Penser et agir pour l’entrepreneuriat en Afrique

Éclairages

Des articles qui permettent de mieux comprendre certains enjeux d’actualité et de fond liés à l’entrepreneuriat africain: le contexte politique, les perspectives économique, des enjeux sociaux-culturels…

Secteur éducatif africain : comment surmonter la crise Covid-19 ?

Entre fermeture des écoles et apprentissage à distance, la crise sanitaire de la Covid-19 a touché de plein fouet le secteur de l’éducation, de la petite enfance à la formation…

Entre fermeture des écoles et apprentissage à distance, la crise sanitaire de la Covid-19 a touché de plein fouet le secteur de l’éducation, de la petite enfance à la formation professionnelle. Nous avons sondé une trentaine d’institutions éducatives africaines pour comprendre, auprès des premiers concernés, les impacts de la crise et les stratégies d’adaptation mises en place.

 

  Un mot de méthodologie avant de commencer…

Le présent article est basé sur les résultats d’un sondage conduit auprès de 36 institutions éducatives africaines.

Les répondants, au nombre de 15, sont majoritairement basés en Afrique de l’Ouest (Côte d’Ivoire, Sénégal, Mali, Burkina Faso, Bénin). Sont également représentées des institutions de Madagascar et du Cameroun. Appartenant au secteur des petites et moyennes entreprises, ces répondants font partie d’une grande variété de segments d’activités : formation professionnelle, éducation supérieure, petite enfance, éducation primaire, éducation secondaire, Ed-tech (technologies de l’éducation), et activités auxiliaires (édition, imprimerie, etc.)

 

Un enjeu principal : le financement

La crise sanitaire représente, sans surprise, un enjeu de taille pour les institutions éducatives interrogées. 53% d’entre elles déclarent un impact négatif, et 13% ont été à l’arrêt. Parmi les différents segments d’activité, celui de la petite enfance est le plus particulièrement touché par la crise (voir notre article “Covid-19 : quels impacts sur le secteur de la petite enfance ?’’)

Les difficultés sont en premier lieu financières, du fait de la difficulté d’opérer un recouvrement des frais de scolarité en période de fermeture des établissements scolaires, à laquelle s’ajoutent la permanence des charges de personnel et de fonctionnement de l’école. L’enjeu des tensions de trésorerie est ainsi celui le plus cité par les répondants, devant les défis des ressources humaines ou de production par exemple [Cf. graphique n°1]. Près de 60% des institutions éducatives ont connu une baisse des revenus liée à la crise sanitaire.

Graphique 1

La situation actuelle, et notamment la fermeture brusque des établissements scolaires a mis en exergue le manque d’infrastructures adaptées à la connectivité au niveau national mais aussi au sein même des institutions éducatives : manque de matériel, classes adaptées, l’absence de contenus en ligne permettant aux étudiants de suivre les cours à distance, le manque de ressources en termes de supports digitaux, l’indisponibilité d’une connexion internet pour plusieurs des étudiants…

 

L’adaptation à la crise et le rôle croissant du digital

La fermeture brusque des établissements scolaires a forcé la grande majorité des institutions éducatives à adapter et repenser leur offre et méthode de fonctionnement. Certaines ont même eu à développer une nouvelle offre. C’est par exemple le cas de KËR Imagination, qui a développé des outils adressés aux parents pour les aider dans l’accompagnement des enfants à la maison. Des changements réalisés en urgence dans le cadre d’une situation inédite, mais qui pourraient devenir permanents pour 47% des institutions interrogées.

Parmi ces changements, le recours au digital et le développement de l’apprentissage en ligne est le plus évident. 60% des répondants ont ainsi utilisé une plateforme digitale comme réponse aux enjeux de la crise de Covid-19 et à la fermeture brutale des établissements scolaires (une plateforme support de contenus pédagogiques et/ou une plateforme d’échanges et de communication avec les étudiants, type Zoom, Teams ou Skype).

On note par ailleurs que cette plateforme a dû être mise en place en urgence pour de nombreuses institutions éducatives, qui ne possédaient pas d’outils numériques spécifiques avant la crise. Ceci a représenté un réel défi pour la poursuite de l’apprentissage : adaptation du contenu, de la pédagogie, des échéances éducatives, maintien de la motivation des étudiants… [Cf. graphique n°2]. Il a fallu également proposer des solutions innovantes aux étudiant(e)s ayant des problèmes de connectivité et/ou ne pouvant travailler depuis chez eux : mise à disposition de la salle informatique de l’institution éducative, impression des supports, financement des connexions internet ou des équipements…

Graphique 2 - les principaux défis liés à la plateforme numérique

Le passage au numérique s’est aussi avéré très difficile, voire impossible, à mettre en place pour certaines institutions, notamment de la petite enfance ou de la formation professionnelle, pour lesquelles l’enseignement à distance n’était pas réalisable. Dans ce cas, la réponse majoritairement donnée a été l’organisation de cours en présentiel, en groupes restreints afin de respecter les gestes barrières. Cette réponse, bien qu’efficace pour ce type de cours, a pu avoir de fortes implications pour les promoteurs : réorganisation de l’espace, achat conséquent de masques et gel hydro alcoolique, désinfection entre chaque groupe…

 

Que restera-t-il de cette adaptation d’urgence sur le moyen et long-terme ?

47% des répondants considèrent que la digitalisation a eu un impact positif sur le contenu offert :

  • La digitalisation a poussé certaines structures à développer de nouvelles offres, et proposer ainsi des contenus plus diversifiés
  • Le passage par le digital a permis d’accéder à un plus grand public, notamment en introduisant des offres de formation continue accessible aux professionnels (qui ont besoin d’une grande flexibilité) et en permettant d’élargir le périmètre géographique
  • Enfin, la digitalisation a permis d’augmenter la capacité d’accueil des institutions de formation, avec une moindre pression sur les infrastructures physiques

En revanche, aucune institution éducative n’envisage dans le futur proche un apprentissage uniquement en e-learning. Mais un modèle d’apprentissage mixte, mêlant e-learning et présentiel devrait se généraliser dans un grand nombre d’institutions éducatives [cf. graphique n°3].

Graphique n°3 | Comment envisagez-vous l'organisation future de votre entreprise ?

 

En conclusion

⇒ Le secteur éducatif, et notamment le sous-secteur de la petite enfance, a été fortement touché par la crise de Covid-19

L’enjeu principal pour ces institutions éducatives est financier, du fait de la difficulté d’opérer un recouvrement des frais de scolarité en période de fermeture des établissements scolaires, à laquelle s’ajoutent la permanence des charges de personnel et de fonctionnement de l’école ayant pour résultat un réel problème de BFR et des tensions de trésoreries non négligeable.

⇒ La situation actuelle, et notamment la fermeture brusque des établissements scolaires, a mis en exergue le manque d’infrastructures adaptées à la connectivité (manque de matériel, classes adaptées etc.)

⇒ Si le digital a plusieurs fois été présenté comme une réponse à la crise de Covid-19, il convient de noter que ce dernier ne représente pas pour ces institutions une option d’apprentissage à long-terme. C’est plutôt l’apprentissage mixte (blended learning) qui pourrait se généraliser.

⇒  Les acteurs interrogés semblent optimistes sur le retour à la « normale » de la situation actuelle. Néanmoins, le secteur est encore mitigé sur la permanence des changements apportés.

 

Pour aller plus loin

Retrouvez nos autres articles du blog sur les enjeux liés au secteur éducatif et la crise Covid-19  :

Covid-19, quels impacts pour le secteur de la petite enfance ?

Les écoles africaines au temps du Covid-19

Aucun commentaire sur Secteur éducatif africain : comment surmonter la crise Covid-19 ?

Les opérateurs de téléphonie mobile trop taxés en Afrique ?

La taxe sur les appels internet via WhatsApp, Skype ou Viber a déclenché de nombreuses protestations au Liban entraînant la crise politique du pays quelques mois plus tard. De nombreux…

La taxe sur les appels internet via WhatsApp, Skype ou Viber a déclenché de nombreuses protestations au Liban entraînant la crise politique du pays quelques mois plus tard. De nombreux autres pays, particulièrement en Afrique sub-saharienne (comme l’Ouganda, la Zambie, ou encore le Kenya) ont instauré ou ont essayé d’instaurer (Bénin[1]) des taxes similaires. Ces expériences illustrent l’arbitrage difficile des États tiraillés entre leur souhait de taxer de nouvelles bases, tout en préservant le dynamisme de l’activité et le niveau d’acceptabilité de cet impôt.

En effet, le secteur des télécommunications est l’un des secteurs économiques les plus dynamiques en Afrique et offre un potentiel important de croissance. En 2017, les taux de pénétration des marchés nationaux étaient plus faibles en Afrique (autour de 45% en moyenne) que dans les autres pays en développement (plus de 60% en moyenne) (données GSMA Intelligence, 2018). Ces chiffres laissent présager d’un rattrapage et d’une croissance importante (Cariolle J, 2021).

Les télécommunications participent au développement économique des pays en réduisant les coûts de transaction et en améliorant l’efficience des marchés (Aker and Mbiti, 2010).

