est, pour ces différentes raisons, un producteur essentiel de données de suivi-évaluation du projet, en produisant des rapports d’activité mois par mois. Les données sont ainsi harmonisées et détaillées permettant d’étudier les impacts du projet.
Le projet a été principalement financé par l’Agence française de développement (AFD) dans le cadre de la Facilité d’innovation sectorielle pour les organisations non gouvernementales (FISONG) et sa réplication dans le cadre d’une Note d’Initiative ONG (NIONG).
Les Cafés Lumière proposent donc une solution suffisamment innovante, reposant sur un financement pluripartite et dont les objectifs sont en soutien aux ODD pour que la question de leur implémentation à plus grande échelle puisse être posée.
Évaluation standard à des fins de redevabilité
Les agences d’aide pratiquent une approche standard d’évaluation de la bonne utilisation des fonds et commandent un rapport à un cabinet indépendant au moment de la remise du projet. Ce rapport tient lieu d’évaluation finale du projet, dès lors qu’il permet de respecter les règles usuelles de redevabilité.
Cette évaluation donne des résultats projectifs et correspond davantage à des impacts attendus plutôt qu’observés. En effet, dans le cadre d’un projet d’infrastructure, l’évaluation est menée à une date proche de celle de la mise en marche programmée des équipements, ce qui est beaucoup trop tôt pour observer des impacts qui sont attendus à moyen ou long terme. Cette évaluation sert assurément des objectifs administratifs mais ne fait pas nécessairement avancer la connaissance sur l’impact des projets sur les objectifs de développement durable.
Dans le cadre des Cafés Lumière, cette première analyse réalisée pour l’AFD conclut à des impacts importants sur les conditions de vie des populations et notamment des femmes, sur l’amélioration de la qualité des services publics (éducation, accès aux centres de santé, sécurité publique). Les résultats obtenus des focus groups soulignent l’appui considérable de ce projet au dynamisme économique et au développement des activités génératrices de revenus. Ces résultats sont encourageants et donnent une première indication de la dynamique engagée par les Cafés Lumière. Toutefois l’évaluation, achevée en janvier 2021, est intervenue à un moment où les projets complets Cafés Lumière n’étaient pas tous finalisés : les plateformes multiservices étaient ouvertes pour les 6 Cafés mais seulement 3 mini-réseaux étaient opérationnels dont un seul opérationnel depuis plus d’un an. La base d’informations mobilisée était donc trop étroite tant du point de vue de sa temporalité que de sa couverture géographique, pour conduire à des conclusions robustes.
D’un point de vue méthodologique ces évaluations standard pêchent non seulement par l’inadéquation de leur temporalité, mais aussi par l’absence de contrefactuel. L’évaluation standard des Cafés Lumière menée pour l’AFD ne cherche pas à comparer les localités traitées avec d’autres localités comparables mais qui n’ont pas été traitées. Électriciens sans frontière avait pourtant anticipé ce besoin, en tirant au sort les 6 localités traitées dans un groupe plus large de 12 localités, dans lesquelles des données de départ sur le profil socio-économique avaient été réunies en collaboration avec la FERDI. L’exploitation de ce cadre d’enquête, en elle-même couteuse, n’aurait certes pas été pertinente en 2020, et nous y reviendront dans le quatrième article de cette série, un second passage de l’enquête en mai 2023 étant en cours de traitement. Mais en attendant, d’autres voies d’investigations ont pu être menées, en combinant l’utilisation de données de télédétection et les rapports d’activité d’Anka.
Dans la même série “Mesurer l’impact des projets d’électrification décentralisée”, découvrez aussi les articles suivants : Utilisation de la télédétection : premiers résultats sur l’impact des Cafés Lumière (2/4), Caractérisation des impacts sur l’accès à l’électricité à partir des données de localité (3/4), Caractérisation des impacts sur l’accès à l’électricité à partir des données de ménages (4/4).