Penser et agir pour l’entrepreneuriat en Afrique

Innover dans l’investissement pour renforcer l’autonomisation des Femmes

Cet article a été co-écrit par Ksapa et Investisseurs & Partenaires, et est également publié sur leur site web.   La question du genre est au cœur du débat international….

Cet article a été co-écrit par Ksapa et Investisseurs & Partenaires, et est également publié sur leur site web.

 

La question du genre est au cœur du débat international. Lélimination de la discrimination des femmes et des filles, l’autonomisation des femmes et la parité entre femmes et hommes sont considérés comme des facteurs clefs du développement, du respect des droits humains, de la paix et de la sécurité mondiale. Les Objectifs de Développement Durable ont d’ailleurs réaffirmé ce rôle clef de l’autonomisation des femmes dans le jeu démocratique, pour prendre les décisions qui s’imposent dans sur tous les aspects du développement durable.  

Pour étudier les implications de l’autonomisation des femmes pour le secteur privé, Ksapa s’est rapproché d’Investisseurs & Partenaires, spécialiste de l’investissement à impact sur le continent africain. Ensemble, nous examinons les données du défi de l’autonomisation de la femme, particulièrement prégnant en milieu rural à travers le continent africain. Comment, dans les conditions actuelles, adapter les plans d’action sur le genre des investisseurs et des entreprises pour mieux répondre au défi ? Forts des différentes initiatives que nous menons, Ksapa et I&P tirent des recommandations pratiques pour la mobilisation du capital et les technologies disponibles en faveur de l’autonomisation des femmes.

 

1. Grands enjeux de l’autonomisation des femmes

L’autonomisation des femmes implique, en essence, une distribution équitable des ressources entre les hommes et les femmes, les filles et les garçons. Voilà pour le principe. En pratique, l’autonomisation des femmes bouscule des comportements sociaux très ancrés, qui se traduisent dans des décisions sociales, économiques et culturelles tout aussi structurelles.

  • Des disparités structurelles entre hommes et femmes

De fait, hommes et femmes, garçons et filles ne sont pas égaux face à la pauvreté et dans l’accès aux opportunités d’avancement – et ce, d’autant moins dans le contexte des crises climatiques, sanitaires et socio-économiques actuelles. Les femmes ne représentent qu’un tiers ou moins de la richesse en capital humain dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire inférieur. En Asie du Sud, les pertes liées aux inégalités de genre sont estimées à 9 100 milliards de dollars, contre 6 700 milliards de dollars en Amérique latine et dans les Caraïbes et 3 100 milliards de dollars au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. En Afrique subsaharienne, elles atteignent 2 500 milliards de dollars.

À ce titre, l’OCDE publie un indice des institutions sociales et égalité entre hommes et femmes pour mesurer, à l’échelle internationale, les discriminations à l’encontre des femmes dans les institutions sociales. Pour exemple, en 2019, cet indice était de 37.0 au Sénégal, 42,8 en Côte d’Ivoire et 34,5 au Ghana.

  • Impacts socio-économiques de l’autonomisation de la femme

Pour autant, et bien qu’elles fassent l’objet de préjugés, les femmes contrôlent actuellement 32% de la richesse, ajoutant ainsi 5 000 milliards de dollars à la richesse mondiale chaque année. Le tout à un rythme beaucoup plus rapide que par le passé. En outre, pour chaque dollar d’investissement levé, les jeunes entreprises appartenant à des femmes génèrent 0,78 dollar de revenus, contre 0,31 dollar pour les entreprises dirigées par des hommes. Ainsi, la parité entre hommes et femmes sur le marché du travail pourrait générer une hausse de 26% du PIB mondial annuel d’ici à 2025.

  • Zoom sur la femme dans le secteur agricole africain

L’agriculture en particulier représente près de 25 % du PIB de l’Afrique et les femmes constituent près de la moitié de la main d’œuvre de ce secteur en Afrique subsaharienne. Sur l’ensemble du continent, l’agriculture s’avère même le tout premier employeur des femmes, concentrant 62 % des femmes actives. Dans certains pays, comme le Rwanda, le Malawi et le Burkina Faso, elles sont même plus de 90 % à y travailler.

Le travail des femmes est, comme ailleurs, sujet à des disparités critiques – notamment en termes de répartition des tâches et de prépondérance du travail informel. Dans le milieu agricole africain, les femmes tendent à opter pour des cultures et techniques spécifiques et leur travail n’est pas rémunéré de la même façon.

Lorsqu’il fait l’objet d’un contrat, il ne porte pas systématiquement leur nom – et souvent celui de leur mari. De même, les agricultrices africaines ont tendance à investir les marchés locaux et le commerce de détail, là où les hommes misent davantage sur le commerce de gros, avec une portée régionale.

 

2. Intégrer une solide perspective du genre dans les stratégies d’investissements à impact

La lutte contre la pauvreté et la sécurité alimentaire dépendent directement du développement de solutions systématiques pour l’autonomisation des femmes. Les mesures nécessaires pour développer des moyens de subsistance stables grâce au secteur agricole africain incluent donc des dispositifs innovants d’accès à la terre, au capital et moyens de production – en particulier pour les femmes.

C’est précisément pourquoi la Banque mondiale a élaboré une stratégie de genre à destination des développeurs de projets internationaux. Le document liste 4 leviers clefs pour diminuer les écarts entre hommes et aux femmes :

  • Sensibilisation : Améliorer les écarts entre hommes et femmes en réduisant notamment les différentiels d’accès à la santé, l’éducation et la protection sociale (par exemple, les transitions école/travail, les stéréotypes sexistes sur le lieu de travail, les droits en matière de santé sexuelle et génésique…).
  • Opportunité : Supprimer les barrières à un emploi plus important et de meilleure qualité, en stimulant la participation des femmes, les opportunités pour elles de générer leurs propres revenus et d’accéder aux actifs productifs (en gardant à l’esprit les considérations clés de la charge des soins, de l’accès à la mobilité et à l’emploi formel…).
  • Capacité d’action : Renforcer l’expression des femmes et les mettre en capacité d’agir, en incitant les hommes et garçons à partager avec elles les décisions sur la prestation de services, la réduction des violences sexistes et la gestion de situations conflictuelles.
  • Propriété : Supprimer les obstacles à la propriété et au contrôle des biens par les femmes, en améliorant l’accès des femmes à la terre, au logement et à la technologie.