Mais où placer le curseur entre la promotion d’une activité économique par le biais de mesures fiscales et la collecte de recettes fiscales à des fins de financement public ?

Quel design donner à cette taxation qui aujourd’hui prend souvent la forme de taxes spécifiques, habituellement réservées aux alcools et aux tabacs [2] ?

Quel devrait-être le niveau adéquat de taxation des opérateurs de télécommunication ?

Dans la littérature économique, deux approches existent. Pour les uns, le nombre limité d’opérateurs de télécommunications permettrait à ces derniers de tirer une rente de leur exploitation[3]. Leur régime fiscal devrait donc suivre le même principe que celui des industries extractives, comprenant ainsi en plus des taxes du régime de droit commun, des taxes particulières comme la redevance minière, la redevance superficiaire ou encore la taxe sur la rente qui permettraient aux États de capter une part de la rente.

Pour les autres, les opérateurs de télécommunications participent à la réduction de la fracture numérique et donc au développement de nombreux autres secteurs d’activité, ce qui justifierait d’éventuelles incitations fiscales.

Grâce à l’application https://data.cerdi.uca.fr/telecom/ ,nous avons pu estimer la charge fiscale sur les entreprises de télécommunications dans 25 pays Africains[4]. Cette charge fiscale ne prend pas seulement en compte les taxes du régime de droit de commun et les taxes particulières aux télécommunications sous le contrôle du Ministère des Finances (MF), mais également les redevances instaurées par les Agences nationales de Régulation (AR). Nous déterminons le Taux Effectif Moyen d’Imposition (TEMI) pour une entreprise de télécommunication représentative dénommée TELCO en utilisant les données de GSMA Intelligence[5]. Le TEMI représente donc la part que représentent les impôts et taxes payés par TELCO dans ce qu’elle réalise comme flux de trésorerie[6] sur toute la durée de sa licence d’exploitation.

Le TEMI varie considérablement d’un pays à l’autre, de 33% en Éthiopie ou 35% au Maroc à 97% en RDC et même 118% au Niger, avec une moyenne de 64%. L’Ethiopie est le seul pays de notre échantillon à n’avoir pas encore libéralisé son secteur des télécommunications. Les taxes et redevances particulières au secteur représentent une part importante du TEMI, illustrant une certaine imposition par le régulateur et une potentielle concurrence fiscale (une course vers le haut) entre le MF et l’AR.

Un secteur des télécommunications généralement plus taxé que l’activité minière aurifère

Si l’on compare le TEMI de TELCO à celui d’une mine d’or et celui d’une entreprise « classique » (qui ne supporte aucune taxe particulière), les trois entreprises ayant le même niveau de rentabilité avant impôt, la charge fiscale du secteur des télécommunications est plus élevée que celle des mines dans 15 des 19 pays pour lesquels nous disposons des données sur le TEMI.

Graphique 1 : Les Taux Effectifs Moyens d’Imposition (TEMI) pour le secteur des télécommunications, le secteur minier, et le secteur standard.

Les Taux Effectifs Moyens d’Imposition (TEMI) pour le secteur des télécommunications, le secteur minier, et le secteur standard.

source : auteurs

 

Le TEMI du secteur minier varie de 31% au Nigéria à 72% au Tchad. Sa moyenne est de 46% contre 68% pour celui des télécommunications. Dans plusieurs pays, la charge fiscale correspondant à la taxation particulière aux télécommunications dépasse celle du secteur minier. Le secteur minier demeure néanmoins plus taxé que le secteur classique dans tous les pays de notre échantillon à l’exclusion du Nigéria.

Des TEMI plus élevés dans les pays où les taux de pénétration du marché et les PNB par habitant sont les plus faibles.

Les TEMI les plus élevés sont observés dans les pays où les taux de pénétration du marché et les PNB par habitant sont les plus faibles. Ces résultats s’expliquent principalement par le niveau élevé du TEMI relatif aux taxes et redevances particulières. (Rota Graziosi, Sawadogo, 2020)

Graphique 2 : TEMI, taux de pénétration et PNB par tête

Correlation TEMI -Taux de pénétration du marché

Corrélation TEMI - PNB

source : auteurs

 

 

Au-delà du niveau d’imposition mesuré par le TEMI, la forme de l’impôt est importante en termes de recettes fiscales et de développement de secteur des télécommunications. Or les Agences de régulations des télécommunications peuvent lever des taxes ou des redevances particulièrement dommageables à l’activité économique, comme l’a souligné Hausman (1998) dans le cas de la loi américaine sur les télécommunications de 1996. Par ailleurs, ces corrélations peuvent aussi illustrer le fait que les pays plus avancés dans le développement de la téléphonie mobile s’appuient moins sur des taxes particulières à ce secteur. Cette relation pourrait résulter d’un lobbying plus puissant des opérateurs de télécommunication dans ces pays.

Ainsi, dans la plupart des pays du continent africain, la pression fiscale pesant sur le secteur des télécommunications est bien plus lourde que celle exercée sur le secteur minier aurifère et les secteurs d’activité standard sans imposition particulière. Une pratique contre-productive à laquelle il est important de mettre un terme.

Pour aller plus loin : https://data.cerdi.uca.fr/telecom/

 

Notes :

[1] Le décret 218-34 du 25 juillet 2018 instaurait une taxe sur l’usage des réseaux sociaux à un taux spécifique de 5 FCFA par mégabyte, ce qui correspond à 0,009 dollar. Les protestations qui en ont suivi ont poussé le gouvernement à annuler cette taxe quelques mois après.

[2] [2] La taxe est spécifique quand sa base est une quantité (minutes, mégabytes, etc.) plutôt qu’une valeur.

[3] Cependant, un nombre limité de compétiteurs ne conduit pas systématiquement à la réalisation d’une rente comme le montre le cas classique du duopole de Bertrand. Cela signifierait qu’il existe une certaine collusion tacite entre les opérateurs de télécommunications et alors un certain échec dans les processus de régulation du secteur.

[4] Notre analyse concerne 25 pays Africains : l’Afrique du Sud, l’Algérie, l’Angola, le Benin, le Burkina Faso, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, l’Égypte, l’Éthiopie, le Kenya, le Gabon, le Ghana, la Guinée, Madagascar, le Mali, le Maroc, le Niger, le Nigeria, la RDC, le Sénégal, la Sierra Leone, la Tanzanie, le Tchad, la Tunisie, et la Zambie.

[5] Notre approche est proche de celle de Djankov et al. (2010), de l’approche Doing Business de la Banque Mondiale pour une activité économique classique, et de l’approche Fiscal Analysis of Resource Industries du Fonds Monétaire International pour les projets miniers et pétroliers.

[6] Le flux de trésorerie considéré ici est celui avant imposition qui correspond à la différence entre le chiffre d’affaire et les charges d’exploitation et d’investissement.

Aucun commentaire sur Les opérateurs de téléphonie mobile trop taxés en Afrique ?

La digitalisation : une solution pour le développement durable?

Le processus de digitalisation peut contribuer à la croissance des pays en développement (PED), notamment en favorisant l’essor du secteur privé et l’inclusion financière.

Le processus de digitalisation peut contribuer à la croissance des pays en développement (PED), notamment en favorisant l’essor du secteur privé et l’inclusion financière.

Aucun commentaire sur La digitalisation : une solution pour le développement durable?

Covid-19 : quels impacts sur le secteur de la petite enfance ?

Face aux fermetures d’établissements scolaires qui ont eu lieu dans au moins 188 pays autour du monde suite à la crise de Covid-19, beaucoup d’institutions éducatives ont dû mettre en…

Face aux fermetures d’établissements scolaires qui ont eu lieu dans au moins 188 pays autour du monde suite à la crise de Covid-19, beaucoup d’institutions éducatives ont dû mettre en place un système d’apprentissage à distance. Cette réorganisation temporaire de l’activité aura assurément un impact fort et durable sur les structures éducatives.

Si cet apprentissage à distance est parfois complexe, notamment à cause des problématiques de connexion ou de disponibilité des outils informatiques, il l’est encore plus pour le secteur de la petite enfance, compte tenu du risque de surexposition des tout-petits aux outils numériques et l’absence d’autonomie de ces derniers dans leur apprentissage, ce que témoignent les trois acteurs dédiés à ce secteur rencontrés pour cet article.

 

Un apprentissage à réinventer

La crise sanitaire actuelle a forcé les institutions éducatives dans leur ensemble à réinventer et repenser leurs activités. La Coccinelle, un réseau de crèches et d’écoles maternelles en Côte d’Ivoire a ainsi mis en ligne des exercices, des jeux éducatifs, des comptines et quelques activités de graphisme, pré-lecture et de mathématiques pour que les enfants ne perdent pas leurs acquis. Chez Kër ImagiNation, un centre d’apprentissage et de culture pour les enfants au Sénégal, des sessions en ligne par Zoom ont été effectuées en petits groupes pour permettre une meilleure participation des enfants. Au fur et à mesure, les contenus et la façon d’interagir à distance avec les enfants se sont affinés, avec par exemple l’utilisation de marionnettes ou la proposition d’expériences éducatives simples, comme une expérience sur l’eau, que les enfants pouvaient réaliser chez eux avec leurs parents.

