Cet article a été co-écrit par Ksapa et Investisseurs & Partenaires, et est également publié sur leur site web.

 

La question du genre est au cœur du débat international. Lélimination de la discrimination des femmes et des filles, l’autonomisation des femmes et la parité entre femmes et hommes sont considérés comme des facteurs clefs du développement, du respect des droits humains, de la paix et de la sécurité mondiale. Les Objectifs de Développement Durable ont d’ailleurs réaffirmé ce rôle clef de l’autonomisation des femmes dans le jeu démocratique, pour prendre les décisions qui s’imposent dans sur tous les aspects du développement durable.  

Pour étudier les implications de l’autonomisation des femmes pour le secteur privé, Ksapa s’est rapproché d’Investisseurs & Partenaires, spécialiste de l’investissement à impact sur le continent africain. Ensemble, nous examinons les données du défi de l’autonomisation de la femme, particulièrement prégnant en milieu rural à travers le continent africain. Comment, dans les conditions actuelles, adapter les plans d’action sur le genre des investisseurs et des entreprises pour mieux répondre au défi ? Forts des différentes initiatives que nous menons, Ksapa et I&P tirent des recommandations pratiques pour la mobilisation du capital et les technologies disponibles en faveur de l’autonomisation des femmes.

 

1. Grands enjeux de l’autonomisation des femmes

L’autonomisation des femmes implique, en essence, une distribution équitable des ressources entre les hommes et les femmes, les filles et les garçons. Voilà pour le principe. En pratique, l’autonomisation des femmes bouscule des comportements sociaux très ancrés, qui se traduisent dans des décisions sociales, économiques et culturelles tout aussi structurelles.

  • Des disparités structurelles entre hommes et femmes

De fait, hommes et femmes, garçons et filles ne sont pas égaux face à la pauvreté et dans l’accès aux opportunités d’avancement – et ce, d’autant moins dans le contexte des crises climatiques, sanitaires et socio-économiques actuelles. Les femmes ne représentent qu’un tiers ou moins de la richesse en capital humain dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire inférieur. En Asie du Sud, les pertes liées aux inégalités de genre sont estimées à 9 100 milliards de dollars, contre 6 700 milliards de dollars en Amérique latine et dans les Caraïbes et 3 100 milliards de dollars au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. En Afrique subsaharienne, elles atteignent 2 500 milliards de dollars.

À ce titre, l’OCDE publie un indice des institutions sociales et égalité entre hommes et femmes pour mesurer, à l’échelle internationale, les discriminations à l’encontre des femmes dans les institutions sociales. Pour exemple, en 2019, cet indice était de 37.0 au Sénégal, 42,8 en Côte d’Ivoire et 34,5 au Ghana.

  • Impacts socio-économiques de l’autonomisation de la femme

Pour autant, et bien qu’elles fassent l’objet de préjugés, les femmes contrôlent actuellement 32% de la richesse, ajoutant ainsi 5 000 milliards de dollars à la richesse mondiale chaque année. Le tout à un rythme beaucoup plus rapide que par le passé. En outre, pour chaque dollar d’investissement levé, les jeunes entreprises appartenant à des femmes génèrent 0,78 dollar de revenus, contre 0,31 dollar pour les entreprises dirigées par des hommes. Ainsi, la parité entre hommes et femmes sur le marché du travail pourrait générer une hausse de 26% du PIB mondial annuel d’ici à 2025.

  • Zoom sur la femme dans le secteur agricole africain

L’agriculture en particulier représente près de 25 % du PIB de l’Afrique et les femmes constituent près de la moitié de la main d’œuvre de ce secteur en Afrique subsaharienne. Sur l’ensemble du continent, l’agriculture s’avère même le tout premier employeur des femmes, concentrant 62 % des femmes actives. Dans certains pays, comme le Rwanda, le Malawi et le Burkina Faso, elles sont même plus de 90 % à y travailler.