En s’appuyant sur cette stratégie, les investisseurs, et en particulier les équipes de développement, sont amenés à examiner les modalités de dialogue avec les parties prenantes potentiellement impactées, afin d’identifier et évaluer les écarts concrets entre les genres. Autant d’efforts qui débouchent sur le développement d’un plan d’action en matière de genre.

 

3. Exemples pratiques de la mobilisation du capital pour l’autonomisation des femmes

  • Zoom sur 3 entreprises du secteur agricole soutenues par I&P 

I&P est engagé depuis 20 ans pour financer et accompagner l’émergence de champions de l’entrepreneuriat africain. En tant qu’investisseur d’impact, I&P vise un retour social et/ou environnemental positif ainsi qu’une performance financière significative dont l’impact est mesurable par un processus continu d’évaluation.

Cette approche porte à la fois dans le choix d’investissements ciblés et dans l’accompagnement des entreprises sélectionnées. L’accompagnement se caractérise également par la mesure de l’impact social et/ou environnemental de l’entreprise, sur la base d’objectifs prioritaires et de modalités de suivi des progrès sur les impacts positifs escomptés. Dans le cadre de sa stratégie genre1, I&P cherche activement à développer un pipeline de PME, soit gérées par des femmes, soit à fort impact pour les femmes.

I&P inclut donc systématiquement des plans d’action spécifiques au genre dans le plan d’action ESG des entreprises en portefeuille (augmentation du nombre d’emplois féminins, accès à des postes de direction, formations spécifiques…). À date, 33% des entreprises accompagnées par la famille I&P sont dirigées par des femmes. De même, 79% du portefeuille d’I&P répond à au moins un critère du 2X Challenge, une initiative des banques de développement pour définir ce qui serait considéré comme un investissement favorable aux femmes.

Au sein du portefeuille d’I&P, plusieurs entreprises illustrent comment une perspective de genre peut être développée dans le secteur agriculture, comme :

    • Soafiary (Madagascar) :Fondée en 2006 par la promotrice malgache Malala Rabenoro, Soafiary est spécialisée dans la collecte, la transformation et la vente de céréales (maïs, riz) et de légumineuses (haricots, pois du cap, lentilles, soja) sur le marché local et international.
    • Citrine (Côte d’Ivoire) :Citrine Corporation est une entreprise spécialisée dans la transformation du manioc en attiéké frais (semoule de manioc) et en placali (pâte de manioc) au sud de la Côte d’Ivoire, plus précisément à Grand-Bassam.
    • Rose Eclat (Burkina Faso) :Entreprise familiale créée en 1999 par Rosemonde Touré, Rose Eclat est une société de transformation de fruits et légumes. Aujourd’hui, l’entreprise met sur le marché national et international des fruits et légumes transformés et/ou séchés certifiée biologique et conforme à la méthode de gestion de la sécurité sanitaire des aliments (HACCP). L’entreprise produit principalement de la mangue mais aussi des bananes, des gombos, des fraises ou encore des oignons.

Emblématiques de l’action d’I&P en matière d’autonomisation des femmes dans le secteur agriculture, ces trois entreprises se sont engagées à appliquer une politique favorable à l’égalité des genres et à l’autonomisation des femmes. L’une d’entre elles, Soafiary, a retranscrit cette politique en une feuille de route résumant tous ses engagements en matière d’égalité et d’autonomisation des femmes. Cette feuille de route écrite sert à tracer les grandes lignes de la politique genre de l’entreprise, et est surtout un outil concret de suivi et d’évaluation que ce soit en interne ou en externe des avancés et des efforts qui ont été fait par l’entreprise en matière d’égalité homme-femme.

Les trois entreprises priorisent le recrutement des femmes aux emplois saisonniers et n’appliquent aucune forme de discrimination sexuelle pour les recrutements aux emplois fixes. Les femmes y sont également impliquées dans le processus de prise de décision et occupent divers postes à responsabilité. Ainsi, les hommes et les femmes ont les mêmes égalités de chance d’avancement professionnel – soit via l’accès à des emplois fixes ou à emplois saisonniers, et ce avec des rémunérations comparables. Les femmes bénéficient en outre de formations sur leurs lieux de travail.

Rose Eclat en particulier donne l’opportunité aux femmes de se former en dehors de l’entreprise en vue d’un avancement professionnel ou qui leurs permettront plus tard de se mettre à leurs comptes.

Les trois entreprises veillent de plus au respect des droits à l’intégrité physique et morale des femmes sur et en dehors de leurs lieux de travail et les donnent accès à des soins de santé et à la protection sociale. Soafiary a également mis en place un système d’inclusion financière et de bancarisation des femmes. L’accès à des produits et services financiers permet aux femmes d’anticiper le financement d’objectifs à long et moyen terme ou de faire face à des imprévus. Par ailleurs, l’épargne encourage le crédit, et inversement.

  • Zoom sur l’approche SUTTI de Ksapa

Misant particulièrement sur ce levier de la formation, Ksapa a lancé l’initiative Scale-up Training, Traceability, Impact initiative (SUTTI) pour le développement de chaînes d’approvisionnements agricoles responsables. Nous proposons pour cela aux petits exploitants agricoles l’accès à de la formation et de l’éducation technique et opérationnelle. Ainsi nous visons l’optimisation des cultures et la production économique agricole, l’amélioration de la qualité des moyens de subsistance des agriculteurs en augmentant les revenus, en diversifiant les activités et en réduisant la pauvreté et enfin la parité entre hommes et femmes. Et ce, notamment pour retenir les jeunes fermiers dans les zones rurales.

Grâce au développement de notre propre application numérique, nous combinons l’analyse et l’évaluation, la structuration de la coalition et le calibrage du pilote et la mise en œuvre du programme et le suivi de l’impact. C’est ainsi que Ksapa mesure l’impact de l’initiative SUTTI et particulièrement les impacts spécifiques liés aux femmes, principalement leur inclusion dans le programme. Via la formation, nous soutenons l’autonomisation des femmes, en ouvrant la division conventionnelle du travail et le potentiel des femmes à vendre et gérer le produit de leur travail et à exploiter des activités de revenus diversifiées.