L’apprentissage en ligne, bien qu’il soit possible, et parfois même favorable, pour les matières théoriques, ne se prête pas facilement à l’apprentissage pratique. Ainsi, chez La Coccinelle, les parents devaient imprimer les exercices pour permettre aux enfants de travailler sur papier. Car beaucoup de domaines, comme par exemple le graphisme, ne peuvent être appris en ligne. Chez, l’Institut Académique des Bébés au Sénégal, une école de formation diplômante dédiée à la formation professionnelle des métiers de l’Enfance, les matières pratiques représentent environ 45% du cursus des apprenant.e.s. Pour ces matières, l’apprentissage en ligne n’était pas envisageable et des ateliers pratiques ont été réalisés dans les locaux, en petits groupes. Cela a nécessité néanmoins un investissement conséquent pour la promotrice, car c’est toute l’organisation de l’école qu’il a fallu repenser. L’espace a dû être réaménagé, pour respecter le mètre de distanciation sociale entre les apprenant.e.s. Un achat conséquent de masques et de gel hydro alcoolique a dû être réalisé pour équiper les apprenant.e.s et formateurs.rices. Et enfin, entre chaque groupe, une désinfection des locaux s’imposait.

L’apprentissage en ligne, possible et parfois favorable pour les matières théoriques, ne se prête pas facilement à l’apprentissage pratique

 

 

Un apprentissage empli de difficultés

La crise a révélé d’énormes disparités dans le niveau de préparation des pays aux situations d’urgence, l’accès des enfants à Internet et la disponibilité du matériel pédagogique. Ces difficultés rendent difficile le maintien en éveil et l’apprentissage des enfants éloignés de ces outils.  De plus, pour réaliser cet apprentissage à distance, il a fallu souvent former, à la fois les parents et les formateurs.rices, aux outils numériques.

Enfin, l’école à la maison nécessite pour les tout-petits la présence d’un parent ou d’un adulte, à même d’accompagner l’enfant dans son apprentissage. Or les occupations professionnelles de ces derniers n’étaient pas forcément compatibles avec les besoins des enfants. La fermeture des établissements scolaires a laissé les parents en désarroi sur la façon d’accompagner l’apprentissage des enfants à la maison. Consciente de ces enjeux, Karima Grant, fondatrice de Kër ImagiNation, souhaite désormais développer un projet dédié spécifiquement aux parents, afin de les accompagner, à travers une plateforme, dans la parentalité et la pédagogie.

La fermeture des établissements scolaires a laissé les parents en désarroi sur la façon d’accompagner l’apprentissage des enfants à la maison.

 

 

Une même inquiétude : le futur du secteur de la petite enfance et, en conséquence, le futur de ces enfants

Les réalités du secteur de la petite enfance sont particulièrement préoccupantes : en effet, le recouvrement des frais de scolarité est encore plus complexe en période de fermeture des établissements scolaires, auquel s’ajoutent les charges de personnel et de fonctionnement de l’école. Beaucoup d’acteurs de la petite enfance en Afrique Subsaharienne sont aujourd’hui dans une situation délicate, avec beaucoup d’incertitudes pour la rentrée scolaire.

Ces derniers se sentent oubliés par les autorités publiques, alors même que le secteur de la petite enfance est primordial pour le développement et la construction de l’enfant. Au Bangladesh, une étude mise en place par le Strategic Impact Evaluation Fund (SIEF) de la Banque Mondiale a révélé que fournir aux jeunes enfants une année supplémentaire d’éducation préscolaire est un moyen efficace d’améliorer la préparation à l’école pour les filles et les garçons (et surtout les filles). Les chercheurs ont mesuré l’impact d’une année supplémentaire de préscolaire des enfants à l’âge de 4 ans, par rapport à l’année standard d’un an seulement à partir de 5 ans. Au bout de deux ans, les enfants à qui l’on a proposé une année supplémentaire de préscolaire ont obtenu des résultats nettement plus élevés en matière de lecture, d’écriture, de calcul et de développement socio-affectif que les enfants qui n’ont accès à la préscolarisation qu’à partir de l’âge de 5 ans.

Selon Sara Adico, directrice de La Coccinelle, « L’éveil, la simulation et l’épanouissement des enfants ont été relégués au dernier plan. Or si la petite enfance est bien encadrée, elle favorise un bon développement psychique de l’enfant, ce qui est porteur pour toute la nation ».  Les enfants auraient déjà commencé à désapprendre, tant au niveau des compétences (graphisme, dictée…), qu’au niveau psychique (interactions sociales, motricité…), une situation plus aggravée pour les enfants souffrant de problèmes psychosociaux. Selon ces acteurs, si la situation venait à s’éterniser, cela devrait affecter le primaire, le secondaire et enfin le supérieur dans les années à venir, et ainsi représenter un réel problème de capital humain et causer de sérieuses répercussions économiques.

Si la situation venait à s’éterniser, cela devrait affecter le primaire, le secondaire et enfin le supérieur , et ainsi représenter un réel problème de capital humain dans les années à venir

 

Que ce soit pour Sara Adico de La Coccinelle, Karima Grant de Kër ImagiNation ou Fa Diallo d’IAB, la crise actuelle peut être une opportunité de réinventer et de repenser le secteur de la petite enfance. C’est un moyen, pour la communauté éducative de ce secteur, une fois les faiblesses de l’outil numérique comme solution à l’apprentissage à distance pour la petite enfance reconnues, de chercher des solutions innovantes destinées à améliorer la valeur ajoutée à la prise en charge de l’enfant.  Mais pour cela, une réflexion doit être menée avec l’ensemble des parties prenantes (les familles, les institutions publiques, les grands employeurs…) pour trouver et créer des dispositifs favorables à la construction psychologique des enfants. Concernant la petite enfance, il ne convient pas de limiter ses efforts dans le domaine de la santé ou de la nutrition, car l’inexistence de structure de prise en charge de qualité de la petite enfance peut être spécialement dommageable pour le développement psychique de l’enfant et ainsi, à plus long terme, avoir de réelles implications économiques et de capital humain.

 

Pour aller plus loin

Découvrir dans cette série l’article “Les écoles africaines au temps du Covid-19”

Aucun commentaire sur Covid-19 : quels impacts sur le secteur de la petite enfance ?

L’Afrique face à la crise du covid-19 : les priorités pour l’économie africaine de demain

Note : La première partie de l’article est disponible ici. Pour aller plus loin, vous pouvez lire l’article “Affliction, questionnement, crainte et espoirs au temps du coronavirus africain” publié sur…

Note : La première partie de l’article est disponible ici. Pour aller plus loin, vous pouvez lire l’article “Affliction, questionnement, crainte et espoirs au temps du coronavirus africain” publié sur le site de la FERDI.

 

La crise macroéconomique africaine est en train de s’approfondir. Elle frappe les finances publiques, certes, mais elle aussi et surtout les entreprises, et en particulier les plus fragiles d’entre elles. Si le FMI prévoit en 2020 une contraction du PIB de 1.6%, c’est surtout en millions d’emplois perdus, en millions de faillites constatées, et en millions de morts qu’il va falloir faire le bilan, autant sanitaire qu’économique, d’une crise sans précédent.

En pratique, des plans d’ajustement structurels, négociés dans le cadre du FMI, vont se mettre en œuvre pour financer les tours de table nationaux et tenter de relever les économies. Ces plans auront, comme toujours, leurs conditions. La communauté internationale a beaucoup appris des plans des années 1980/90 et de la gestion de la conditionnalité. En même temps, l’Afrique et le monde ont changé depuis ce moment. L’espoir est que cet apprentissage comme ce changement soient bien intégrés dans les politiques publiques qui seront suivies par les pays bénéficiaires, et suggérés par les institutions internationales prescriptrices.

Pour s’en assurer, il faut commencer par parler de la situation stratégique de la planète et de sa répercussion sur l’Afrique en termes de politiques économiques, de la question du secteur privé africain, de la spécificité des pays pétroliers, et de l’enjeu environnemental. Il faudra aussi traiter de la question essentielle de l’adhésion.

 

Le monde d’hier n’est pas le monde de demain.

Le monde de 2021 ne sera pas tout à fait le même que le précédent, même s’il est impossible d’en prévoir les contours. Mais on peut imaginer que les pays occidentaux vont vouloir raccourcir les chaines de valeur. Ils voudront créer ou maintenir des capacités stratégiques de production sur leur territoire, national ou élargi, comme l’Europe. Ce mouvement va renforcer les grandes tendances qui commençaient à émerger dans les premières années du vingt-et-unième siècle : robotisation d’un côté, déficit des balances des paiements américaine et européenne de l’autre se combinaient avec un renchérissement des coûts de productions en Chine et en Asie émergente pour rendre problématique des stratégies de développement « à l’asiatique », fondées sur les exportations manufacturières (Chine) voire de services (Inde). Nous allons sans doute assister à une accélération du rapatriement des capacités de production industrielle sur le sol des pays de l’OCDE et à un renforcement du « consommer local », qui va affecter notamment l’alimentaire.