Le travail des femmes est, comme ailleurs, sujet à des disparités critiques – notamment en termes de répartition des tâches et de prépondérance du travail informel. Dans le milieu agricole africain, les femmes tendent à opter pour des cultures et techniques spécifiques et leur travail n’est pas rémunéré de la même façon.

Lorsqu’il fait l’objet d’un contrat, il ne porte pas systématiquement leur nom – et souvent celui de leur mari. De même, les agricultrices africaines ont tendance à investir les marchés locaux et le commerce de détail, là où les hommes misent davantage sur le commerce de gros, avec une portée régionale.

 

2. Intégrer une solide perspective du genre dans les stratégies d’investissements à impact

La lutte contre la pauvreté et la sécurité alimentaire dépendent directement du développement de solutions systématiques pour l’autonomisation des femmes. Les mesures nécessaires pour développer des moyens de subsistance stables grâce au secteur agricole africain incluent donc des dispositifs innovants d’accès à la terre, au capital et moyens de production – en particulier pour les femmes.

C’est précisément pourquoi la Banque mondiale a élaboré une stratégie de genre à destination des développeurs de projets internationaux. Le document liste 4 leviers clefs pour diminuer les écarts entre hommes et aux femmes :

  • Sensibilisation : Améliorer les écarts entre hommes et femmes en réduisant notamment les différentiels d’accès à la santé, l’éducation et la protection sociale (par exemple, les transitions école/travail, les stéréotypes sexistes sur le lieu de travail, les droits en matière de santé sexuelle et génésique…).
  • Opportunité : Supprimer les barrières à un emploi plus important et de meilleure qualité, en stimulant la participation des femmes, les opportunités pour elles de générer leurs propres revenus et d’accéder aux actifs productifs (en gardant à l’esprit les considérations clés de la charge des soins, de l’accès à la mobilité et à l’emploi formel…).
  • Capacité d’action : Renforcer l’expression des femmes et les mettre en capacité d’agir, en incitant les hommes et garçons à partager avec elles les décisions sur la prestation de services, la réduction des violences sexistes et la gestion de situations conflictuelles.
  • Propriété : Supprimer les obstacles à la propriété et au contrôle des biens par les femmes, en améliorant l’accès des femmes à la terre, au logement et à la technologie.

En s’appuyant sur cette stratégie, les investisseurs, et en particulier les équipes de développement, sont amenés à examiner les modalités de dialogue avec les parties prenantes potentiellement impactées, afin d’identifier et évaluer les écarts concrets entre les genres. Autant d’efforts qui débouchent sur le développement d’un plan d’action en matière de genre.

 

3. Exemples pratiques de la mobilisation du capital pour l’autonomisation des femmes

  • Zoom sur 3 entreprises du secteur agricole soutenues par I&P 

I&P est engagé depuis 20 ans pour financer et accompagner l’émergence de champions de l’entrepreneuriat africain. En tant qu’investisseur d’impact, I&P vise un retour social et/ou environnemental positif ainsi qu’une performance financière significative dont l’impact est mesurable par un processus continu d’évaluation.

Cette approche porte à la fois dans le choix d’investissements ciblés et dans l’accompagnement des entreprises sélectionnées. L’accompagnement se caractérise également par la mesure de l’impact social et/ou environnemental de l’entreprise, sur la base d’objectifs prioritaires et de modalités de suivi des progrès sur les impacts positifs escomptés. Dans le cadre de sa stratégie genre1, I&P cherche activement à développer un pipeline de PME, soit gérées par des femmes, soit à fort impact pour les femmes.

I&P inclut donc systématiquement des plans d’action spécifiques au genre dans le plan d’action ESG des entreprises en portefeuille (augmentation du nombre d’emplois féminins, accès à des postes de direction, formations spécifiques…). À date, 33% des entreprises accompagnées par la famille I&P sont dirigées par des femmes. De même, 79% du portefeuille d’I&P répond à au moins un critère du 2X Challenge, une initiative des banques de développement pour définir ce qui serait considéré comme un investissement favorable aux femmes.