Parce que les femmes subissent de plein fouet le manque d’inclusion financière, d’alphabétisation et de compétence numérique, notre solution vise une accessibilité optimale de ces dernières. Nos programmes étant centrés la diversification des revenus des petits producteurs agricoles, ils développent par là même un levier additionnel d’autonomisation des femmes en milieu agricole. En somme, cette approche vise à débloquer 4 défis clefs de la manière suivante :

DEFIS CLEFS  SOLUTIONS PERTINENTES
Faible productivité due au manque d’accès à l’information et aux services, au changement climatique, à la variabilité des conditions météorologiques et aux épidémies de parasites et de maladies.  Sensibilisation aux bonnes pratiques agricoles (BPA) : dispenser des sessions en face à face et numériques pour encourager la génération de revenus via l’efficacité de l’eau, le crédit carbone et la diversification des cultures. Via une application numérique, il est possible de partager des vidéos et des tutoriels qui soutiennent des tests pratiques et la mise en œuvre des BPA à l’échelle de toute l’exploitation. Développer les outils d’aide à la décision : les applications numériques peuvent inclure une fonction de chat communautaire permettant aux petits exploitants agricoles de partager leurs questions et de décider de la meilleure façon de mettre en œuvre les BPA. Une fonction de marketplace offre aux petits exploitants agricoles l’opportunité de partager des informations sur les prix et volumes pour pouvoir décider où et quand vendre. Lever les barrières de langue et de culture numérique : Adapter les solutions aux besoins des petits exploitants agricoles implique notamment de traduire les contenus dans les langues locales – en intégrant une fonction de synthèse vocale à destination des fermiers moins lettrés.
 Manque d’accès à des produits financiers et d’assurance adaptés Développer des solutions financières pour les petits exploitants, payées par exemple avec des jetons émis via un système de compensation carbone.
L’accès des femmes aux services numériques  Organisation des groupes de formation féminins (par exemple, recruter une cohorte exclusivement féminine sur trois) pour identifier et répondre aux besoins spécifiques des agricultrices. Adapter le contenu en conséquence (par exemple, en incluant une perspective de genre, notamment dans les contenus de formation sur la santé-sécurité sur la ferme).
Manque d’accessibilité et de capacité à sélectionner les marchés et modalités de vente  Structurer l’approvisionnement des petits producteurs agricoles en intrants, payés via un système de compensation carbone et les revenus d’un outil de gamification les incitant à répondre régulièrement à des questionnaires de suivi d’impact. Favoriser l’accès au marché en soutenant la diversification des cultures tout au long de l’année en dehors du cycle de production de la culture prédominante des fermiers concernés. Conforter les outils d’aide à la décision avec un module qui permettre aux petits exploitants agricoles d’identifier de nouveaux modes de commercialisation, suivre leurs transactions et identifier les meilleures options pour acheter/vendre leurs cultures

 

Conclusion 

A la tête de leurs programmes à impact respectifs, I&P et Ksapa tirent ensemble 5 grands enseignements pour l’intégration d’une solide perspective de genre :

  • Prioriser les questions d’autonomisation des femmes dans le développement de projets de développement agricole
  • Formaliser les contributions directes et indirectes du secteur agricole aux dynamiques de genre
  • Clarifier les rôles et responsabilités pour le développement d’une robuste perspective du genre
  • Attribuer des ressources spécifiques à l’autonomisation des agricultrices
  • Développer des mécanismes de dialogue et de remontée des griefs propres aux agricultrices
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Entrepreneuriat agricole : quelques clés pour développer le potentiel des zones rurales d’Afrique

Cet article a été initialement publié sur cnbcafrica.com Bobby Juuko – Class M [06 Oct 2021] (lien vers la publication originale) En dépit de toutes les initiatives prises par les…

Cet article a été initialement publié sur cnbcafrica.com
Bobby Juuko – Class M [06 Oct 2021] (lien vers la publication originale)

En dépit de toutes les initiatives prises par les gouvernements africains, les bailleurs de fonds internationaux et les acteurs locaux au cours des dernières décennies, il n’y a pas eu de réponse satisfaisante au défi de l’agriculture africaine. Avec une population estimée à 2,5 milliards d’habitants en 2050, l’Afrique est confrontée à une problématique d’une ampleur sans précédent dans l’histoire de l’humanité : nourrir une population qui aura doublé en 50 ans.

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Les programmes d’accélération : qu’en dit la littérature académique ?

Depuis plusieurs années, des programmes d’accélération ont vu le jour un peu partout dans le monde, notamment sur le continent africain. L’objectif de ces initiatives est de soutenir les jeunes…

Depuis plusieurs années, des programmes d’accélération ont vu le jour un peu partout dans le monde, notamment sur le continent africain. L’objectif de ces initiatives est de soutenir les jeunes entreprises qui ont fait la preuve que leur modèle était viable et qui cherchent à faire croître leur activité. Que dit la littérature académique de ces programmes?

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Emploi des jeunes : L’Afrique ne doit pas former plus, mais former mieux

Il suffit de quelques chiffres pour comprendre l’ampleur des enjeux liés à l’employabilité des jeunes sur le continent Africain. Aujourd’hui, les 15-24 ans représentent 20% de la population africaine, mais…

Il suffit de quelques chiffres pour comprendre l’ampleur des enjeux liés à l’employabilité des jeunes sur le continent Africain.

Aujourd’hui, les 15-24 ans représentent 20% de la population africaine, mais plus de 40% des chômeurs[1]. D’ici 2030, selon les estimations de l’UNESCO, environ cent millions de jeunes débarqueront sur le marché du travail en raison de la structure démographique du continent.

En parallèle, nombre d’entreprises et d’employeurs sont en quête de personnel qualifié[2], et de fait employable[3]. On constate dans de nombreux secteurs une inadéquation entre les programmes de formation disponibles et les spécificités du marché du travail, en constante restructuration.