Dans ce contexte, l’Afrique, surtout subsaharienne, doit davantage parier sur son marché domestique continental, régional ou national. C’est son meilleur atout dans ce monde si incertain. C’est aussi une place macro-économiquement logique. Ce marché est en effet en croissance massive et certaine. Il est propulsé par l’accélération de la transition démographique qui débouche sur un dividende démographique dont le continent doit capturer les bénéfices.

L’Afrique subsaharienne doit davantage parier sur son marché domestique continental, régional ou national. C’est son meilleur atout dans ce monde si incertain.

Bien entendu, certaines niches à l’exportation vont demeurer intéressantes. C’est le cas par exemple dans le domaine agricole, où le « consommer local » ne va pas épuiser tous les mouvements commerciaux lointains, notamment dans le domaine du végétal. Cela sera d’autant plus productif que le continent parvient à grimper dans l’échelle des valeurs et incorporer plus de valeur ajoutée dans ses exportations. D’autres sous-segments agricoles et certains produits industriels (textile…) fourniront des opportunités : l’Afrique peut occasionnellement prendre la place de la Chine et de certains pays asiatiques dans ces chaines de valeur destinées à ces derniers pays ou aux pays de l’OCD, comme l’Ethiopie le montre, malgré toutes limites qu’il faut accorder à cette dynamique.

Enfin, le domaine des services reste largement ouvert : l’évolution de la démographie européenne va la rendre structurellement demanderesse de main d’œuvre faiblement qualifiée, via l’immigration, mais aussi, de plus en plus, de services à distance, y compris qualifiés. Le rapatriement de capitaux de migrants et l’exportation de services ont également une part importante à jouer dans une économie africaine qui monterait progressivement en compétences grâce à son investissement dans l’éducation.

Les futurs programmes d’ajustement structurels doivent s’appuyer sur ces observations. Ils ne doivent pas demeurer prisonniers de la conception des politiques du XIXème siècle qui demeurent trop souvent les mantras des prescripteurs.

 

Changer les logiciels de politique publique, c’est maintenant.

Ces derniers font toujours trop de place à la pression sur les coûts de main d’œuvre ou les ajustements monétaires à la baisse, en présupposant l’efficacité supérieure d’un modèle d’industrialisation par l’export qui a fait le succès de l’Asie en un autre temps. Les priorités de l’économie africaine de demain sont dans la qualité de la main d’œuvre (santé, éducation…), qui aidera l’expansion des services domestiques comme internationaux. Mais c’est surtout dans le renforcement du marché domestique, continental, régional et national qu’il faut investir. L’alimentaire, le manufacturier léger, la techno, les services, la distribution, le bâtiment et les travaux publics… sont les secteurs clés de ce nouveau secteur productif.

Une des grandes caractéristiques des ajustements structurels des années 1980/90 avait été leur concentration sur la compétitivité extérieure. Cet accent avait abouti en pratique à une désindustrialisation des économies africaines, dont le secteur productif était inadapté et inefficace. La disparition de ce dernier est une des raisons pour lesquels les ajustements structurels ont été si longs : il n’y avait personne ou plus personne pour réagir aux améliorations des cadres macroéconomiques ou institutionnels… Les promoteurs des plans d’ajustement structurel de l’époque ont présupposé à tort que les structures industrielles mourantes seraient remplacées spontanément par un nouveau secteur privé du moment où l’environnement de ce dernier serait amélioré et sa compétitivité prix restaurée, via notamment les dévaluations. Il a en fait fallu tout le long chemin des deux premières décennies du XXIème siècle pour voir réapparaitre un secteur privé national sain, dynamique, inventif, aidé par une nouvelle dynamique de construction d’infrastructure et d’accroissement de la dépense publique. Ce secteur privé local, formel et informel, a été un des moteurs de croissance significatif du continent de ces dernières années, mais surtout un agent de transformation sociétal majeur.

C’est ce secteur privé national, surtout formel, car particulièrement fragile, qui est un enjeu essentiel des politiques publiques à mettre en place. Mais il est le grand absent des premières réflexions autour de la lutte contre la crise et de la relance économique. Celles-ci se concentrent sur la réponse aux défis de la pandémie, comme nous l’avons déjà signalé, et sur la macroéconomie, avec l’arrière-plan de la préservation des budgets sociaux. Or, le secteur privé africain souffre de manière considérable. Composé essentiellement du secteur informel, ainsi que de PME et de start-ups, il a subi de plein fouet l’arrêt de l’économie mondiale. Il va être frappé directement par la baisse de la demande domestique qui risque maintenant d’intervenir. Sa trésorerie est exsangue. Sa composante formelle est particulièrement à risque : contrainte par la réglementation fiscale et sociale, elle ne dispose pas des mêmes marges de manœuvre que le secteur informel. Or, c’est sur elle que repose le financement futur de la dépense publique nationale. C’est une affaire de mois, ou d’une année, avant que sa capacité de rebond soit largement anéantie. En peu de temps, vingt ans de progrès peuvent être mis à bas. La conséquence en sera une difficulté considérable à reprendre rapidement un cours de croissance économique acceptable.

C’est ce secteur privé national, surtout formel, car particulièrement fragile, qui est un enjeu essentiel des politiques publiques à mettre en place. Mais il est le grand absent des premières réflexions autour de la lutte contre la crise et de la relance économique.

Traiter les enjeux de ce secteur privé national est certes complexe dans le détail mais en fait simple dans les grandes orientations.

Il faut d’abord éviter qu’il ne devienne encore plus que ce n’est le cas traditionnellement le financeur des Etats via l’accumulation d’arriérés intérieurs vis-à-vis de lui. Historiquement, ce point a été l’objet de peu d’attention des décideurs publics et encore moins des institutions internationales. La priorité doit être renversée : les créanciers intérieurs doivent bénéficier d’une priorité sur les créanciers extérieurs, qui bénéficient d’autres possibilités pour gérer leur stabilité.

Il convient ensuite d’accorder une attention prioritaire à diriger le secteur bancaire commercial vers les PME. Cela peut se faire au travers du traitement conditionnel de leurs fonds propres, de leur refinancement, ou des garanties qui peuvent les soutenir. La microfinance a un rôle majeur à jouer dans ce moment, car elle est le soutien direct du secteur informel. Or sa santé financière est gravement menacée. C’est un compartiment du secteur bancaire qui mérite un traitement particulièrement dynamique.

Enfin, les pays africains ne disposent pas des instruments publics d’intervention direct au bénéfice des PMEs, comme beaucoup de pays industriels, telle la KFW allemande ou la BPI française, pour ne citer que celles-ci. Il est pourtant nécessaire de mobiliser des fonds privés et publics directement vers les entreprises de qualité susceptibles de survivre à la crise, à travers des instruments capables de traiter finement le secteur industriel. Les fonds d’investissement opérant sur le continent peuvent être un tel instrument, comme certaines banques régionales efficaces, telles la BOAD en UEMOA.

Dans ce contexte global, les pays pétroliers méritent une approche spécifique. Nul ne sait certes ce que sera le cours du baril à long terme, mais nous sommes obligés aujourd’hui d’envisager le cas où il demeurerait très bas durant un long moment. C’est dramatique pour les pays producteurs, qui devront faire notamment face à un ajustement macroéconomique majeur. Les plus grandes économies du continent, comme le Nigéria ou l’Angola, sont concernées, mais aussi le plus gros de l’Afrique Centrale, par exemple.

C’est le moment de centrer totalement les plans d’ajustement structurel sur la mise en compétitivité durable de ces pays. En termes pratiques, le secteur productif national des pays pétroliers devrait être préservé de l’ajustement. Des mesures structurelles de compétitivité devraient être au premier rang des conditions des futurs plans d’ajustement structurel. Il est légitime que les futurs revenus pétroliers financent la charge de la dette contractée dans ces plans, stérilisant ainsi les impacts devise et focalisant les pays sur leur secteur productif national.

Le pétrole est un malheur déguisé. Il faut espérer que la plongée des cours dissuade les pays candidats à l’accès à ce statut de devenir des économies pétrolières. Rentrer dans cette économie pétrolière revient hélas à céder au mirage qui a tant fait pour réduire trop d’économies africaines au rang de sociétés rentières, pauvres et inégalitaires à la fois, corrompues et inefficaces simultanément. Le salut de l’Afrique n’est pas dans le pétrole, mais dans la compétitivité d’un secteur industriel, agricole et de services, capable de nourrir et faire prospérer des marchés domestiques à la progression unique dans l’histoire de l’humanité. C’est dans cette direction que les programmes des pays pétroliers doivent se réorienter, au travers d’une structuration rigoureuse de la conditionnalité des prêts qui leur seront octroyés.