Au sein du portefeuille d’I&P, plusieurs entreprises illustrent comment une perspective de genre peut être développée dans le secteur agriculture, comme :

    • Soafiary (Madagascar) :Fondée en 2006 par la promotrice malgache Malala Rabenoro, Soafiary est spécialisée dans la collecte, la transformation et la vente de céréales (maïs, riz) et de légumineuses (haricots, pois du cap, lentilles, soja) sur le marché local et international.
    • Citrine (Côte d’Ivoire) :Citrine Corporation est une entreprise spécialisée dans la transformation du manioc en attiéké frais (semoule de manioc) et en placali (pâte de manioc) au sud de la Côte d’Ivoire, plus précisément à Grand-Bassam.
    • Rose Eclat (Burkina Faso) :Entreprise familiale créée en 1999 par Rosemonde Touré, Rose Eclat est une société de transformation de fruits et légumes. Aujourd’hui, l’entreprise met sur le marché national et international des fruits et légumes transformés et/ou séchés certifiée biologique et conforme à la méthode de gestion de la sécurité sanitaire des aliments (HACCP). L’entreprise produit principalement de la mangue mais aussi des bananes, des gombos, des fraises ou encore des oignons.

Emblématiques de l’action d’I&P en matière d’autonomisation des femmes dans le secteur agriculture, ces trois entreprises se sont engagées à appliquer une politique favorable à l’égalité des genres et à l’autonomisation des femmes. L’une d’entre elles, Soafiary, a retranscrit cette politique en une feuille de route résumant tous ses engagements en matière d’égalité et d’autonomisation des femmes. Cette feuille de route écrite sert à tracer les grandes lignes de la politique genre de l’entreprise, et est surtout un outil concret de suivi et d’évaluation que ce soit en interne ou en externe des avancés et des efforts qui ont été fait par l’entreprise en matière d’égalité homme-femme.

Les trois entreprises priorisent le recrutement des femmes aux emplois saisonniers et n’appliquent aucune forme de discrimination sexuelle pour les recrutements aux emplois fixes. Les femmes y sont également impliquées dans le processus de prise de décision et occupent divers postes à responsabilité. Ainsi, les hommes et les femmes ont les mêmes égalités de chance d’avancement professionnel – soit via l’accès à des emplois fixes ou à emplois saisonniers, et ce avec des rémunérations comparables. Les femmes bénéficient en outre de formations sur leurs lieux de travail.

Rose Eclat en particulier donne l’opportunité aux femmes de se former en dehors de l’entreprise en vue d’un avancement professionnel ou qui leurs permettront plus tard de se mettre à leurs comptes.

Les trois entreprises veillent de plus au respect des droits à l’intégrité physique et morale des femmes sur et en dehors de leurs lieux de travail et les donnent accès à des soins de santé et à la protection sociale. Soafiary a également mis en place un système d’inclusion financière et de bancarisation des femmes. L’accès à des produits et services financiers permet aux femmes d’anticiper le financement d’objectifs à long et moyen terme ou de faire face à des imprévus. Par ailleurs, l’épargne encourage le crédit, et inversement.

  • Zoom sur l’approche SUTTI de Ksapa

Misant particulièrement sur ce levier de la formation, Ksapa a lancé l’initiative Scale-up Training, Traceability, Impact initiative (SUTTI) pour le développement de chaînes d’approvisionnements agricoles responsables. Nous proposons pour cela aux petits exploitants agricoles l’accès à de la formation et de l’éducation technique et opérationnelle. Ainsi nous visons l’optimisation des cultures et la production économique agricole, l’amélioration de la qualité des moyens de subsistance des agriculteurs en augmentant les revenus, en diversifiant les activités et en réduisant la pauvreté et enfin la parité entre hommes et femmes. Et ce, notamment pour retenir les jeunes fermiers dans les zones rurales.