On pourrait donc se demander si le grand défi aujourd’hui n’est pas de former plus, mais de former mieux ? Et ce notamment dans le cadre des parcours d’enseignement et de formation techniques et professionnels, qui ont évidemment un grand rôle à jouer pour favoriser l’insertion professionnelle des jeunes.

Nous allons creuser dans cet article trois pistes d’amélioration, en se basant sur l’expérience concrète d’une PME africaine ivoirienne spécialisée dans la formation professionnelle : l’Institut de Management, de Gestion et d’Hôtellerie (IMGH), fondée par Augustine Bro en 2009. Entre décembre 2020 et juillet 2021, les collaborateurs d’IMGH (managers, middle-managers, formateurs) ont en effet participé à formation destinée au renforcement des capacités, organisées par la GIZ Côte d’Ivoire.

 

Piste n°1 : bien négocier le virage vers la digitalisation

Tournés vers la pratique, l’apprentissage et l’acquisition des techniques de travail, les parcours de formation techniques et professionnels sont les premiers à devoir s’adapter à la mondialisation et aux changements technologiques qui en découlent. La transition vers le numérique, qui devait se faire de manière progressive, a été drastiquement accélérée par la crise de la Covid-19, qui a touché de plein fouet le secteur de la formation, et par la même redéfini les demandes du marché du travail.

Les prérequis pour bien négocier ce virage sont dans un premier temps d’ordre matériel. En Afrique de l’Ouest, la connectivité des foyers n’est pas assurée dans de larges zones rurales ou isolées. À ces enjeux de couverture internet, s’articulent ceux du coût des forfaits pour consulter les outils en ligne nécessaires à l’apprentissage[4]. Enfin, l’acquisition de matériels informatiques pour accéder aux contenus des formations en ligne s’avère être une charge supplémentaire pour les étudiants.

 

Focus IMGH :

Pour pallier ces difficultés matérielle, l’IMGH a mis en ligne des capsules de formation consultables via ordinateur et mobile. Une initiative qui a solutionné à la fois l’impossibilité de tenir des cours en présentiel au plus fort de la crise Covid, et celui de la connectivité des apprenants dans la mesure où la plupart avaient au moins accès à internet via leurs smartphones. Des efforts financiers seront encore à faire pour que la totalité des étudiants aient accès aux cours en ligne.

Depuis la crise Covid, l’IMGH a définitivement adopté une formule mixte, combinant présentiel et distanciel. Ce format offre plusieurs avantages : apprentissage à un rythme personnel, contenu personnalisable, économie de coûts… c’est aussi un modèle qui a fait ses preuves et qui saura s’adapter à de probables crises futures, qu’elles soient d’ordre sanitaire, économique ou politique

 

Au-delà des questions de matériel et de connectivité, le plus grand défi de cette transition vers le digital pourrait être celui de la compétence des formateurs et de la transmission du savoir (savoirs théoriques, mais aussi et surtout le savoir-faire – techniques, gestes professionnels, pratique – et le savoir-être comportements – qualités – valeurs).

Certains de ces éléments, déjà difficiles à transmettre dans le cadre d’un partage en présentiel, le sont encore plus dans le cas des enseignements à distance ou hybrides et nécessitent beaucoup plus d’implication et de pédagogie de la part des formateurs. D’où la nécessité de former au préalable les formateurs et tout autre personne impliquée dans le processus de transmission.

Piste n°2 : mettre à jour les compétences des formateurs

La qualité et la pertinence de toute formation professionnelle découlent directement de la compétence professionnelle des formatrices et formateurs.

Pour le cas particulier des formations professionnelles, les cours proposés sont pour la plupart assurés par des équipes pédagogiques issues du corps du métier. Cette situation répond à la logique de transmission des techniques propres à chaque métier, qu’il serait difficile de partager autrement. Il n’en reste que ces savoirs empiriques, acquis certes grâce à des années d’expérience dans le domaine, ont tendance à se figer dans le temps. Le risque étant qu’une fois transposés sur le marché de l’emploi, les compétences transmises aux étudiants se révèlent être obsolètes. En conséquence, il est capital de renouveler en permanence les compétences des formateurs.

La formation des managers et mid-managers est également un paramètre indispensable. À l’heure de la transformation numérique, le succès d’une nouvelle stratégie de développement repose sur la capacité de tous les collaborateurs à se l’approprier. Ceux-ci contribuent pleinement à la transformation interne de l’entreprise et participent de ce fait au processus de transfert des compétences.

 

Focus IMGH

La formation de la GIZ, suivie par l’équipe d’IMGH, se fonde sur la logique de l’alternance pratique/théorie/pratique qui permet d’actualiser et transporter directement sur le lieu de travail les connaissances acquises grâce à un point de vue et une expérience extérieure à sa propre organisation.

Selon Augustine Bro, fondatrice d’IMGH, cette formation a permis à l’ensemble de son équipe d’être plus au fait des changements qui s’opèrent sur le marché professionnel et d’adapter leurs offres de formation sur le long terme.

 

Piste n°3 : Renforcer les capacités par la méthode de codéveloppement

Enfin, on peut avoir une approche plus collective des nouvelles problématiques liées à la transformation des métiers. Remettre à jour les compétences et savoirs pour s’adapter au mieux à la demande du marché de l’emploi est une nécessité, et le fait d’être au contact d’autres professionnels serait un moyen efficace pour pallier ses propres lacunes et acquérir de nouvelles connaissances.

Le groupe de codéveloppement professionnel est une approche de développement pour des personnes qui croient pouvoir apprendre les unes des autres afin d’améliorer leur pratique. La réflexion effectuée, individuellement et en groupe, est favorisée par un exercice structuré de consultation qui porte sur des problématiques vécues actuellement par les participants[5].

La méthode de codéveloppement permet ainsi de directement attaquer le côté pratique d’un travail, d’une tâche à exécuter, de manière concertée. A l’inverse d’une approche normative qui n’offre finalement qu’un point de vue unique, le codéveloppement, par le biais de la pluralité des contributions, décuple les perspectives de développement. Cette approche invite chacun à considérer une situation d’un angle différent et complémentaire, à pousser la réflexion beaucoup plus loin et à adapter de nouvelles solutions plus productives.