La question environnementale, dans ses trois piliers que sont le carbone, la biodiversité et la santé (déchets, eau, air…) doit enfin avoir une place première dans les futurs programmes d’ajustement. Ce ne fut pas le cas dans ceux du XIXème siècle. Le point de départ est dans la reconnaissance que la qualité environnementale d’aujourd’hui est la compétitivité de demain. Ceci implique d’accepter beaucoup d’arbitrages de coûts intertemporels. Le coût de l’argent d’aujourd’hui autorise ces arbitrages. La crise du coronavirus ne change pas une réalité qui s’était imposée ces dernières années.

Le moment présent crée cependant une difficulté majeure : les prix du pétrole vont menacer le grand élan vers les énergies renouvelables, centralisées comme avec l’hydroélectrique, ou décentralisées comme avec le solaire. Le spectaculaire modèle énergétique autonome, vert et décentralisé que l’Afrique commençait de créer risque d’être mis à mal par du pétrole à 20 dollars le baril. C’est le moment de solutions audacieuses, comme, par exemple, l’imposition de taxes aux frontières sur le pétrole importé, ou de TVA sur les produits carbonés. Elles pourront financer une combinaison de désendettement public, de subvention de consommation aux plus pauvres, de soutien au secteur productif local ou aux services publics sociaux, ou enfin de l’énergie renouvelable, selon les préférences et la politique locales. C’est aussi le moment de prendre en compte les considérations environnementales dans les politiques macroéconomiques. Ainsi, les dévaluations ont des impacts sur la déforestation et la biodiversité. Comprendre, pour le FMI et la Banque Mondiale, que les politiques macroéconomiques doivent être évaluées dans un cadre plus large que le PIB et la balance des paiements est un effort qui doit être soutenu par tous les pays membres de ces institutions.

 

Pas de politique efficace sans appropriation.

Mais le sujet essentiel des programmes d’ajustement structurel est leur appropriation. Celle-ci est particulièrement sujette à caution dans un contexte où, d’ores et déjà, les opinions africaines pointent du doigt vers la Chine et l’Europe, considérées comme les auteurs des maux qui les affligent. Les conditions des programmes macroéconomiques courent un risque fort de ne pas être perçues comme légitimes. Elles pourraient être vues comme une seconde punition injustifiée. Ceci sera surtout le cas si, par leurs volets relatifs au secteur privé ou à la libéralisation commerciale, elles faisaient le jeu des entreprises et des banques privées internationales.

Il faut le dire avec force. La conditionnalité de l’ajustement structurel des années 2020 ne sera légitime et en pratique appliquée, dans le contexte géopolitique concret de la crise du coronavirus, que sous trois conditions : si elle joue au bénéfice du secteur productif national ; si elle est correctement financée ; si elle prend place dans une reconnaissance collective de la co-responsabilité générale des maux qui nous frappent.

A défaut, la conditionnalité nouvelle donnera lieu à une nouvelle crise de dialogue politique entre l’Afrique et le reste du monde, Chine et Europe au premier rang. Elle fera le jeu de tous les extrémistes, elle renforcera notamment les mouvements islamistes dans le Sahel, et elle nourrira sur le continent une nouvelle vague de populisme nationaliste. Elle aboutira, en fin de compte, à des échecs macroéconomiques, à un appauvrissement du continent, à l’annulation massive des encours de dette, et une alimentation accrue des mouvements migratoires comme de la conflictualité et de l’instabilité. Personne ne peut vouloir ce destin. C’est pourquoi, au-delà de la correcte alimentation financière des programmes, il est important de passer du temps sur le dialogue, tout particulièrement entre Chine, Europe et Afrique, les acteurs principaux de ce jeu. Il est nécessaire que la vision globale comme les mesures spécifiques des ajustements structurels soient partagées le plus possible, la conditionnalité acceptée et les politiques vues comme justes.

Recherche économique, sociale et politique, comme dialogue intergouvernemental et de société à société sont indispensables pour construire cette vision partagée, le plus possible, sachant que les conflits ne seront pas tous évités. Dans un monde encore confiné et où la distanciation sociale va encore régner un certain temps, il faut investir dans le rapprochement culturel et politique. Institutions publiques, fondations, personnes physiques, sociétés, nous sommes tous appelés à nous impliquer.

 


Pour aller plus loin

Aucun commentaire sur L’Afrique face à la crise du covid-19 : les priorités pour l’économie africaine de demain

L’Afrique face à la crise du covid-19 : l’urgence d’une réponse de la communauté internationale

Note : La seconde partie de l’article est disponible ici. Pour aller plus loin, vous pouvez lire l’article “Affliction, questionnement, crainte et espoirs au temps du coronavirus africain” publié sur…

Note : La seconde partie de l’article est disponible ici. Pour aller plus loin, vous pouvez lire l’article “Affliction, questionnement, crainte et espoirs au temps du coronavirus africain” publié sur le site de la FERDI.


En Afrique, la crise économique précède la crise sanitaire, voire la remplace.

Le nombre de cas que connait le continent est en effet modeste. En ce début du mois de juin 2020, on recense en effet environ 205000 cas, avec seulement environ 5600 décès. Même si les statistiques sous-estiment sans doute la situation, l’observation de terrain de parvient pas à contester le constat général. La vague reste peut-être à venir, certes, et relâcher la vigilance serait imprudent. Les mois qui viendront nous diront, si la situation perdure, quelles en sont les vraies causes : les politiques publiques ? La structure démographique du continent ? Des facteurs biologiques ?

Mais devons-nous pour autant sabler une victoire sur le destin ?

Non.

 

Ne pas être malade, ce n’est pas être bien portant.

En effet, si la crise sanitaire ne se manifeste pas à la hauteur attendue, au moins pour l’instant, la crise économique et financière est bien là. Le FMI prévoit un recul global de la croissance de 1.6%, une première dans ce continent. L’année 2021 sera également médiocre. Les meilleures économies du continent, celles qui sont le plus centrées sur leur marché intérieur, éviteront peut-être de justesse un recul des PIB par habitant. Les économies pétrolières verront le leur, une nouvelle fois, plonger. C’est de cette contre-performance économique, importée de l’extérieur, que des millions d’africains vont mourir, plus que de la pandémie. Mortalité et morbidité sont en effet principalement liées en Afrique à la croissance économique. C’est aussi de cette crise macroéconomique que nombre de petites entreprises risquent de mourir aussi, tuant, de leur côté, l’emploi.

C’est de la contre-performance économique, importée de l’extérieur, que des millions d’africains vont mourir, plus que de la pandémie.

Les raisons de ce cheminement sont puissantes.

Dans un premier temps, les chaines logistiques articulées avec la Chine se sont en effet brutalement interrompues. Elles ont mis à l’arrêt des milliers d’entreprises africaines dépendantes de pièces détachées ou d’intrants spécifiques. Les marchés chinois et européens se sont aussi fermés du jour au lendemain. Ils ont laissé sans activité un nombre considérable d’entreprises exportatrices. Le tourisme s’est interrompu brusquement. La fermeture des marchés de capitaux a interdit les levées de fond et jeté à fond de cale beaucoup de start-up techno, alors même que leur contribution à l’économie était particulièrement pertinente en ce moment précis. Cet arrêt a aussi touché nombre d’entreprises en croissance rapide et nécessitant l’accès à des capitaux pour alimenter une expansion forte. Enfin l’effondrement brutal des prix du pétrole et des produits miniers s’est immédiatement répercuté sur la dépense publique dans les pays qui vivent essentiellement de ces activités. Dans le cas du Nigéria, l’onde de choc s’étend à tout son environnement régional.

C’est donc un gigantesque choc de la demande externe, comme de l’offre, qui affecte d’abord l’Afrique entreprenante, la partie la plus dynamique du continent, celle qui demeure le moteur le plus robuste de sa transformation de long terme. La chute brutale des prix du pétrole secoue aussi tout le secteur des énergies renouvelables. Elle fait peser une ombre profonde sur l’espoir de développement d’une économie africaine décarbonée. Cette dernière était une des grandes lumières des deux premières décennies de ce siècle, grâce notamment au monde bouillonnant de l’énergie décentralisée solaire.

Au choc de l’offre et de la demande internationale commence à succéder un choc de demande domestique. Petit à petit, les chaines logistiques chinoises se réouvrent en effet. Quelques marchés d’exportation, timidement, redeviennent accessibles. Au rythme du redressement progressif des économies industrialisées, et de la Chine, ce processus va toutefois se faire avec une certaine lenteur. Le rythme de relance de la demande mondiale est rendu incertain par les paramètres mêmes de résolution de la crise sanitaire comme par l’efficacité des plans de relance chinois et occidentaux.

Pendant ce temps, les pays africains sont affectés par une chute massive de leurs recettes publiques, en provenance des droits de douane comme de la fiscalité des entreprises. Les sorties de capitaux et peut-être la baisse des retours de capital des migrants vont affecter la balance des paiements, affaiblie par l’interruption des exportations, de matières premières et de pétrole, comme de produits agricoles ou industriels. Contraction budgétaire comme des capitaux vont donc s’abattre sur les pays, avec leurs conséquences inéluctables : réduction des dépenses publiques, pénurie de devises, dévaluation (hors zone CFA/ECO), inflation.

