La promotion de l’emploi est l’une des priorités du continent africain pour les années à venir. Selon la Banque Africaine de Développement, seulement 3 millions d’emplois formels sont créés chaque année en Afrique, alors que 10 à 12 millions de jeunes entrent sur le marché du travail chaque année.

La plupart des jeunes sont employés dans des activités informelles avec des revenus faibles et irréguliers, une protection sociale inexistante et peu de perspective d’évolution. Cette situation pourrait empirer face au défi démographique à venir. Selon les projections des Nations Unies, la population de l’Afrique va doubler d’ici 2050 avec une majorité de la population ayant moins de 25 ans. L’absence d’emplois formels pourrait être la source (ou accentuer) de fortes tensions sociales et politiques dans les années à venir. A cet effet, de nombreux gouvernements africains et bailleurs ont mis en place des programmes visant à promouvoir l’emploi des jeunes (actions de formation des jeunes, soutien aux entreprises, etc.).

Bien comprendre les ressorts de la création d’emplois (formels) et la dynamique des entreprises en Afrique est donc une étape indispensable pour faciliter l’identification de politiques efficaces. L’idée selon laquelle les grandes entreprises sont des petites entreprises qui ont rapidement grossi (aussi appelées « gazelles ») est plutôt éloignée de la réalité. Plutôt que de gazelles, l’univers des entreprises en Afrique est surtout constitué de « souris » (petites entreprises sans réelle perspective de croissance) et d’« éléphants » (grandes entreprises peu dynamiques).

Deux groupes d’entreprises sont à l’origine de la majorité des emplois créés. Une partie importante des nouveaux emplois est liée à la création d’entreprise (à ce sujet, voir les études sur la Côte d’Ivoire et la Tunisie). A chaque fois qu’une nouvelle activité émerge, elle s’accompagne de la création d’au moins un emploi (le créateur). En dépit de leur importance, ces nouveaux emplois sont fragiles. Les nouvelles entreprises ont un fort taux d’échec dans les premières années (les destructions d’emplois sont aussi principalement expliquées par la disparition de ces entreprises). Le second groupe pourvoyeur d’emplois est celui des entreprises à forte croissance (EFC ou « gazelles »). En effet, parmi les entreprises existantes, la croissance de l’activité et de l’emploi est le fait d’une minorité d’entreprises à forte croissance, alors que la majorité des entreprises a une activité atone.

Face à ce constat, de nombreux initiatives ont été mises en place pour détecter et accompagner ces entreprises à forte croissance (EFC). Les recherches académiques, à la fois sur les pays développés et en développement, soulignent la difficulté d’identifier ex-ante les futures gazelles (même en utilisant les big data). Les EFC ne semblent pas a priori différer de leurs homologues dans leurs caractéristiques observables (secteurs d’activité, taille initiale, etc.).

Une autre question porte sur le devenir des EFC après avoir connu une période de croissance rapide. En effet, l’intérêt de détecter les EFC suppose implicitement que ces entreprises vont continuer à croître dans le futur (et donc continuer à créer des emplois). Dans un travail récent, nous avons cherché à distinguer parmi les EFC, les « gazelles » (qui courent vite et longtemps) des « guépards » (qui s’essoufflent rapidement). Notre analyse porte sur les entreprises formelles au Sénégal. Le Sénégal a l’avantage d’avoir un environnement stable sur le plan politique et économique. Cette stabilité permet aux entreprises de croître sans subir de chocs externes trop importants (contrairement à des pays voisins dépendants des ressources naturelles ou étant sujets à l’instabilité politique). Afin d’étudier l’évolution des entreprises sénégalaises, nous utilisons le répertoire des entreprises qui couvre l’ensemble des entités formelles.

L’analyse des données met en évidence une incapacité des entreprises sénégalaises à soutenir leur croissance sur plusieurs années. Seuls 15% des EFC continuent à croître rapidement après avoir observé un épisode de forte croissance (gazelles). Les autres EFC ont connu soit une stagnation de l’activité soit un déclin de celle-ci (guépards). Il ressort que ces EFC ont plus de chances de voir leur activité décliner fortement que de continuer à croître à un rythme élevé. Ce résultat est en phase avec les travaux sur les entreprises européennes qui ont souligné la difficulté des EFC à maintenir leur croissance.

Dans un second temps, nous cherchons à savoir s’il est possible d’identifier des facteurs qui peuvent expliquer pourquoi certaines EFC maintiennent leur croissance alors que d’autres déclinent. En particulier, nous faisons l’hypothèse que les entreprises qui combinent une forte croissance de l’activité avec de meilleurs profits ou une meilleure productivité ont plus de chances de continuer à croître. De meilleures performances peuvent aider ces entreprises à stimuler leur croissance future directement (financement de l’activité) ou indirectement (effet de signal sur les clients, fournisseurs, banques ou salariés potentiels). En outre, la combinaison d’une croissance rapide et de meilleures performances peut souligner que ces entités ont quelque chose en plus (intrinsèquement plus performantes). Notre analyse empirique souligne néanmoins que ni la profitabilité ni la productivité ne permettent d’expliquer pourquoi certaines EFC continuent à croître alors que d’autres déclinent ou stagnent.

Ce travail souligne la difficulté de distinguer parmi les entreprises à forte croissance, les « gazelles » (qui sont capables de courir vite et longtemps) des « guépards » (rapides mais sur de courte période de temps). Une amélioration de notre connaissance de la dynamique des entreprises reste à l’ordre de l’agenda de la recherche si nous souhaitons améliorer les politiques publiques d’emplois.