 

Focus IMGH

« L’adoption de la méthode de codéveloppement a amené un nouveau souffle au sein de notre organisation. Une nouvelle dynamique très positive s’est installée et chacun y met volontairement du sien aujourd’hui que cela soit sur des questions de formation, de management ou de gouvernance. Par exemple, ceux qui ont plus de facilité en informatique n’hésitent pas à donner un coup de pouce à leurs collègues en difficulté et ceux qui sont en peine sur d’autres sujets n’hésitent pas non plus à demander des conseils ou de l’aide. Que cela soit sur le plan comptable ou sur l’ambiance de travail, cette méthode ne présente jusqu’ici que des avantages » – Augustine Bro

 

En conclusion

L’inadéquation entre les programmes de formation existant et les besoins d’un marché du travail en constante évolution entravent le développement économique des pays africains. Les opportunités existent et se créent, mais le continent peine encore à fournir une main d’œuvre qualifiée et employable.

Les acteurs de la formation professionnelle, comme IMGH en Côte d’Ivoire, doivent proposer du contenu à jour et pertinent. Nous avons évoqué ici quelques pratiques mises en œuvre par IMGH depuis la crise Covid-19 et la formation de la GIZ (digitaliser son offre de formation, renforcer les compétences des formateurs et des équipes…), mais bien d’autres idées peuvent encore être formulées pour apporter une formation professionnelle pertinente et de qualité à la jeunesse africaine !


[1]  http://www.iiep.unesco.org/fr/en-afrique-la-transformation-de-la-formation-professionnelle-est-en-marche-13763

[2]  Jean-Michel SEVERINO, RFI 20/01/19 https://www.rfi.fr/fr/emission/20190121-afrique-manque-emplois-qualifies-investir-formation

[3] En se référant à la définition donnée par l’Organisation internationale du travail (OIT), l’employabilité est « l’aptitude de chacun à trouver et conserver un emploi, à progresser au travail et à s’adapter au changement tout au long de la vie professionnelle »

[4] https://www.entreprenanteafrique.com/les-ecoles-africaines-au-temps-du-covid-19/#_ftn6

[5] Adrien PAYETTE, Claude CHAMPAGNE, PUQ, 1997 ( https://www.puq.ca/catalogue/livres/groupe-codeveloppement-professionnel-573.html )

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Miser sur l’exception créative africaine

À l’international, l’Afrique intrigue et inspire. De récents exemples le prouvent : la collection été de Gucci en 2019 ; la collection croisière 2019 de Dior, largement inspirée par la…

À l’international, l’Afrique intrigue et inspire. De récents exemples le prouvent : la collection été de Gucci en 2019 ; la collection croisière 2019 de Dior, largement inspirée par la mode africaine et dont certains tissus ont été imprimés en Côte d’Ivoire ; l’ouverture de la fashion week 2021 milanaise par les « Fab Five », cinq créateurs d’origine africaine. Et bien d’autres encore.

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Les programmes d’accélération : solution miracle pour les très jeunes entreprises ? (2/2)

Depuis plusieurs années, les programmes d’accélération se multiplient sur le continent africain. Que se cache-t-il derrière ce concept en vogue ? Qu’apporte un programme d’accélération à une entreprise ? Après…

Depuis plusieurs années, les programmes d’accélération se multiplient sur le continent africain. Que se cache-t-il derrière ce concept en vogue ? Qu’apporte un programme d’accélération à une entreprise ?

Après avoir exploré les différentes facettes des programmes d’accélération actuellement déployés sur le continent africain dans un premier article (disponible ici), nous partons ici à la rencontre d’une entreprise bénéficiaire d’un programme d’accélération, avec une interview croisée de Mohamed Diaby et Ybrahim Traoré respectivement CEO et co-Directeur de Citrine Corporation.

Fondée en 2014, Citrine Corporation est une entreprise basée à Grand-Bassam, au sud de la Côte d’Ivoire, spécialisée dans la production et commercialisation de produits agricoles commercialisés sous la marque Zatwa dans la sous-région, en Europe et aux Etats-Unis. Comme nombre de petites entreprises africaines, souvent considérées trop jeunes et/ou trop risquées, Citrine Corporation a eu de grandes difficultés à accéder aux financements ‘’classiques’’ (prêts bancaires, investissement en capital, etc.). En revanche, depuis 2020, l’entreprise bénéficie du programme d’accélération I&P Accélération au Sahel[1], lui permettant d’avoir des ressources nécessaires pour bien démarrer (test de marché, phases pilotes, recherche & développement, équipements, renforcement des capacités) et passer au changement d’échelle.

 

En quoi consiste votre projet entrepreneurial ?

Mohamed Diaby : Depuis le départ, notre idée est de valoriser les mets et les cultures locales de la région du Sud de la Côte d’Ivoire, d’où nous sommes tous deux originaires.

Ybrahim Traoré : notre ambition était aussi de montrer aux jeunes africain(e)s que l’on n’a pas besoin de sortir du pays pour réussir. Démarrer une entreprise et créer des emplois, c’est une façon de répondre au problème de la migration clandestine, qui s’observe dans plusieurs pays d’Afrique. C’est pourquoi notre activité ne se limite pas à l’import-export : nous assurons la phase de commercialisation mais aussi la phase de production. Il s’agit de céréales, fruits et légumes produits dans la région de Grand-Bassam, fortement consommés par les Ivoiriens en Côte d’Ivoire et à l’étranger, comme le placali et l’attiéké. Nous avons aussi lancé notre propre marque, Zatwa Impex.

 

Comment vous est venu cette idée ?

M. D. : Nos chemins se sont croisés à l’université, lors de notre cycle de fin d’études. Pour valider notre diplôme, il fallait trouver une alternance mais nous avons préféré nous lancer directement dans l’entrepreneuriat. Nous avons donc commencé ce projet en nous basant sur le constat suivant : tout le circuit de distribution de produits africains et agro-alimentaire (attiéké, poisson fumé, etc.) est dirigé par des communautés non-africaines. En France par exemple, les épiceries sont détenues par la communauté asiatique. Nous trouvions cela dommage… et c’est comme cela qu’on a démarré l’aventure.