Grâce au développement de notre propre application numérique, nous combinons l’analyse et l’évaluation, la structuration de la coalition et le calibrage du pilote et la mise en œuvre du programme et le suivi de l’impact. C’est ainsi que Ksapa mesure l’impact de l’initiative SUTTI et particulièrement les impacts spécifiques liés aux femmes, principalement leur inclusion dans le programme. Via la formation, nous soutenons l’autonomisation des femmes, en ouvrant la division conventionnelle du travail et le potentiel des femmes à vendre et gérer le produit de leur travail et à exploiter des activités de revenus diversifiées.

Parce que les femmes subissent de plein fouet le manque d’inclusion financière, d’alphabétisation et de compétence numérique, notre solution vise une accessibilité optimale de ces dernières. Nos programmes étant centrés la diversification des revenus des petits producteurs agricoles, ils développent par là même un levier additionnel d’autonomisation des femmes en milieu agricole. En somme, cette approche vise à débloquer 4 défis clefs de la manière suivante :

DEFIS CLEFS  SOLUTIONS PERTINENTES
Faible productivité due au manque d’accès à l’information et aux services, au changement climatique, à la variabilité des conditions météorologiques et aux épidémies de parasites et de maladies.  Sensibilisation aux bonnes pratiques agricoles (BPA) : dispenser des sessions en face à face et numériques pour encourager la génération de revenus via l’efficacité de l’eau, le crédit carbone et la diversification des cultures. Via une application numérique, il est possible de partager des vidéos et des tutoriels qui soutiennent des tests pratiques et la mise en œuvre des BPA à l’échelle de toute l’exploitation. Développer les outils d’aide à la décision : les applications numériques peuvent inclure une fonction de chat communautaire permettant aux petits exploitants agricoles de partager leurs questions et de décider de la meilleure façon de mettre en œuvre les BPA. Une fonction de marketplace offre aux petits exploitants agricoles l’opportunité de partager des informations sur les prix et volumes pour pouvoir décider où et quand vendre. Lever les barrières de langue et de culture numérique : Adapter les solutions aux besoins des petits exploitants agricoles implique notamment de traduire les contenus dans les langues locales – en intégrant une fonction de synthèse vocale à destination des fermiers moins lettrés.
 Manque d’accès à des produits financiers et d’assurance adaptés Développer des solutions financières pour les petits exploitants, payées par exemple avec des jetons émis via un système de compensation carbone.
L’accès des femmes aux services numériques  Organisation des groupes de formation féminins (par exemple, recruter une cohorte exclusivement féminine sur trois) pour identifier et répondre aux besoins spécifiques des agricultrices. Adapter le contenu en conséquence (par exemple, en incluant une perspective de genre, notamment dans les contenus de formation sur la santé-sécurité sur la ferme).
Manque d’accessibilité et de capacité à sélectionner les marchés et modalités de vente  Structurer l’approvisionnement des petits producteurs agricoles en intrants, payés via un système de compensation carbone et les revenus d’un outil de gamification les incitant à répondre régulièrement à des questionnaires de suivi d’impact. Favoriser l’accès au marché en soutenant la diversification des cultures tout au long de l’année en dehors du cycle de production de la culture prédominante des fermiers concernés. Conforter les outils d’aide à la décision avec un module qui permettre aux petits exploitants agricoles d’identifier de nouveaux modes de commercialisation, suivre leurs transactions et identifier les meilleures options pour acheter/vendre leurs cultures

 

Conclusion 

A la tête de leurs programmes à impact respectifs, I&P et Ksapa tirent ensemble 5 grands enseignements pour l’intégration d’une solide perspective de genre :

  • Prioriser les questions d’autonomisation des femmes dans le développement de projets de développement agricole
  • Formaliser les contributions directes et indirectes du secteur agricole aux dynamiques de genre
  • Clarifier les rôles et responsabilités pour le développement d’une robuste perspective du genre
  • Attribuer des ressources spécifiques à l’autonomisation des agricultrices
  • Développer des mécanismes de dialogue et de remontée des griefs propres aux agricultrices