Le choc va être profond. Il affectera non seulement les infrastructures mais aussi les services sociaux comme la santé et l’éducation. Il impactera également la capacité des pays confrontés au défi terroriste, comme au Sahel, à contrôler leur terrain et rétroagira donc directement sur le monde extérieur en termes de sécurité et de migrations.

Il existe en effet une différence massive entre les pays industrialisés, dont la Chine, et les pays africains, dans ce moment.

Les premiers ont fait le choix de reporter la continuité de leur dépense publique, de leur relance économique et de leur approvisionnement en devises sur deux acteurs : des marchés financiers d’un côté, qui demeurent avides de placer leurs liquidités à des taux très bas, et des banques centrales de l’autre, qui deviennent, directement ou indirectement, les premiers créanciers des gouvernements. Parions que ces dernières viseront à maintenir des taux bas, et à prévenir une crise financière. Les pays industrialisés vont, il faut aussi le parier, rejeter en fin de compte le coût financier de cette politique de stabilisation sur une très longue période, ou dans la création monétaire, dans un contexte où le retour de l’inflation est peu probable.

Ces options ne sont pas ouvertes, ou considérablement moins ouvertes, aux pays africains. L’inflation est un risque très important dans des économies africaines souvent fermées et qui connaissent pour beaucoup déjà des rythmes élevés de hausse des prix. Elle aussi particulièrement ravageuse pour les pauvres. Elle entretient un lien très direct sur le continent avec la dépréciation monétaire, liée à la création monétaire. Les banques centrales ne vont donc pas avoir les mêmes options en Afrique que dans l’OCDE. En ce qui concerne la dette, les pays africains n’ont pas non plus la possibilité de recourir aux marchés financiers, d’ores et déjà fermés pour eux, ou seulement de manière marginale. On parle déjà d’un nouveau « club de Londres », qui fermera à nouveau pour de nombreuses années l’apport de capitaux privés aux gouvernements. Les États africains n’ont nulle autre ressource que d’aller chercher le soutien de leurs partenaires publics de l’OCDE et de la Chine.

 

Être généreux, c’est rentable.

Ces derniers doivent ils accorder le soutien budgétaire et de balance des paiements massif dont le continent a besoin ? Ceci revient au fond à faire supporter le coût de ce soutien, via le déficit budgétaire de pays industrialisés, aux marchés de capitaux internationaux sur lesquels ils se refinancent, et à leurs propres banques centrales. Ceci se ferait à un moment où les déficits budgétaires des pays industrialisés explosent et où les opinions publiques, si elles soutiennent massivement les plans de relance nationaux, expriment une grande angoisse vis-à-vis de l’accroissement de la dette.

Malgré ces craintes des opinions publiques des pays industrialisés, la réponse doit être oui, pour trois raisons. Elle doit s’accompagner d’une condition, pour faire sens.

La première raison est que nous parlons de volumes raisonnables à l’échelle de la macroéconomie africaine. Si l’on aligne les besoins de ce soutien sur l’ampleur des paquets financiers décidés par les pays occidentaux pour leurs propres besoins, de l’ordre de 300 milliards de dollars en 2020/2021 seraient adaptés, soit six fois le montant annuel actuel de l’aide publique au développement accordée au continent.

Certes, une partie significative de cet argent devrait être allouée sous forme de prêts à la balance des paiements, et pas seulement au déficit budgétaire, augmentant l’endettement moyen du continent de l’ordre de 10% du PIB (beaucoup plus pour certains pays). Cette perspective n’est pas irraisonnable si une croissance vive succédait à cette période d’ajustement structurel, avec non seulement des taux supérieurs au coût de la dette, mais, encore mieux, des taux de croissance du PIB supérieurs à 6%. Ceci permettrait à la fois des gains significatifs de bien-être pour les populations les plus pauvres, mais aussi une alimentation budgétaire importante des Etats concernés. Cela rendrait la dette (si elle est accordée à taux faible) soutenable. Cette augmentation de l’endettement des Etats doit néanmoins être accompagnée d’un accroissement de l’aide au développement en subvention pour les pays les plus fragiles et les moins solvables.

La seconde raison est que le coût d’un plan de soutien à l’Afrique est très modeste au regard des efforts que les grands pays industrialisés sont en train de consentir pour leurs propres besoins. Il pèsera de manière dérisoire sur leur endettement.

Le PIB nominal cumulé de l’UE, de la Chine et des USA est en effet de l’ordre de 53000 milliards de dollars. Un vaste plan de soutien de l’ordre de deux années du PIB nominal de l’Afrique, soit environ 600 milliards, ne représenterait que 1.1% de ce PIB cumulé. Cet effort pourrait se répartir entre allègement de dette (à manier avec précaution) et nouveaux apports de dette et de dons. Il est impératif que la Chine soit partie prenante significative de cet effort, compte tenu de son rôle dans l’endettement africain. Non seulement ce pays doit être moteur dans la gestion de la dette, mais il est crucial qu’il participe aux apports nouveaux de capitaux. Dans les cas contraire, l’Europe, par exemple, contribuerait par ses apports, si elle était seule, à reconstituer la solvabilité de l’Afrique au bénéfice de la Chine, même si cette dernière faisait un effort en tant que créancier. En gros, l’effort de refinancement de l’économie africaine sera largement noyé dans la considérable augmentation de la dette des pays de l’OCDE et du bilan de leurs banques centrales.

Ajoutons que ce poids pourrait être encore réduit, si la communauté internationale acceptait de déverrouiller une augmentation significative de droits de tirage spéciaux au FMI au bénéfice de l’Afrique. Le DTS ne résolvent pas forcément les problèmes budgétaires. Mais ils ont en tous cas un impact immédiat sur les contraintes de balances de paiement, et ces dernières impactent directement les taux de change et l’inflation dont une évolution négative sera extraordinairement dommageable en termes de pauvreté.

La troisième raison est que cet effort est rentable. La croissance attendue pour l’Europe, même avec du rattrapage, ne pourra pas dépasser son potentiel de moyen terme, et ce dernier n’est sans doute pas supérieur à 2%. On peut attendre de la croissance africaine bien mieux. La croissance africaine moyenne, pays pétroliers et non pétroliers compris, peut-être de l’ordre de 4% si les prix des matières premières demeurent dépréciés. Elle peut s’apprécier notablement si ces derniers reviennent à de meilleurs niveaux, ce que certes personne ne peut prévoir, tant ils dépendent à la fois de l’état de l’économie mondiale, mais aussi des politiques de l’OPEP, des USA et des autres producteurs. Cette croissance percolera dans les importations adressées par l’Afrique au reste du monde (elles ont été particulièrement dynamiques ces dernières années), ce qui jouera un rôle contracyclique. En caricaturant quelque peu, on pourrait montrer que l’Europe, par exemple, a sans doute plus intérêt à investir dans la reprise africaine et des populations avides de consommer et d’investir et d’épargner, que dans sa propre reprise. L’argument a bien entendu ses limites et ses risques, mais ces derniers ne le réduisent pas à néant. Ceci est d’autant moins le cas que, comme il l’a déjà été indiqué, les bénéfices de ce soutien à une dépense publique de qualité en Afrique ne sont pas uniquement économiques. Ils tiennent aussi aux intérêts, particulièrement européens, en matière de sécurité et migration.

Une condition essentielle doit être mise à cette entreprise de refinancement des économies africaines. Elle doit se faire soit sur subventions, soit à des conditions d’endettement symétriques aux coûts d’endettement des pays industrialisés. Ces coûts sont très faibles actuellement, et le demeureront sans nul doute. Une des meilleures choses que les pays industrialisés puissent faire est de « passer » leurs conditions d’emprunt aux pays en développement les plus pauvres, avec en tête un argument économique (nous venons de le faire) mais aussi un argument moral : ce sont eux qui ont retransmis la pandémie à l’Afrique, c’est la Chine qui a dérobé les pangolins vecteurs de cette dernière au continent africain, même si ce dernier a joué son rôle dans cette exportation involontaire. Ils peuvent le faire bilatéralement, ou multilatéralement, en donnant les moyens aux grandes institutions financières comme la Banque Mondiale ou la Banque Africaine de Développement de déployer leurs moyens de manière dynamique.

 

Tout cela, le ferons-nous ?

Les premiers pas de réponse de la communauté internationale ont été mesurés. C’est donc l’anxiété qui demeure sur cette prise de conscience. Au niveau multilatéral comme au niveau bilatéral, beaucoup d’efforts ont été concentrés en un premier temps, de manière bien compréhensible et légitime, sur la dimension sanitaire de la situation. Il est certain que la capacité des pays africains à gérer la santé publique (masques, tests…) doit être renforcée, et que leur capacité de traitement des cas graves doit considérablement augmentée (lits de réanimation, respirateurs…), de même que leurs ressources humaines. Mais ceci ne représente qu’une face modeste et première de ce que doit être la réponse à la crise du coronavirus en territoire africain.