Y. T. : On ne voulait pas juste produire et vendre de l’attiéké, mais être aussi garant de la qualité des produits mis sur le marché. L’entreprise fonctionne bien. Au démarrage, nous avions une dizaine d’employés, dont 90% de femmes. Aujourd’hui, on compte environ 60 emplois permanents et nous employons jusqu’à 100 personnes en période de production.

 

Votre entreprise est accompagnée depuis 2020 par le programme I&P Accélération au Sahel ? Que vous apporte ce partenariat ?

M. D. : Je dirais beaucoup de choses ! Nous avions approché le fonds ivoirien Comoé Capital il y a quelques années, mais nous n’étions pas encore tout à fait prêts. L’occasion de partenariat s’est présentée grâce au lancement du programme I&P Accélération au Sahel, piloté par Investisseurs & Partenaires et financé par l’Union Européenne.

Aujourd’hui, on doit beaucoup à l’équipe qui assure le suivi et nous donne des conseils très utiles. I&P et Comoé Capital nous ont aidé à réaliser notre étude de marché sur la farine de manioc et les produits dérivés du manioc (comme l’attiéké et le placali mentionnés plus haut) qui nous a permis de confirmer le potentiel de vente, en Côte d’Ivoire mais aussi auprès de la diaspora africaine (du Congo, Niger, Ghana, Bénin…), qui consomme également beaucoup de manioc. Ensuite, le programme nous a permis d’augmenter la capacité de production à l’aide d’équipements de production (fours, machines, emballages, concasseur, matières premières).

Y. T. : L’accompagnement du programme nous permet aussi d’alléger la charge de travail de notre main d’œuvre. Nos employées travaillent à temps plein mais produisent beaucoup plus. Elles peuvent désormais produire deux conteneurs en l’espace d’un mois, contre un conteneur auparavant. La charge de travail est moins fatigante mais elles gagnent beaucoup plus car cela nous donne la possibilité d’augmenter leurs salaires. Elles comptent beaucoup sur nous et sur cet emploi pour pouvoir gérer leurs familles.

Grâce au programme d’accélération, nous avons pu déployer notre capacité de production, avec une charge de travail moins lourde et moins fatigante pour les employées, et un salaire plus élevé à la clé.

 

Quelles sont les prochaines étapes ?

Y. T. : L’appui du programme nous permet de nous attaquer aux questions environnementales. Nous bénéficions par exemple d’une mission d’assistance technique* pour mesurer l’efficacité de toute notre chaîne de production. Il s’agit d’un accompagnent qui va durer 18 mois. Des consultants travaillent avec nous, font des diagnostics sur nos rouleaux d’étranglement et émettent des recommandations et nous aident à mettre en place des bonnes pratiques pour que Citrine puisse obtenir la certification HACCP[2].

M. D. : A moyen-terme, nous souhaitons consolider le positionnement de Citrine sur le marché local. C’est important pour nous de renforcer la vente de nos produits dans les marchés et supermarchés et contribuer à la sécurité alimentaire en Côte d’Ivoire. Comoé Capital a déjà commencé le boulot, en nous mettant en relation avec des programmes internationaux qui faciliteront la commercialisation de nos produits sur le marché européen, et notre relation avec les petits producteurs.

L’appui du programme nous permet de nous attaquer aux questions environnementales. Nous bénéficions d’une mission d’assistance technique pour mesurer l’efficacité de toute notre chaîne de production.

 

 

Mots-clés

Accélération : Service de mentorat, de financement ou de mise en réseau mis en place par les acteurs privés (fonds d’investissement, incubateurs, etc.) et les bailleurs de fonds adressé aux petites entreprises pour les accompagner dans leur phase de démarrage.

Amorçage : Ensemble des ressources octroyées à une entreprise pour répondre aux dépenses liées à son démarrage (fonds de roulement, dépenses d’exploitation, recherche/développement, achat d’équipement et de technologies) et à sa préparation à la levée de fonds.

Assistance technique : Ensemble des ressources non financières octroyées aux équipes managériales et/ou opérationnelles d’une entreprise pour renforcer leurs compétences dans plusieurs domaines (stratégie, gestion financière et/ou fiscale, commercialisation, production, etc.). Généralement, l’assistance technique se déroule sous forme de formation (individuelles ou collectives) ou de missions d’accompagnement exercées par un expert

 


[1] I&P Accélération au Sahel, lancé en 2020, est un programme déployé par le groupe Investisseurs & Partenaires et financé par l’Union Européenne. Le programme cible 13 pays de la sous-région sahélienne et donne aux jeunes pousses l’accès aux financements et aux compétences nécessaires pour permettre leur développement et ainsi favoriser la création d’emplois décents.

[2] L’HACCP (Hazard analysis Critical Control Point, ou Analyse des dangers et contrôle des points critiques) est la principale plateforme de législation internationale concernant la fabrication pour tous les acteurs de l’industrie alimentaire. L’HACCP a pour objectif de valider la mise en place du système de sécurité alimentaire.

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Les programmes d’accélération : solution miracle pour les très jeunes entreprises ? (1/2)

Capitalisant sur la révolution entrepreneuriale africaine actuellement en plein essor, les acteurs de l’aide publique au développement font de plus en plus le pari de soutenir les nouvelles générations d’entrepreneurs…

Capitalisant sur la révolution entrepreneuriale africaine actuellement en plein essor, les acteurs de l’aide publique au développement font de plus en plus le pari de soutenir les nouvelles générations d’entrepreneurs qui souhaitent contribuer à la création d’emplois et l’émergence d’une croissance plus inclusive sur le continent africain. C’est dans ce contexte que sont nés ces dernières années des programmes, initiatives ou structures se réclamant de « l’accélération » d’entreprises.

Note : La deuxième partie de l’article, s’intéressant au cas concret d’une entreprise ivoirienne accompagnée par un programme d’accélération, sera disponible d’ici une semaine.

L’accélération : un concept prometteur pour les jeunes pousses africaines

Dans le secteur de l’entrepreneuriat, l’accélération se définit comme une prestation de service qui s’adresse aux entreprises en croissance, au moyen de mentorat, de mise en réseau, et parfois de financement. L’emploi du terme accélération pour des programmes et dispositifs recouvre cependant des réalités bien différentes. On peut ainsi côtoyer des « accélérateurs » et start-up studios (à l’instar de GSMA Kenya, ou Flat6Labs Egypt), souvent des structures physiques ou virtuelles dont la majorité se concentre sur les startups de l’économie numérique(1) et est située dans des pays anglophones ; mais aussi des fonds d’investissement qui se définissent eux-mêmes comme des accélérateurs (à l’instar de Catalyst Fund ou Janngo) et/ou développent des gammes d’activités de programmes d’accélération pour diversifier leur portefeuille.

Ces programmes sont principalement financés par des bailleurs de fonds, des organisations internationales ou des donateurs privés (on peut notamment citer West African Trade Investment financé par USAID, ou encore les Orange Corners pilotés par l’Agence néerlandaise pour les entreprises).

À noter que les acteurs physiquement présents sur le continent africain ne sont plus les seuls à proposer ces programmes : dans un contexte mondialisé où l’accompagnement virtuel est largement favorisé, des accélérateurs internationaux, américains, latino-américains, européens, accueillent en leur sein des startups africaines de plus en plus nombreuses. Avant 2020, le célèbre Y Combinator nord-américain n’avait accompagné en présentiel que 12 startups africaines… un chiffre qui a triplé sur les deux dernières années.

Face aux besoins des entrepreneurs, une offre encore largement insuffisante

Cette apparente profusion des programmes d’accélération tend à donner l’impression que les besoins des jeunes pousses entrepreneuriales africaines sont désormais couverts. Une impression trompeuse souvent renforcée par les chiffres en croissance, et pourtant circonscrits à la tech, des levées de fonds venture capital dans une poignée de pays africains (Kenya, Nigeria, Afrique du Sud, Égypte).

Le nombre de jeunes entreprises à soutenir à l’échelle du continent, en phase d’accélération ou en amont lors de la phase d’incubation, est considérable ; alors que l’offre de financements en amorçage (pré-seed/seed) est quasi-inexistante si l’on rapporte le nombre de financements au nombre d’entrepreneurs. Le soutien financier et non financier à leur apporter doit couvrir des besoins pluriels, à la fois généraux et spécifiques, et demande donc du temps, des expertises ancrées localement et un calibrage chronophage et sur-mesure des diagnostics. Accélérer le développement d’une entreprise, ce n’est pas accélérer le temps d’accompagnement indispensable à sa croissance.

Malheureusement, la plupart des programmes financés par l’aide publique au développement ne sont pas suffisamment structurés pour dépasser la contradiction entre le temps nécessaire à allouer à chaque entrepreneur et le nombre de bénéficiaires à cibler. Bien souvent ces programmes ne veulent ou ne peuvent assumer le coût réel d’un accompagnement par entreprise, et prennent donc le risque d’agir uniquement en surface. Les moyens de mise en œuvre sont contraints, face à des réservoirs inépuisables de nouveaux entrepreneurs à appuyer, dont les problématiques de passage à l’échelle ne peuvent pas être résolues exclusivement par un accompagnement généraliste.

L’apparente profusion des programmes d’accélération peut donner une impression trompeuse : le nombre de jeunes entreprises à soutenir à l’échelle du continent est considérable et l’offre de financements en amorçage est encore largement insuffisante

S’inspirer et déployer les bonnes pratiques

Parce qu’il reste encore beaucoup à faire pour garantir le développement de l’entrepreneuriat africain, l’expérience accumulée ces dernières années par les acteurs qui mettent en œuvre des programmes d’accélération doit permettre d’identifier quelques « bonnes pratiques » qui gagneraient à être déployées sur de plus larges géographies :

(1) La segmentation des programmes est une valeur ajoutée

Tout dispositif d’accélération doit intégrer l’idée que coexistent au sein de la notion de ‘’jeunes pousses’’ des entreprises qui n’ont rien de comparable, tant dans leur activité que dans leur localisation ; et qu’à situations locales différentes, accompagnement différencié. La segmentation est donc un véritable atout sur le fond (car on comprend vite qu’une TPE/PME sahélienne dans le secteur agro par exemple, n’aura pas les mêmes besoins d’appui qu’une startup de e-commerce nigériane) et sur la forme (un gain de temps lors de la phase initiale de diagnostic). Elle est aussi une valeur ajoutée au sein des programmes qui privilégient une approche virtuelle et groupée, et qui seront en difficulté pour obtenir les résultats escomptés auprès de publics trop diversifiés.

Les programmes sectoriels, comme ceux dédiés aux entreprises du secteur agro (comme le PCESA financé par la coopération danoise au Burkina Faso), ou les initiatives focalisées sur le genre (comme la W Initiative de Access Bank Nigeria) sont plus à même de cerner les problématiques des entreprises, en plus de mieux appréhender les enjeux d’équité des territoires (urbains, ruraux…). Suivant cette même logique, les objectifs de résultats sont atteints quand le continuum d’accompagnement a été bien pensé. L’incubation en particulier n’est pas interchangeable avec l’accélération tant les besoins des entreprises peuvent différer d’une phase à l’autre(2).

(2) La multiplication de l’impact s’obtient en formant des acteurs intermédiaires locaux indispensables au développement des entrepreneurs

Les structures d’appui à l’entrepreneuriat (SAE) en particulier, mais aussi les experts et consultants indépendants qui doivent pouvoir trouver leur marché au-delà des aides ponctuelles des bailleurs de fonds(3). C’est en concourant à la montée en compétences locales de professionnels africains qu’un plus grand nombre d’entreprises pourront changer d’échelle. Outre Afric’innov, dont c’est la mission première dans les pays d’Afrique francophone, quelques acteurs financiers se sont récemment engagés à combler cet angle mort de l’offre de programmes. On peut notamment citer la collaboration d’Argidius et de Village Capital qui s’efforcent depuis 2020 de concourir à la structuration des SAE en Ouganda (Uganda Ecosystem Builders), et le travail de mentorat puis de financement de SAE effectué par Triple Jump et ses experts en Afrique subsaharienne.