Même dans des scenarii sombres, comme nous l’avons évoqué, beaucoup plus de personnes tomberont malades et mourront du fait de l’effondrement de la croissance économique africaine que du coronavirus, surtout si les mesures de gestion de l’endémie sont efficaces. La réponse à la crise économique est essentielle pour réduire la vraie crise sanitaire, profonde et globale, qui risque de frapper le continent.

Les pays du G20 ont fait les premiers pas dans la bonne direction. Ils ont décidé en Avril 2020 un report d’échéances de la dette publique africaine. Ce geste doit être salué. Il ne fait toutefois qu’égratigner la surface du problème, tant en ce qui concerne les volumes concernés que l’impact macroéconomique de moyen terme. Cette dette reste due. Les institutions de financement du développement sont aussi dans l’expectative : doivent-elles, dans ce contexte, continuer à prêter ? Doivent elles embarquer un niveau de risque supérieur dans leurs bilans ? La réponse doit être aussi oui, sans hésitation, et, oui, les Etats ne doivent pas hésiter le cas échéant à garantir leurs banques de développement au cas où leurs bilans seraient affectés.

C’est donc à un renouveau de la période de l’ajustement structurel que nous nous devrions nous préparer, un ajustement structurel dont il faut espérer qu’il sera, quantitativement et qualitativement meilleur que celui qui s’est abattu sur l’Afrique dans les deux dernières décennies du siècle précédent.

 


Pour aller plus loin

Aucun commentaire sur L’Afrique face à la crise du covid-19 : l’urgence d’une réponse de la communauté internationale

Éducation des filles, émancipation des femmes

Aujourd’hui, de nombreuses jeunes filles rencontrent des barrières importantes concernant l’accès à l’éducation – primaire, secondaire et supérieure –, l’obtention d’un emploi décent et rémunérateur, l’accès aux financements… Leur éducation…

Aujourd’hui, de nombreuses jeunes filles rencontrent des barrières importantes concernant l’accès à l’éducation – primaire, secondaire et supérieure –, l’obtention d’un emploi décent et rémunérateur, l’accès aux financements… Leur éducation est souvent jugée non prioritaire, quand elle est en réalité un premier pas vers leur émancipation et leur autonomisation.

 

Une formation inclusive, pertinente et de qualité…

L’Afrique subsaharienne compte 30 millions d’enfants exclus du système scolaire. Les filles, les populations rurales et les communautés marginalisées sont particulièrement touchées. Un des obstacles les plus persistants à la scolarisation des filles est la faible valeur accordée par la société à leur éducation. Lorsque la scolarité n’est plus obligatoire, les familles n’inscrivent pas leur fille, non seulement pour des raisons financières, mais aussi en raison de normes sociales (maintien des filles à la maison, mariage et maternité précoces, infrastructures scolaires inadéquates, discriminations, etc.)

L’éducation primaire a bénéficié d’un soutien important des gouvernements et de l’aide au développement. Des progrès considérables ont alors été réalisés. En Afrique Subsaharienne, 34 % des pays avaient atteint la parité en ce qui concerne l’enseignement primaire en 2017. En revanche, cette performance tombe à 21% pour le premier cycle du secondaire, 5% pour le deuxième cycle du secondaire et même 0% pour l’enseignement supérieur[1]. Faute de moyens financiers et humains suffisants, l’éducation supérieure a fait l’objet de moins d’attention, alors même que les besoins sont immenses et les inégalités de genre criantes.

Pour devenir de véritables actrices du développement de leur région et de leur pays, les jeunes filles et jeunes femmes ont besoin d’un accès continu à une éducation pertinente et de qualité. Des programmes de « seconde chance » à destination des femmes et des jeunes femmes vulnérables, qui n’ont pu bénéficier d’une éducation suffisante pour leur permettre émancipation et autonomisation peuvent être envisagés. Dans ce sens, l’ONU Femmes développe son programme « Second Chance Education and Vocational Learning (SCE) » visant à soutenir les femmes et jeunes femmes marginalisées, n’ayant pu bénéficier d’une éducation et risquant d’être laissées pour compte. Ce projet vise à développer des parcours d’apprentissage, d’entreprenariat et d’emploi adaptés au contexte, abordables et évolutifs, afin de permettre l’émancipation des femmes et jeunes femmes les plus défavorisées du monde.

Il s’agit également de faire évoluer les mentalités : développer des contenus éducatifs qui soient neutres au niveau du genre et mettre en place des actions de sensibilisation destinées à changer la perception que peuvent avoir, à la fois les hommes et les femmes, sur les perspectives de carrière ouvertes aux jeunes femmes.

 

… permet l’accès à des opportunités économiques…

Des différences sensibles entre hommes et femmes sont apparues sur le marché du travail, selon le secteur d’activité, la profession et le type d’emploi (ségrégation verticale et horizontale relative au genre). Les femmes travaillent fréquemment dans des secteurs où les formations susceptibles de permettre une évolution de carrière ou un changement de métier sont plus rares. L’Afrique est la deuxième région du monde la moins égalitaire en termes de participation des femmes à l’économie formelle. Près de 90% des femmes employées sur le continent travaillent dans l’économie informelle, contre 83 % des hommes[2].

La participation des femmes au monde du travail et leur ascension professionnelle se heurtent en outre à des obstacles considérables qui sont le fruit de cultures et de pratiques sectorielles et organisationnelles dominées par des valeurs, des convictions et des modes de comportement (encouragés ou confortés par les normes sociales et les institutions) qui ont un effet de repoussoir ou de plafond de verre.

Les femmes sont ainsi moins susceptibles que les hommes d’étudier dans les domaines de la science, la technologie, l’ingénierie et les mathématiques. En 2013, la part des femmes diplômées de l’enseignement supérieur en Sciences ainsi qu’en Ingénierie était respectivement de 19% et 21% au Burkina Faso et de 27% et 18% au Ghana[3]. Le manque d’informations sur les possibilités offertes dans ces secteurs dominés par les hommes, les facteurs psychosociaux, l’absence de rôles modèles, les réseaux et les normes sexistes biaisées sont quelques-uns des facteurs qui expliquent ces dynamiques.

Outre les compétences traditionnelles telles que la lecture, l’écriture et le calcul, les compétences numériques sont depuis longtemps devenues l’un des principaux domaines d’expertise pour le 21e siècle. 55% des femmes chefs d’entreprise affirment qu’améliorer leur expertise technique est une priorité. Or, près d’un milliard de filles dans le monde (soit 65% de toutes les filles et jeunes femmes de moins de 24 ans) ne possèdent pas ces compétences, qui sont essentielles pour participer au monde du travail à l’avenir. Certains acteurs se sont ainsi déjà positionnés sur cet enjeu. C’est le cas par exemple du Ghana Code Club[4], qui, avec son projet “Code on Wheels”, va organiser un atelier mobile de codage pour les filles et les femmes de 12 à 24 ans dans différentes régions du pays. Les ateliers permettent aux participantes de se familiariser de manière ludique et pratique avec la pensée et les compétences techniques sur ordinateur.

 

… favorables à l’émancipation économique et sociale des femmes.

Les opportunités économiques jouent pourtant un rôle central dans les rapports sociaux. Avoir accès à un emploi décent et rémunérateur, permet de s’affirmer comme membre de la société économique, ce qui constitue un premier pas vers l’autonomisation et l’émancipation.

Donner à davantage de femmes la possibilité d’accéder à des opportunités économiques, d’entreprendre, de consommer librement et de faire partie intégrante de la vie économique réduit non seulement considérablement les inégalités de genre, mais transforme également la société et l’économie dans leur ensemble. En effet, l’inégalité entre les genres freine le développement économique et social. Elle coûterait en moyenne 95 milliards de dollars US par an à l’Afrique subsaharienne, atteignant un pic de 105 milliards de dollars US en 2014 – soit 6 % du PIB de la région[5] – ce qui compromet les efforts du continent pour un développement humain et une croissance économique inclusifs.

 

L’accès à une éducation de qualité, en particulier pour les filles, est ainsi essentiel pour lutter contre le cycle de la pauvreté et pour garantir à une société plus inclusive, l’égalité des chances pour tous.

 


Sources

[1] Rapport mondial de suivi sur l’éducation 2019: Migration, déplacement et éducation: bâtir des ponts, pas des murs, UNESCO, 2019

[2] The power of parity: Advancing women’s equality in Africa, McKinsey Global Institute, November 2019

[3] Is the gender gap narrowing in science and engineering, Unesco, 2015

[4] Pour en savoir plus sur le Ghana Code Club

[5] Rapport sur le développement humain en Afrique 2016 : Accélérer les progrès en faveur de l’égalité des genres et de l’autonomisation des femmes en Afrique, PNUD, 2016

Aucun commentaire sur Éducation des filles, émancipation des femmes

Les écoles africaines au temps du covid-19

La gestion de la pandémie Covid-19 bouleverse l’éducation mondiale. Les fermetures d’établissements scolaires et universitaires ont renvoyé chez eux 1,5 milliard d’étudiants de 184 pays, soit plus de 90% des…

La gestion de la pandémie Covid-19 bouleverse l’éducation mondiale. Les fermetures d’établissements scolaires et universitaires ont renvoyé chez eux 1,5 milliard d’étudiants de 184 pays, soit plus de 90% des étudiants sur la planète[1].