(3) Les dispositifs d’accélération qui mettent à disposition des palettes d’outils complémentaires gagnent en efficience.

En premier lieu, des outils de financements d’amorçage adaptés, qui prennent spécifiquement en compte le manque d’habitude et d’aptitude à la gestion financière. Ces outils peuvent prendre la forme de l’avance remboursable, telle qu’actuellement pratiquée par exemple sur le programme I&P Accélération au Sahel. Elle pose les premiers jalons d’une relation avec un financeur, et permettra probablement de soutenir financièrement davantage de PME par effet de recyclage de l’argent(4).

En second lieu, des outils de renforcement de compétences alternant l’appui généraliste (pour viser la diffusion de compétences entrepreneuriales le plus largement possible) et l’appui ciblé (venture building, assistance technique). L’accompagnement technique de l’entreprise est en réalité tout aussi déterminant que l’appui financier. Les entreprises alumni de Y Combinator ne démentiraient pas que leur croissance doit davantage à l’accompagnement qualifié qu’à un financement initial, même si c’est bien ce dernier qui donne plus de crédit aux conseils prodigués.

Bien que la rareté du financement en amorçage soit un frein non négligeable, l’accompagnement, via le renforcement de compétences et l’assistance technique, est tout aussi déterminant.

Le renforcement de compétences généraliste (formations collectives, bootcamps et ateliers, webinaires etc.) est souvent connu et prisé des bailleurs de fonds, mais l’assistance technique est la grande absente de bon nombre de programmes d’accélération. L’assistance technique, c’est-à-dire la contractualisation avec des experts locaux sectoriels (juridique, commercial, technologique, managérial etc.) est pourtant critique pour l’amélioration des performances des entreprises pendant l’absorption de financements d’amorçage et le développement de leur traction. L’assistance technique est un outil éminemment pertinent quand elle est mise en œuvre par un investisseur, qui souhaitera renforcer l’entreprise là où il perçoit des risques qui ne seraient pas décelés par d’autres types d’acteurs. La plupart des programmes d’accélération incluant le déploiement d’assistance technique affichent des résultats nets : c’est le cas par exemple du Boost Digital de GreenTec Capital, qui propose de l’assistance technique en stratégie commerciale & digitale, et permet une augmentation significative du chiffre d’affaires des startups bénéficiaires.

Quelques écueils à éviter

De nombreux chantiers attendent encore les financeurs de programmes pour intensifier l’impact de leurs dispositifs. Il faudra inévitablement sortir du discours tout-startup pour soutenir aussi les TPMEs « brick and mortar », et repenser l’ancrage de l’accompagnement dans le temps en prenant en compte les phases de montée en compétences incompressibles, coûteuses mais nécessaires pour répondre à des indicateurs de résultats exigeants. Admettre aussi que des taux d’échecs élevés au départ sont normaux, tant les risques initiaux sont importants alors que l’entreprise doit justement déployer son offre, faire ses preuves et trouver son marché. Si l’entreprise survit, grâce entre autres à l’accélération, alors les risques, les besoins de liquidité, de compétence (…) décroissent simultanément.

Il faut également fuir le modèle de concours et de challenges éphémères, sauf à être clair sur leurs finalités (de test de la marque, de visibilité etc.), et favoriser dans les processus de sélection des entreprises hors des circuits connus de « serial pitcheurs », un travail de recherche de « pépites » difficile et convoquant patience et relais locaux. La mise en œuvre de programmes pensés depuis le continent, impliquant des parties prenantes publiques et privées africaines, privilégiant la prise de risque financière locale (les business angels, les entrepreneurs africains notamment alumni des programmes d’accélération souhaitant investir par exemple), deviendra incontournable.

En conclusion, on peut espérer que l’engouement des DFI, bailleurs internationaux, acteurs privés africains pour l’accélération se poursuive et concrétise des aspirations ambitieuses : solidifier les jeunes entreprises puis créer les passerelles intermédiaires avant des investissements en capitaux pour celles qui ont des projets de développement manifestes. Une dynamique indissociable d’une réflexion plus large sur les programmes qui existent plus en amont de l’accélération (programmes d’idéation ou d’incubation). Un effort collectif doit être mené pour continuer d’interroger la qualité de nos outils, les perfectionner au plus près des problématiques des entreprises africaines en croissance.


Notes :

(1) Un aperçu des structures dites accélérateurs est disponible sur les sites Afrikan Heroes et CrunchBase https://afrikanheroes.com/2021/05/29/a-list-of-startup-accelerators-in-africa/ https://www.crunchbase.com/hub/africa-accelerators ainsi que dans les rapports de Briter Bridges 2020 & 2021

(2) Cf étude AFD-Roland Berger « Innovation en Afrique et dans les pays émergents » https://www.afd.fr/sites/afd/files/2018-05-05-57-55/etude-innovation-numerique-afrique-pays-emergents.pdf

(3) Sur ce sujet, voir les études et expériences actuellement menées au Cameroun, au Congo-Brazzaville et au Tchad par des acteurs comme R.M.D.A ou l’Agro-PME Fondation pour mettre en place l’emploi du chèque services, un outil utile pour la formation et l’accréditation des consultants etc. https://www.rmda-group.com/project/tchad-appui-a-la-maitrise-douvrage-du-projet-dappui-a-la-petite-entreprise-phase-2 https://www.adiac-congo.com/content/pme-le-guichet-cheque-services-bientot-operationnel-32125

(4) L’avance remboursable et ses effets feront l’objet d’un article dans ce dossier Accélération.

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Pourquoi la création de l’Agence Africaine du Médicament est une urgence impérieuse

Avec 17 % de la population mondiale, l’Afrique (55 pays, 1,3 milliard d’habitants) supporte une charge de morbidité disproportionnée : elle représente un quart de la morbidité mondiale, 60 %…

Avec 17 % de la population mondiale, l’Afrique (55 pays, 1,3 milliard d’habitants) supporte une charge de morbidité disproportionnée : elle représente un quart de la morbidité mondiale, 60 % des personnes vivant avec le VIH/sida et plus de 90 % des cas annuels de paludisme dans le monde, mais seulement 6 % des dépenses de santé et  moins de 1 % du marché pharmaceutique mondial.

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