Depuis la mi-mars en Afrique sub-saharienne, une grande partie des écoles et universités africaines ont ainsi fermé leurs portes. Pour autant, ces fermetures ne signifient pas l’arrêt complet des activités d’enseignement. Établissements publics, privés ou portés par les acteurs associatifs, tous essaient à la hauteur de leurs moyens de fournir des solutions de transition pour que les élèves poursuivent leur parcours scolaire et que le temps d’apprentissage, si précieux, ne soit pas définitivement perdu.

Le groupe Investisseurs & Partenaires, qui accompagne une quinzaine d’entreprises du secteur éducatif, peut témoigner de la forte résilience et de l’esprit d’innovation de ces acteurs. Des crèches aux lycées, en passant par les centres de formations, ces entreprises montrent qu’elles peuvent, au travers d’une crise qui les touche de plein fouet, adapter leur activité et maintenir le cap. Cet article se base en grande partie sur le portefeuille d’I&P, mais inclut également quelques autres initiatives marquantes.

 

Le e-learning, une évidence ?

Afin de garantir une continuité des activités d’enseignement, de nombreuses institutions s’appuient sur les dispositifs de e-learning. C’est par exemple le cas des lycées internationaux Enko, dont les cours ont lieu depuis fin mars sur une nouvelle plateforme digitale. Suite à la constitution d’un comité de crise au niveau de l’entreprise, ce sont aussi de nouvelles méthodes de travail qui ont été mises en place. Les professeurs doivent désormais s’assurer que chaque élève ait accès quotidiennement aux ressources nécessaires pour suivre les cours, soit en support digital, soit en imprimant les livrets envoyés aux familles[2]. Dans le secteur de la petite enfance, où le temps passé devant l’écran doit être limité, c’est la relation entre les parents et les structures préscolaires qui est à réinventer. Communication sur réseaux sociaux, newsletters, groupes Whatsapp… les entreprises spécialisées, à l’instar de Ker Imagination au Sénégal[3], peuvent accompagner les parents pour favoriser les bonnes pratiques à la maison et renforcer la communauté d’apprentissage.

Certaines entreprises éducatives ont fait, bien avant la crise, de la formation à distance le cœur de leur modèle. La startup Etudesk, basée à Abidjan et accompagnée par Comoé Capital, a ainsi développé une expertise précieuse pour construire des plateformes de e-learning sur mesure avec des partenaires variés. Aujourd’hui, Etudesk accompagne une dizaine d’établissements scolaires en Côte d’Ivoire et au Sénégal pour adapter et mettre en ligne leurs contenus pédagogiques dans les meilleurs délais et conditions possibles. African Management Institute construit quant à elle des parcours de formation à distance et en présentiel pour les entrepreneurs et les PME en Afrique de l’Est. AMI fournit actuellement un « kit de survie » gratuit aux entrepreneurs pour apprendre la gestion de crise et prendre les bonnes décisions face aux risques sérieux encourus par leur entreprise[4]. Un autre exemple captivant est celui de l’entreprise Kabakoo, basée au Mali, qui explore un nouveau modèle de formation d’ingénieurs centré sur les « solutions à des problèmes concrets et immédiats » de son environnement. Kabakoo met aujourd’hui à disposition sa plateforme internationale pour que ses apprenants et des experts conçoivent et fabriquent des objets utiles à la lutte contre le Coronavirus tels que des respirateurs artificiels et des masques[5]. Avec un positionnement unique dans le secteur des technologies et de l’éducation, Etudesk, AMI et Kabakoo font valoir leurs capacités d’innovation et de résilience pour apporter des réponses rapides et concrètes aux acteurs éducatifs traditionnels comme aux entreprises et aux citoyens.

Avec un positionnement unique dans le secteur des technologies et de l’éducation, ces entreprises font valoir leurs capacités d’innovation et de résilience pour apporter des réponses rapides et concrètes aux acteurs éducatifs traditionnels.

 

Connectivité, coût et conditions d’apprentissage : les défis de l’école à la maison

Les bonnes pratiques qui émergent ici et là font pourtant face à de nombreuses difficultés. En Afrique de l’Ouest, la connectivité des foyers n’est pas assurée dans de larges zones rurales ou isolées[6]. Aux enjeux de couverture internet s’articulent ceux du coût des forfaits pour consulter ces outils en ligne. D’autres canaux sont ainsi nécessaires et plusieurs initiatives sont en cours pour améliorer l’inclusion des systèmes éducatifs au temps du coronavirus et limiter les risques d’abandon scolaire[7]. Les stations de radio et les chaines de télévision nationales peuvent constituer des solutions massives de diffusion de contenu pédagogique[8], à condition d’une coopération renforcée entre les ministères concernés et entreprise des télécoms, comme c’est le cas en Côte d’Ivoire[9].

D’autre part, il faudra s’assurer que les élèves puissent étudier dans de bonnes conditions et avec assiduité, ce qui est en réalité l’enjeu majeur sur lequel le e-learning offre pour le moment peu d’information. Une réflexion de fonds sur le rôle des enseignants et sur les méthodes pédagogiques à distance doit être conduite pour accompagner l’essor des technologies de l’éducation.

 

Les impacts économiques sont immédiats et durables

Enfin, la crise du coronavirus constitue une menace très forte sur la pérennité financière des entreprises du secteur. Avec un gel complet des recettes qui pourrait durer jusqu’en septembre, les entreprises éducatives doivent chercher à maintenir une bonne relation avec toutes leurs parties prenantes, notamment avec leurs salariés. Ajustement des plans de trésorerie, suppression des charges non essentielles, priorisation des créanciers… des mesures spécifiques peuvent être envisagées à court terme. Pour les établissements les plus robustes, ces mesures seront sans doute suffisantes et s’ajouteront probablement à l’appui bienveillant des partenaires bancaires. Mais pour une majorité d’acteurs privés plus vulnérables, des mesures de soutien complémentaires et significatives seront absolument nécessaires à leur survie. Gouvernements, bailleurs, investisseurs, tous les financeurs de l’éducation devront apporter au plus vite des réponses adaptées.

 

L’opportunité de transformer l’éducation

L’expérience actuelle est inédite. Les entreprises éducatives les mieux préparées à la crise ont été celles qui avaient intégré, même de façon incomplète, le défi de la transformation digitale à leur modèle. Aussi, la crise du coronavirus procure à tout le secteur de l’éducation une opportunité peut-être inédite de déployer de nouveaux modèles qui entrent en résonance avec les aspirations et les pratiques des nouvelles générations d’apprenants.

Élargir l’accès aux contenus, désenclaver les populations, développer de nouveaux services, individualiser les parcours pédagogiques, construire de nouvelles communautés d’apprentissage : le potentiel de l’éducation digitale est immense, pour l’entreprise comme pour ses bénéficiaires. Après l’urgence d’aujourd’hui, il sera sans doute temps pour tous les acteurs de l’éducation de ré-imaginer leur modèle tout en maintenant les enjeux d’accessibilité, d’inclusion et de qualité au cœur de leurs principes.

La crise actuelle procure à tout le secteur de l’éducation une opportunité inédite de déployer de nouveaux modèles qui entrent en résonance avec les aspirations et les pratiques des nouvelles générations d’apprenants.

 

Notes

[1] Informations de l’UNESCO au 7 avril 2020 https://en.unesco.org/news/unesco-launches-codethecurve-hackathon-develop-digital-solutions-response-covid-19

[2] https://enkoeducation.com/fr_FR/covid-19-and-school-closings-enko-education-implements-distance-learning-in-all-its-schools-across-africa/

[3] https://www.facebook.com/KerImagiNation/

[4] https://www.africanmanagers.org/all/news/keep-thriving-ami-learning-covid-19/

[5] https://www.kabakoo.africa/blog/une-bonne-vieille-machine-a-coudre-et-du-fil-contre-covid-19

[6] Voir par exemple l’indice de connectivité développé par GMSA montrant les déficits d’infrastructure et de connectivité dans la zone Afrique de l’Ouest https://www.mobileconnectivityindex.com/#year=2018

[7] Voir les risques soulignés par Jeune Afrique au Sénégal : https://www.jeuneafrique.com/922593/societe/senegal-les-bons-et-les-mauvais-points-de-lecole-a-distance-au-temps-du-coronavirus/

[8] Voici les différents canaux d’enseignement à distance recensés par le GPE : https://www.globalpartnership.org/blog/school-interrupted-4-options-distance-education-continue-teaching-during-covid-19#.XoXPayoKbqI.linkedin

[9] Voir ici l’initiative du gouvernement ivoirien qui a démarré le 6 avril 2020 pour les classes d’examens (CM2, 3ème, Terminal). http://www.gouv.ci/_actualite-article.php?recordID=11002

Par :
Aucun commentaire sur Les écoles africaines au temps du covid-19

Saisissez votre recherche puis validez avec la touche Entrée